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L’impact d’une tempête médiatique sur l’opinion publique électorale

4.4. Futures avenues de recherche

Une bonne étude ne se juge pas seulement à partir des réponses qu’elle propose, mais aussi à partir des pistes de recherche qu’elle défriche pour ceux qui seraient désireux de suivre ses traces. Cette thèse offre plusieurs avenues intéressantes pour tout chercheur souhaitant pousser un peu plus loin la démarche intellectuelle ici entamée. Cette section vise à en présenter quelques-unes de celles qui m’apparaissent les plus stimulantes.

4.4.1. Les tempêtes médiatiques à l’heure des médias sociaux

Dans un contexte où la parole citoyenne prend une place de plus en plus importante par l’entremise des médias sociaux — et de l’attention continue que les journalistes leur accordent —, l’émergence d’items exogènes aux discours des élites politiques risque de devenir de plus en plus fréquente. Ces environnements communicationnels, où œuvrent une part significative des citoyens ainsi que d’acteurs politiques et médiatiques en tous genres, tendent à valoriser la viralité et constituent donc un terreau potentiellement fertile pour l’apparition ponctuelle de phénomènes similaires aux tempêtes médiatiques. Il serait pertinent d’examiner dans quelle mesure des critères similaires à ceux mobilisés pour la détection des tempêtes médiatiques pourraient permettre de mieux comprendre les patrons d’attention sur les médias sociaux. Il apparait raisonnable d’estimer que certains enjeux accaparent parfois les conversations sur ces plateformes en ligne et, le cas échéant, qu’ils contribuent d’une manière significative aux ordres du jour politiques et médiatique.

Après avoir discuté, dans la sous-section précédente, de la difficulté à mettre en place un appareillage méthodologique adapté à l’évaluation des effets de périodes de tempête sur les comportements politiques des citoyens, il est raisonnable de souligner que les médias sociaux semblent offrir une occasion en or de le faire. Bien qu’ils ne puissent pas prétendre offrir des échantillons représentatifs de l’ensemble de la population d’un pays, ils possèdent tout de même plusieurs attraits majeurs pour tout individu soucieux de suivre l’évolution de l’opinion publique, dont l’accessibilité de données collectées en permanence n’est pas le moindre. Il s’agit d’une solution accessible pour pallier les problèmes liés à l’imprévisibilité de l’émergence des

tempêtes médiatiques, puisque de telles données sont récoltées en tout temps et qu’il est, du moins pour l’instant, possible d’y accéder rétroactivement.

4.4.2. La gestion des tempêtes médiatiques électorales

Après avoir démontré que les tempêtes médiatiques en période électorale réduisaient la quantité et la qualité de l’espace disponible pour les enjeux n’y étant pas liés, qu’elles réduisaient l’efficacité des efforts de construction de l’agenda déployés par les partis politiques et qu’elles pouvaient avoir une influence importante sur les attitudes électorales des citoyens, il semble à propos de s’interroger sur la manière dont les partis politiques devraient réagir lorsqu’ils constatent l’émergence d’une tempête médiatique. En effet, de telles conclusions impliquent que certains contextes seraient moins propices à l’annonce d’engagements électoraux, puisque ces derniers auraient moins tendance à être diffusé par les médias et qu’ils seraient donc moins susceptibles de rejoindre les électeurs.

Confrontés à une situation qui amenuise les chances de succès de construction de l’ordre du jour, les partis se trouvent alors dans une position inconfortable. Devraient-ils serrer les dents, annoncer leur promesse électorale, et attendre que la tempête passe? Au contraire, serait-il plus avisé de remettre cette annonce à plus tard, pour consacrer la plus grande partie de leurs maigres ressources communicationnelles à « gérer » la tempête, c’est-à-dire s’engager dans la lutte pour la définition des items politiques au cœur de cette dernière? Mes recherches suggèrent — mais ne prouvent pas — qu’il peut s’agir d’une stratégie payante.

Par exemple, dans le cas de la tempête médiatique à propos de la crise des réfugiés, le Parti libéral du Canada, qui n’avait auparavant émis aucun message sur le sujet, semble avoir vite reconnu l’opportunité qui s’offrait à lui. Pendant toute la durée de la tempête, il s’est efforcé de cadrer l’enjeu en tant que crise humanitaire face à laquelle le Canada avait un devoir moral indéniable, un argument qui semble avoir résonné auprès d’un certain nombre d’électeurs. La partie centrale de la Figure 10 (section 3.4.1) montre comment le fait d’accepter la proposition est devenu un déterminant de plus en plus important de la probabilité de vouloir voter pour le PLC et, au contraire, de songer à bouder les conservateurs. Ces considérations amènent à se demander dans quelle mesure la victoire du Parti libéral pourrait être attribuée à sa volonté,

maintes fois démontrée, de se saisir des opportunités découlant de la présence d’une tempête médiatique afin de se mettre en valeur. À mon avis, une telle question mériterait d’être examinée par ceux qui souhaiteraient bâtir sur la démarche amorcée dans cette thèse.

Plus généralement, une réflexion systématique à propos de la meilleure manière de réagir à l’émergence d’une tempête médiatique électorale semble ici s’imposer. Il importe en effet de garder en tête l’invitation à la prudence lancée à la section 4.2. Puisque nos résultats proviennent tous de la même étude de cas, il est possible que le PLC ait simplement été chanceux et que sa victoire n’ait rien à voir avec la façon dont il a réagi aux tempêtes médiatiques qu’il a rencontrées sur sa route. Peut-être qu’une approche mitoyenne, où les partis politiques séparent leur attention quotidienne entre les enjeux dont ils avaient prévu de parler et ceux qui sont au cœur de la tempête, serait plus adaptée à leurs objectifs stratégiques électoraux.

