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0.4. Les articles de la thèse

0.4.3. Tempêtes médiatiques et opinion publique

Le dernier article de la thèse fait passer l’accent sur un autre acteur important de la chaine de communication politique : les citoyens. Il se positionne en tant que prolongement logique des deux premiers articles, puisqu’il examine les effets d’une des tempêtes médiatiques qui y sont détectées sur les opinions politiques et sur les dynamiques de choix de vote des électeurs. Il comble un vide important dans la littérature sur les tempêtes médiatiques, puisqu’il examine — pour la première fois — l’effet de ces dernières sur l’opinion publique. En effet, au meilleur de mes connaissances, aucune étude n’a encore cherché à évaluer de façon systématique dans quelle mesure l’opinion publique était sensible aux tempêtes médiatiques, ni la persistance d’éventuels effets que ces dernières auraient sur les citoyens.

Cela est probablement imputable en grande partie à la nature imprévisible des tempêtes médiatiques. Le déploiement d’outils systématiques de mesure de l’opinion publique exige en effet une quantité de temps et d’efforts qui se conjuguent difficilement avec le caractère soudain et temporellement circonscrit de toute tempête médiatique. Par chance, les données de sondage compilées dans le cadre du projet Parlement Local offrent une occasion unique de contourner le problème, puisqu’elles incluent quelques questions permettant de suivre l’évolution de l’opinion publique à propos des principaux cadres avancés dans la bataille pour la définition de la crise des réfugiés, ainsi que les liens entre ceux-ci et le choix de vote des électeurs.

Le chapitre teste trois hypothèses. D’une part, que les cadres au cœur de la lutte politico- médiatique pour la définition de la crise des réfugiés ont une influence sur les opinions politiques des électeurs (H1), mais que cette dernière sera modulée par leur identité partisane (H2). D’autre part, que ces cadres constituent un des déterminants significatifs du choix de vote des électeurs (H3). Les indicateurs principaux reposent sur les attitudes mesurées à partir de trois énoncés du sondage : 1) « Le Canada devrait accueillir plus de réfugiés chaque année », 2) « Le terrorisme constitue la pire menace à laquelle est confronté le Canada » et 3) « Le Canada devrait poursuivre ses efforts militaires contre l’État islamique ».

En ce qui concerne les deux premières hypothèses, ces variables constituent la variable dépendante. Elles sont toutes trois mesurées à partir d’une échelle de Likert à cinq points allant de « En désaccord total » à « En accord total ». Puisque la stratégie d’échantillonnage utilisée dans le sondage consiste à interroger, tous les trois jours, un groupe de répondants représentatifs de la population canadienne, il devient donc possible d’utiliser la date d’entrevue des sondés en tant que variable médiatrice de l’effet de la crise des réfugiés. Trois catégories de cette variable temporelle sont ainsi construites : avant le déclenchement de la tempête, pendant la période de tempête (telle que définie par les critères de Boydstun et coll.) et après la tempête médiatique. Des analyses de régression (méthode des moindres carrés ordinaires) montrent que les individus qui étaient interrogés pendant la tempête médiatique de la crise des réfugiés avaient une opinion significativement différente des autres répondants dans deux des trois cas, ce qui appuie notre première hypothèse. Des variables d’interaction entre l’identité partisane et la date d’interview — incluses dans les mêmes modèles — indiquent cependant un effet significatif de l’identité partisane, spécialement à plus long terme. On constate aussi que les effets de la tempête médiatique sur les attitudes politiques des citoyens persistent même chez ceux interrogés après la fin de la période officielle de tempête.

Pour tester la dernière hypothèse, les trois mêmes questions sont enfin ramenées sur une échelle de Likert à trois points, puis utilisées en tant que variables indépendantes. Cela permet de vérifier dans quelle mesure, toutes autres variables par ailleurs égales, un changement d’opinion (de la première à la troisième catégorie) permet d’expliquer les intentions de vote (vague pré-électorale) et le choix de vote final (vague post-électorale) des citoyens. Des modèles de régression logistique multinomiale sont d’abord estimés, puis utilisés pour calculer les effets

marginaux des trois variables indépendantes sur les deux variables dépendantes. Les résultats montrent qu’en plusieurs occasions, elles constituent des déterminants significatifs du choix de vote anticipé ou réel des répondants et que leur effet apparait parfois substantivement élevé, car il atteint 9 points de pourcentage dans le cas le plus élevé.

Ces résultats appuient la troisième hypothèse. Ils suggèrent que les tempêtes médiatiques peuvent avoir un impact important sur les attitudes politiques des citoyens et que ce dernier peut persister même après que la couverture médiatique ait dramatiquement diminué. Ils montrent aussi comment, quelques semaines plus tard, ces opinions constituent toujours des déterminants significatifs du choix de vote des électeurs.

Ces conclusions enrichissent la recherche en communication politique à bien des égards. Elles renforcent l’argument du courant de recherche qui s’intéresse aux tempêtes médiatiques, qui n’avait jamais encore examiné de façon systématique leur impact sur l’opinion publique. Elles suggèrent aussi que les partis politiques ont tout intérêt à se préoccuper de la manière dont les tempêtes médiatiques sont présentées dans les médias, puisque les principaux cadres mobilisés dans la lutte pour la définition de la tempête risquent de devenir des déterminants significatifs du choix de vote des électeurs. Par conséquent, il apparait probable que la gestion de telles tempêtes médiatiques puisse être cruciale au succès de partis politiques qui doivent tout faire pour exploiter la faible marge de manœuvre dont ils disposent afin de maximiser leurs chances d’être élus.

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Ces trois articles offrent des arguments complémentaires qui contribuent à crédibiliser la thèse fédératrice défendue par cette thèse de doctorat, qui propose que les périodes marquées par l’explosion de la couverture médiatique consacrée à un enjeu ou à un événement politique risquent de venir bouleverser de façon significative l’environnement communicationnel au sein duquel s’inscrivent les échanges entre les acteurs politiques et médiatiques et, par le fait même, les attitudes politiques des citoyens. Les articles mobilisent le concept de tempête médiatique afin de vérifier dans quelle mesure les périodes de tempête affectent chacun des principaux

acteurs impliqués dans la chaine traditionnelle de communication politique. Jumelés, ces trois articles suggèrent que les tempêtes médiatiques constituent des forces électorales qu’il pourrait être dangereux d’ignorer. Les conséquences de cette proposition seront discutées de manière plus approfondie dans la conclusion, où il sera aussi question des principales limites de la démarche de recherche ici privilégiée.

Chapitre 1

How Media Storms Disrupt the Electoral