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L’impact d’une tempête médiatique sur l’opinion publique électorale

4.3. Contributions de la thèse

Un des objectifs principaux de toute thèse de doctorat est d’établir un dialogue fructueux avec les chercheurs s’étant penchés sur des questions similaires dans le passé. Cette thèse ne fait pas exception à la règle; elle offre quelques contributions intéressantes sur plusieurs questions de recherche appartenant au champ de la communication politique. La présente section vise à expliciter les plus importantes d’entre elles.

4.3.1. La détection des tempêtes médiatiques

Une des contributions majeures de cette thèse est de nature méthodologique. En effet, les tempêtes médiatiques identifiées dans ce projet l’ont été à partir de l’ensemble des contenus journalistiques électoraux de deux quotidiens nationaux majeurs (Globe and Mail et le National

Post) ainsi que de tous les reportages diffusés durant deux des principaux bulletins de nouvelles

télévisés de fin de soirée du Canada. Un total de 1 940 publications journalistiques, divisées en 31 845 paragraphes, furent soumises à une analyse de contenu automatisée détectant la présence d’une banque de 122 enjeux dans chacune des unités d’analyse (les paragraphes) durant toute la campagne électorale.

La base de données qui résulte de cette démarche offre une description beaucoup plus nuancée de l’ordre du jour médiatique que celle proposée par les autres chercheurs qui se sont intéressés au phénomène des tempêtes médiatiques. Boydstun, Hardy et Walgrave (2014) ainsi que Walgrave et coll. (2017) privilégient une approche similaire, qui utilise l’article (complet) en tant qu’unité d’analyse et qui n’examine que les contenus inclus en première page (Walgrave) ou dans les trois premières pages (Boydstun et coll.). Qui plus est, leur analyse de contenu est manuelle et elle n’inclut qu’un enjeu « principal » par article, choisi selon le bon jugement du codeur. Si ces choix se défendent en vertu de la dizaine d’années que ces articles couvrent, ils n’en demeurent pas moins des compromis importants, qui amènent à s’interroger à propos de l’exhaustivité de la mesure de l’agenda médiatique qu’ils proposent. Cette remarque s’applique d’autant plus que les chercheurs, qui catégorisent les enjeux selon les directives de la version américaine du Policy Agendas codebook, n’utilisent que les catégories « majeures », c’est-à-

dire celles qui structurent les 233 sous-catégories (enjeux) incluses au guide de codage63. Il est

par conséquent possible qu’une tempête médiatique centrée sur une de ces catégories majeures ne constitue, au final, qu’une succession de journées où les journalistes se concentrent sur différentes sous-catégories appartenant à la même famille d’enjeux.

L’opérationnalisation de l’ordre du jour médiatique proposée dans cette démarche écarte cette possibilité, et contribue en ce sens à consolider les conclusions proposées par ces études pionnières à propos des tempêtes médiatiques. La base de données ici utilisée permet de suivre, au paragraphe près, l’importance quotidienne accordée à chacun des 122 enjeux, par chacun des principaux acteurs impliqués dans la campagne électorale canadienne de 2015. Ma démarche démontre ainsi, pour la première fois, que des tempêtes médiatiques peuvent être détectées à un niveau plus fin que la catégorie « majeure », puisque je les détecte à partir d’indicateurs qui sont similaires, en termes de spécificité, aux sous-catégories du guide de codage du Policy Agendas. Dans une logique similaire, puisqu’elle inclut tous les contenus médiatiques liés à la campagne électorale — et pas seulement celui des premières pages des médias retenus —, ma démarche souligne avec éloquence la puissance disruptive des tempêtes médiatiques, qui occupent à l’occasion une part très importante de l’ensemble de la couverture médiatique.

Cette contribution ouvre la porte à une analyse plus précise des effets d’une tempête médiatique spécifique, comme le propose la section qui se penche sur la crise des réfugiés. En effet, une fois la tempête identifiée, il est possible d’examiner quels autres enjeux (ou cadres) y sont généralement associés, le ton de la description qu’en font les principaux acteurs qui interviennent à son sujet, ainsi que les répercussions de ces éléments sur tous les acteurs de la chaine de communication politique.

4.3.2. Les tempêtes médiatiques en campagne électorale

L’analyse des effets des tempêtes médiatiques en période électorale constitue sans doute une des contributions les plus importantes de cette thèse. Jamais le concept n’avait été appliqué à l’examen de l’environnement communicationnel électoral. Il s’agit pourtant d’un contexte où

leurs conséquences potentielles sont susceptibles d’avoir des effets marqués sur la capacité des partis à mettre en action une stratégie électorale qu’ils ont préparée avec beaucoup de ressources et d’efforts. Comme le remarquent avec verve Walgrave et Van Aelst, les campagnes constituent des périodes particulières de la vie démocratique ainsi que dans les rapports entre les journalistes et les acteurs politiques :

the electoral context radically changes the behavior of […] media and politicians. First, the composition of the (normally) multilayered and complex political agenda changes dramatically; central actors like government and parliament and their substantial agendas make room for political parties with their symbolic agendas. Dalton et al. (1998) say that the limited [political] agenda-setting role of the media during campaigns is due to the fact that parties and candidates are vigorously trying to influence the public agenda. Their whole behavior is aimed to dominate the public debate: Parties have daily press briefings, stage their own (pseudo) events, indefatigably flood the media with press releases, and continuously make provocative statements (2006, 97).

