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0.3. Description des données

0.3.2. L’environnement médiatique canadien

0.3.2.2. Une consommation médiatique multiplateforme

Si cette étude avait été menée dans les années 1980, les nouvelles télévisées se seraient imposées d’elles-mêmes en tant que source médiatique à inclure dans le corpus. Leur dominance était alors bien établie, et se maintenait d’année en année. L’arrivée d’Internet est toutefois venue remettre en doute la primauté des nouvelles télévisées. Il est aujourd’hui difficile d’avoir une idée précise des habitudes de consommation médiatique des citoyens des démocraties occidentales, puisque les bouleversements sont continuels et rapides. Cela dit, une tendance apparait maintenant claire : les nouvelles « en ligne17 » occupent une place sans cesse

grandissante dans les habitudes de consommation médiatique (Kaid et Postelnicu 2005, 66; Schrøder 2014, 66). La plupart d’entre elles seraient encore produites par les grands

17 Le syntagme « nouvelles en ligne » renvoie dans cette recherche aux contenus médiatiques consommés en ligne,

conglomérats médiatiques et ne diffèreraient pas de manière notable des nouvelles publiées dans les médias traditionnels (Curran et coll. 2013; Fenton 2010).

Certes, la télévision demeure toujours un vecteur d’information politique privilégié — peut-être même le plus populaire dans bon nombre de pays (Ahlers 2006; Papathanassopoulos et al. 2013; Schrøder 2014). Toutefois, elle est en perte de vitesse, au contraire de l’information en ligne, dont la popularité croissante se manifeste d’année en année. Dans certains pays tels que la Norvège et la Corée du Sud, Internet serait même devenu le vecteur d’information le plus populaire parmi les citoyens (Curran et coll. 2013, 884). De la même façon, une étude de Schrøder (2014) montre que les nouvelles télévisées et en ligne18 étaient nez à nez en termes de

popularité au Danemark en 2012.

Au Canada, une étude datant de 2012 révèle que le cinquième des Canadiens déclarant utiliser les médias sociaux y obtenaient des nouvelles provenant des organisations médiatiques traditionnelles et de comptes personnels des journalistes y travaillant (Hermida et coll. 2012). Les résultats d’une analyse récente révèlent qu’en 2019, 20 pour cent des citoyens considérait les médias sociaux comme leur source principale de nouvelles, une proportion qui grimpait à 38 pour cent les personnes âgées de moins de 35 ans (Reuters Institute Digital News Report 2019). Il n’en demeure pas moins que le même sondage révèle, encore aujourd’hui, que 56 pour cent des citoyens considèrent les médias traditionnels (journaux, télévision et radio) comme leur principale source d’information. S’ajoutent à ce groupe les 8 pour cent qui s’informent en priorité sur les sites Internet et les applications des organisations médiatiques traditionnelles. En fin de compte, considérant que plusieurs des contenus informationnels qui circulent sur les médias sociaux proviennent de ces mêmes organisations, il est légitime de conclure qu’elles constituent encore aujourd’hui les sources d’information politique les plus consultées par les citoyens canadiens.

18 Il s’agit d’ailleurs d’une affirmation prudente, puisque Schrøder a mené son étude en séparant les nouvelles « sur

ordinateur », les nouvelles « mobiles » et les nouvelles « sur tablettes » (voir la Figure 2, à la page 66). On peut se demander si une telle distinction est logique au plan théorique et si elle contribue à clarifier les habitudes de consommation médiatique des citoyens. En résumant son propos, l’auteur reconnaît d’ailleurs lui-même que l’agrégation de ces trois catégories leur confère la première place dans certaines catégories incluses dans son étude (2015, 70).

Ces statistiques soulignent toutefois un changement plus radical dans la manière dont les citoyens s’informent : une consommation médiatique « multiplateforme19 » (Bjur et coll. 2013;

Ksiazek, Malthouse, et Webster 2010; Papathanassopoulos et coll. 2013, 697). En d’autres mots, les auditoires médiatiques auraient maintenant tendance à considérer les différents médiums d’informations comme complémentaires plutôt que concurrentiels, remettant en cause « some long-held beliefs about people relying on just a few primary sources for news are now obsolete » (The Media Insight Project 2014, 1). Un sondage mené il y a une dizaine d’années arrivait déjà à la conclusion que 51 pour cent des citoyens américains qui consommaient de l’information politique utilisaient plusieurs plateformes de façon quotidienne (Ahlers 2006). De la même façon, une analyse de Tewksbury (2003) montre que 63 pour cent de ceux qui s’informaient en ligne lisaient aussi les quotidiens imprimés. En 2019, plus de 70 pour cent des Canadiens déclaraient d’ailleurs avoir consulté des sources multiples afin de vérifier l’exactitude des nouvelles de leur source favorite, une pratique rendue beaucoup plus facile par la disponibilité de l’accès Internet (Reuters Institute Digital News Report 2019).

Cette nouvelle fluidité des habitudes de consommation des contenus informationnels ne s’est toutefois pas accompagnée d’un élargissement des producteurs d’information. La plupart des contenus informationnels consommés et partagés en ligne sont toujours produits par les conglomérats médiatiques traditionnels. Dans leur examen des habitudes de consommation médiatique dans 11 pays européens, Papathanassopoulos et collègues révèlent que la plupart des sites de nouvelles analysés — choisis pour leur popularité — appartenaient aux traditionnels empires multimédias (2013, 892). De même, Alexa (2012) montre que la plupart des sites de nouvelles en ligne les plus populaires au monde étaient tous liés à de vastes empires médiatiques. Les sites consultés pour s’informer sont bien souvent ceux des principaux médias — imprimés ou télévisés — d’un pays donné (Fenton 2010).

19 Le fait que les audiences consultent plusieurs plateformes différentes pour obtenir leurs informations politiques

ne constitue pas une nouveauté. Toutefois, il est possible de soutenir qu’avec l’émergence des nouveaux moyens de communication, « emerging patterns of cross-media use are far more seamless and blurred, hybrid and complex than they used to be » (Bjur et coll. 2013, 15). Il est maintenant possible de consulter du contenu de différentes « plateformes » sur le même appareil, ce qui complexifie l’analyse des habitudes médiatiques des citoyens, tout en favorisant la consommation médiatique multi-plateforme.