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L’impact d’une tempête médiatique sur l’opinion publique électorale

4.1. Récapitulatif des principales conclusions

4.1.3. Troisième article

Dans la suite logique de ces conclusions, la dernière section empirique de cette thèse de doctorat s’intéresse aux conséquences électorales des tempêtes médiatiques. Pour ce faire, elle mobilise les données de sondage récoltées par le projet Parlement Local, qui a mené un sondage de type « roulant » rejoignant une moyenne quotidienne d’environ 700 répondants pendant les 54 derniers jours de la course électorale. Parmi toutes les questions incluses au sondage, trois présentent un intérêt particulier par rapport à la tempête médiatique de la « crise des réfugiés », puisqu’elles peuvent être utilisées en tant qu’indicateurs pour suivre l’évolution de l’opinion publique à propos de trois des principaux items qui furent avancés dans la lutte de cadrage pour sa définition :

(a) le Canada devrait admettre plus de réfugiés chaque année; (b) le terrorisme est la pire menace envers le Canada;

(c) le Canada devrait poursuivre ses efforts militaires contre l’État islamique.

Les libéraux et les néodémocrates, dont le cadrage envers la crise des réfugiés était très similaire, ont ainsi défendu l’admission rapide d’un plus grand nombre de réfugiés, qu’ils ont présentée comme un devoir moral et humanitaire ne posant pas de risque terroriste particulier pour le Canada. Au contraire, les troupes conservatrices ont insisté sur le fait que l’admission rapide d’un trop grand nombre de réfugiés générait un risque terroriste significatif et qu’il serait

plus avisé de régler le problème à la source, en poursuivant les efforts militaires contre l’État islamique afin de mettre un terme à la guerre civile syrienne.

Un des principaux avantages des sondages de type roulant est de tenir compte de la dimension temporelle des attitudes politiques. En effet, le sondage du projet Parlement Local rejoignait un échantillon représentatif de la population canadienne à tous les trois jours, ce qui permet de suivre adéquatement les dynamiques d’évolution de l’opinion publique. Les deux premières hypothèses testées supposent que la période de tempête médiatique risque de causer un changement des attitudes citoyennes envers ces trois propositions, qui sera toutefois médié par l’identité partisane des sondés.

Les résultats d’une analyse de régression sur les moindres carrés soutiennent ces deux hypothèses. Ainsi, les attitudes politiques moyennes à propos des trois propositions changent d’une manière significative durant et après l’émergence de la tempête médiatique, mais pas de la même façon pour tous les citoyens. L’évolution la plus dramatique est liée à l’admission d’un plus grand nombre de réfugiés, qui fut fortement portée par des chefs libéral et néodémocrate enthousiastes de promouvoir des engagements clairs dès les premiers jours de la tempête médiatique. Une réticence plus nette du PCC explique peut-être l’effet plus nuancé des éléments de cadrage qui lui sont associés.

La dernière hypothèse se penche sur l’impact électoral des attitudes politiques à l’égard de ces trois éléments de cadrage de la crise des réfugiés. Elle les mobilise en tant que variables indépendantes afin d’évaluer les patrons d’intention et de choix de vote pendant la campagne électorale fédérale de 2015. Les analyses révèlent des effets significatifs des attitudes liées à la crise des réfugiés sur l’intention de vote. Qui plus est, on peut voir ces effets se cristalliser de plus en plus précisément à mesure que le temps passe. Cela suggère ainsi un effet de primauté important, puisque les cadres mobilisés dans la lutte pour la définition de la crise des réfugiés entrent dans les considérations électorales des citoyens. Notons qu’une question à propos de la consommation médiatique des répondants, qui n’était pas incluse dans le sondage, aurait permis de mieux nuancer les résultats.

Dans la même veine, les données de la vague postélectorale du sondage identifient un impact significatif — et compatible avec les attentes théoriques — des attitudes politiques liées

à la crise des réfugiés sur le choix de vote effectif des sondés. Par exemple, ceux qui estiment que le Canada devrait poursuivre la guerre contre l’EI, qu’il est confronté à une grave menace terroriste et qu’il ne devrait pas admettre plus de réfugiés sont plus susceptibles d’avoir voté pour les conservateurs. Au contraire, les citoyens avec des opinions opposées ont plus de chance d’avoir choisi les libéraux ou les néodémocrates (les effets n’y sont pas toujours significatifs).

Ces conclusions enrichissent la littérature sur les tempêtes médiatiques, qui appelle à l’examen de leurs conséquences sur l’opinion publique depuis déjà quelque temps. Elles sont par ailleurs complémentaires aux résultats présentés dans les deux premiers articles de la thèse. En effet, si les périodes de tempête médiatique entrainent des changements importants au sein de l’environnement communicationnel médiatique ainsi que de l’opinion publique, on ne doit pas s’étonner de l’impératif réactionnel qu’elles génèrent chez les partis politiques.

Les résultats montrent que certains des éléments de cadrage mobilisés pour définir une de ces tempêtes peuvent devenir des déterminants significatifs du choix de vote des électeurs, même pour une tempête s’étant déclenchée 46 jours avant la date des élections. Cela implique donc que les partis politiques soucieux de maximiser leurs appuis électoraux ont grand intérêt à gérer les tempêtes médiatiques pendant les périodes électorales, puisque les cadres dominants du débat qui les entourent risquent de devenir, par effet de primauté, une des considérations qui aura un impact sur le choix de vote des électeurs.