Par ces activités de construction de l’agenda, les acteurs politiques espèrent convaincre les journalistes de diffuser les thèmes, enjeux et arguments qui les avantagent afin de bénéficier de l’influence que les médias exercent sur les citoyens. Il s’agit d’une part incontournable de toute campagne électorale, que beaucoup de chercheurs, de stratèges et d’observateurs essaient de mieux comprendre depuis longtemps. Or, l’application du concept de tempête médiatique à l’étude d’une course électorale révèle que ces dernières changent l’environnement médiatique d’une manière qui diminue la (faible) capacité d’influence dont disposent les partis politiques, tout en ayant un impact significatif sur les attitudes politiques des citoyens.

L’intérêt de ces conclusions s’applique à deux champs de la recherche en communication politique. D’abord, elles s’inscrivent dans la suite logique des premières démarches à propos des tempêtes médiatiques. En plus de valider les conséquences de l’émergence d’une tempête sur l’environnement médiatique mise en évidence par Boydstun, Hardy et Walgrave (2014), ma thèse examine le phénomène dans un nouveau contexte politique (les campagnes électorales) et national (le Canada). Elle comble aussi un vide théorique important à propos de l’impact des tempêtes médiatiques sur l’opinion publique, qui n’avait encore jamais été examiné de manière systématique. En montrant que l’opinion publique réagit aux débats entourant une des tempêtes médiatiques détectées pendant la campagne électorale, je contribue à expliquer la réactivité des

acteurs politiques envers les enjeux qui sont au centre des tempêtes médiatiques. En effet, dans la mesure où un enjeu interpelle les médias comme les citoyens, il semble logique de croire que les partis politiques qui luttent pour se faire élire ne peuvent généralement pas faire l’économie d’une gestion minimale de cet enjeu. Cela est d’autant plus vrai que les périodes de tempête se caractérisent par une diminution de l’efficacité des efforts de construction de l’agenda (voir le Tableau V, au deuxième chapitre).

4.3.3. Les tempêtes médiatiques et la construction de l’agenda

Ces remarques mettent d’ailleurs la table à une brève discussion à propos du deuxième courant de recherche qui devrait s’intéresser aux conclusions de cette thèse : la communication électorale en général et, plus spécifiquement, les littératures sur les dynamiques de construction de l’ordre du jour. En montrant que certains contextes communicationnels sont moins propices à l’action des partis politiques — notamment parce que les médias tendent à inclure moins d’enjeux alors qu’ils se concentrent fortement sur ceux qui prennent une grande place dans la couverture médiatique —, cette thèse entre en dialogue avec ceux qui réfléchissent à la manière dont les acteurs politiques cherchent à maximiser leur impact durant une campagne électorale. Elle suggère ainsi un nouveau vecteur de réflexion théorique et pratique à propos de l’influence que ces derniers espèrent avoir sur les médias. Réaliser qu’un contexte communicationnel est caractérisé par la présence d’une tempête médiatique devrait maintenant susciter une réflexion poussée à propos de la manière dont il convient d’y faire face.

Un des aphorismes les plus répandus de la communication électorale est que la meilleure campagne est celle qui reste on message, c’est-à-dire qui respecte la stratégie de communication élaborée avec grand soin avant le déclenchement de la campagne. Il fut choisi comme titre d’un des ouvrages phare de la recherche en communication électorale (Norris et coll. 1999) et est souvent cité en tant que facteur déterminant du succès d’une campagne (Flanagan 2009, 2014; Martin 2010). Or, mes recherches suggèrent qu’il serait parfois mieux avisé de chercher à gérer le débat autour d’un item politique qui fait tempête que de discuter du nouvel enjeu que le parti avait prévu mettre de l’avant cette journée-là. Évidemment, il est encore un peu tôt pour le dire avec certitude, mais il s’agit à mon avis d’une des pistes de recherche les plus intéressantes à

suivre pour un chercheur ou un stratège désireux de concevoir de manière dynamique le contexte dans lequel s’inscrivent les efforts de construction de l’agenda. Il s’agirait en effet d’une façon proactive de penser la mise en application d’un plan de campagne, où il serait parfois cohérent de détourner une partie de ses ressources communicationnelles pour gérer une situation qui, s’il s’agit bien d’une tempête médiatique, devrait rester plusieurs journées de suite en vedette dans l’agenda médiatique.

L’ubiquité des tempêtes médiatiques rend par ailleurs leur identification informelle plus facile et, par conséquent, améliore l’utilité pratique de la théorie portée par cette thèse. Comme cela fut mentionné à la sous-section 4.2.2, le fait que les premières études sur les media hypes utilisaient une stratégie d’identification de type « you-know-it-when-you-see-it » constitue une qualité indéniable pour les stratèges et acteurs politiques qui voudraient tenir compte des tempêtes médiatiques dans leur pratique quotidienne. Apprendre à reconnaitre les tempêtes et à systématiser la réponse tactique qu’il convient d’appliquer pourrait donner un avantage aux praticiens impliqués dans les campagnes électorales. La recherche sur la question est encore embryonnaire, mais les premiers résultats suggèrent qu’il s’agirait potentiellement d’une dimension cruciale de toute campagne électorale, surtout dans un monde où les identités partisanes et sociales sont moins déterminantes qu’auparavant.