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0.2. Cadre d’analyse

0.2.3. Sur les effets des hausses subites de l’attention médiatique

Le concept est mobilisé par cette thèse afin de mieux comprendre le caractère mouvant de l’environnement communicationnel électoral. Elle explore la proposition selon laquelle, dans un contexte où la compétition pour le contrôle de la trame narrative politico-médiatique est très élevée, l’explosion de la couverture médiatique consacrée à un enjeu ou évènement particulier risque de bouleverser de façon significative l’environnement communicationnel au sein duquel s’inscrivent les échanges entre les acteurs politiques et médiatiques. En d’autres termes, elle s’interroge à propos de la linéarité des dynamiques de construction de l’ordre du jour. Bien qu’à ma connaissance, aucune étude n’ait examiné l’effet des tempêtes (ou tapages) médiatiques en contexte électoral, la recherche s’étant effectuée sur le phénomène laisse croire qu’elles sont susceptibles d’avoir un effet majeur sur les dynamiques électorales de construction de l’agenda et de mise à l’agenda.

Dans une étude analysant les tempêtes médiatiques au sein des quotidiens New York

Times et De Standaard sur plus d’une dizaine d’années, Boydstun, Hardy et Walgrave (2014)

montrent comment les périodes qui comprennent une tempête médiatique se caractérisent par une attention médiatique beaucoup plus concentrée que les autres périodes, ainsi que par une plus grande stabilité dans la variété des enjeux qui sont abordés chaque jour. Hors tempête, les enjeux inclus à l’ordre du jour sont plus susceptibles de changer d’un jour à l’autre. Dans une logique complémentaire, Walgrave et coll. (2017) montrent que les enjeux au cœur des tempêtes médiatiques tendent à plus retenir l’attention des représentants au Congrès américain, ce qui les

pousse à conclure que l’influence de l’ordre du jour médiatique sur les acteurs politiques n’opère pas de la même manière durant les périodes de tempête.

Wolfsfeld et Sheafer (2006) élaborent un modèle complexe afin de mieux comprendre la capacité des acteurs politiques à tirer profit des hausses subites et explosives de l’attention médiatique. Ils arrivent à la conclusion que les déterminants les plus importants de la capacité à saisir les opportunités communicationnelles offertes dans de telles situations sont liés à des traits personnels des acteurs politiques, tels que leur « charisme communicationnel », leur statut politique, ainsi que la proximité thématique entre l’enjeu qui fait sensation et leur image de marque. En d’autres termes, tous les acteurs politiques ne sont pas nécessairement égaux face aux hausses subites et explosives de l’attention médiatique.

Au contraire de ces trois analyses, qui défendent un effet significatif de ces phénomènes sur différents maillons de la chaine de communication politique, Elmelund-Præstekær et Wien rapportent plutôt une absence d’influence directe sur les acteurs politiques. Dans une analyse des effets de l’attention médiatique consacrée aux soins des ainés au Danemark sur l’action des élites politiques en la matière, ils arrivent en effet à la conclusion que « the five analyzed media hypes did not bring about new policies, increases of budgets, dismissal of ministers, changing laws, or other types of regulations. A lot of things were discussed, and many political initiatives were proposed, thus the policy agenda was influenced, but no action was in fact taken » (2008, 254). Néanmoins, la découverte d’un effet significatif de mise à l’agenda politique (political

agenda-setting), c’est-à-dire partant de l’ordre du jour médiatique pour se propager dans l’ordre

du jour politique, constitue une trouvaille notable, spécialement pour un projet qui s’intéresse aux dynamiques communicationnelles électorales. Comme le suggèrent en effet Walgrave et Van Aelst, les campagnes électorales altèrent les dynamiques communicationnelles usuelles:

the electoral context radically changes the behavior of [the] media and politicians. First, the composition of the (normally) multilayered and complex political agenda changes dramatically; central actors like government and parliament and their substantial agendas make room for political parties with their symbolic agendas (2006, 97).

Ces conclusions soulèvent plusieurs questions quant aux effets des tempêtes médiatiques durant les campagnes électorales. Elles risquent en effet de bouleverser les dynamiques usuelles

de construction de l’agenda. Si l’environnement médiatique en période de tempête est moins sujet au changement et si l’attention des journalistes tend à se concentrer en majeure partie sur les enjeux et cadres en rapport avec la tempête médiatique, cela impliquerait donc que certains contextes seraient moins propices à la promotion efficace d’autres enjeux. De plus, cette intense concentration médiatique, qui interpelle déjà les acteurs politiques hors des périodes électorales, pourrait générer une immense pression réactive durant les campagnes électorales, où la capacité à contrôler la trame narrative est souvent perçue comme le signe d’un parti prêt à gouverner.

Cette pression réactive serait d’autant plus importante s’il se révélait que les citoyens étaient sensibles aux enjeux qui constituent le cœur de ces tempêtes, comme le suggèrent (sans l’examiner) Giasson, Brin et Sauvageau (2010). Devant l’ampleur de ces phénomènes, il semble logique de supposer que leurs effets (potentiels) sur l’opinion publique risquent de persister bien au-delà des périodes où la couverture médiatique inclut une tempête. En période électorale, il deviendrait ainsi possible qu’une tempête médiatique, si elle survient assez tard dans une campagne, puisse constituer un déterminant significatif du choix de vote d’électeurs soumis à l’immense attention médiatique que sa présence implique.

Généralement parlant, la littérature sur le processus de mise à l’agenda laisse croire que tel est bien le cas, mais aucune analyse ne s’est encore attaquée à la question d’une manière systématique. Wolfsfeld et Sheafer (2006) indiquent par exemple que la prise en compte de l’opinion publique serait souhaitable, mais que leur appareillage méthodologique ne permet pas de le faire. L’article de Boydstun, Hardy et Walgrave (2014) teste une hypothèse à propos des impacts des tempêtes médiatiques sur l’opinion publique, mais il se contente de montrer, à l’aide de données tirées de Google Trends, que quatre périodes de tempête s’accompagnent de hausses concomitantes et « explosives » du nombre de recherches Internet à propos de l’enjeu qui les a déclenchées.

Suivant le récapitulatif d’une littérature émergente relativement rare, mais qui suggère un effet important du phénomène sur les dynamiques de construction de l’ordre du jour et, dans une suite logique, sur les citoyens que les médias desservent, cette thèse de doctorat mobilise le concept de tempête médiatique afin d’explorer ses impacts sur les trois maillons de la chaine de communication électorale :

1) les médias (et la stabilité de l’espace médiatique dévolu à la campagne);

2) les acteurs politiques (et l’efficacité de leurs efforts de construction de l’agenda); 3) les citoyens (et l’évolution des attitudes politiques liées aux tempêtes).

Il s’agit d’un programme de recherche novateur, qui comblera plusieurs vides théoriques et empiriques liés à la compréhension des phénomènes de tempête médiatique et de construction de l’ordre du jour. Avant d’entrer dans les détails des chapitres consacrés à l’examen de ces questions spécifiques, la prochaine section décrira l’appareillage méthodologique élaboré afin de recueillir des données adéquates pour cette démarche.