4.4.3. Des effets contingents

Une autre des pistes de recherche logique à parcourir pour tout chercheur désireux de poursuivre la démarche ici entamée pourrait être de ne pas s’arrêter à la présence d’une tempête médiatique dans l’environnement communicationnel, mais aussi d’examiner s’il est possible que les caractéristiques spécifiques à chaque tempête se traduisent par des effets différenciés. Plusieurs variables constituent des candidats plausibles.

Premièrement, la « force » d’une tempête risque vraisemblablement d’exercer une force de gravité variée sur les différents composants de l’environnement communicationnel électoral. Il apparait en effet logique d’estimer que les tempêtes qui génèrent une très grande couverture médiatique, comme l’affaire Duffy (présence moyenne de 43,67 % des paragraphes incluant au moins un enjeu pendant 21 jours) et la crise des réfugiés (52,71 %), aient un impact plus marqué que celles qui franchissent à peine les seuils définitoires utilisés dans les recherches sur le phénomène. S’il s’avère que la contingence des effets des tempêtes médiatiques soit vérifiée, cela pourrait nourrir la réflexion amorcée par Boydstun et ses collègues (2014, 520) à propos de l’ampleur de l’attention médiatique qu’un item doit obtenir avant de se qualifier en tant que tempête. Il serait peut-être même possible d’établir une classification des tempêtes selon le niveau d’attention qu’elles obtiennent et, conséquemment, d’évaluer comment chacune impacte

l’environnement communicationnel dans lequel elle s’inscrit. Il semble d’ailleurs fort probable qu’une telle classification se révèle extrêmement pertinente pour les pistes de recherche que nous avons énoncées à la sous-section précédente (4.4.2).

Deuxièmement, le niveau de prévisibilité d’une tempête médiatique devrait constituer un candidat de choix dans la quête pour nuancer la compréhension du phénomène. En effet, pour reprendre les exemples détectés dans la thèse, il est aisé de classer les trois tempêtes sur un continuum de prévisibilité :

Figure 12. Prévisibilité des tempêtes médiatiques de la campagne fédérale de 2015

L’annonce de la date de commencement du procès du sénateur Duffy, qui correspond au début de la tempête médiatique, était connue depuis longtemps et les acteurs politiques avaient eu tout le loisir de s’y préparer avec soin. Cela explique vraisemblablement l’absence absolue de l’enjeu dans les communications officielles du Parti conservateur, qui a vraisemblablement fait le choix de ne pas aborder la question même s’il savait que ses adversaires et que les médias y accorderaient beaucoup d’attention. Il apparait toutefois légitime se demander si l’ampleur de la couverture médiatique n’a pas surpris les stratèges conservateurs. Ils avaient néanmoins prévu une série d’annonces sensationnelles pendant la période du procès, telles que les restrictions de voyage en « zones terroristes », la protection des minorités religieuses (les chrétiens) au Moyen- Orient, et le démantèlement des sites supervisés d’injection de drogue.

Au contraire, l’émergence de la tempête médiatique à propos de la crise des réfugiés a semblé causer la surprise la plus totale au sein des troupes conservatrices. Le lendemain de la publication de la photo ayant déclenché la crise, ils ne mentionnent aucun enjeu pour la première

Prévisible Imprévisible

fois de la campagne électorale (après plus de 30 jours d’annonces ininterrompues). Deux jours plus tard, une autre journée entière se déroulera sans qu’ils fassent la promotion d’un enjeu électoral. Il s’agira d’ailleurs des deux seules journées de campagne sans annonce de la part du chef conservateur. On peut se demander si une telle hésitation, combinée à la réticence du parti à accorder de l’espace à l’enjeu dans les jours subséquents, n’a pas contribué aux succès des efforts de définition de la situation mis de l’avant par les deux autres partis. Une réaction plus vigoureuse des conservateurs aurait peut-être réussi à atténuer la pression réactive imposée par la tempête et, conséquemment, à améliorer la pénétration des autres enjeux dont ils faisaient la promotion pendant la tempête.

Comme je l’ai mentionné dans le premier article, les partis vulnérables aux enjeux qui font tempête sont moins susceptibles de les invoquer dans les publications officielles que les autres acteurs. Cette proposition pourrait être explorée de manière beaucoup plus nuancée grâce à la prise en compte du courant de recherche qui s’intéresse à un phénomène nommé « issue

ownership » (Bélanger 2003; Bélanger et Nadeau 2015; Petrocik 1996; Petrocik, Benoit, et

Hansen 2003; Thesen, Green-Pedersen, et Mortensen 2017). Ce dernier défend l’idée voulant que les acteurs politiques auraient une meilleure influence lorsqu’ils interviennent sur des enjeux à propos desquels ils jouissent d’une réputation de compétence. Selon cette logique, les tempêtes médiatiques devraient ainsi avoir des conséquences différenciées pour les partis politiques. On peut par exemple penser que ceux qui bénéficient d’une aura de compétence se trouveraient en meilleure posture pour bénéficier de la situation, alors le calcul couts-bénéfices serait beaucoup moins favorable pour les autres. Il est aussi logique de supposer que les cadres mis de l’avant par un parti jugé crédible sur la question auraient un effet plus prononcé sur les attitudes citoyennes.