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0.2. Cadre d’analyse

0.2.2. Sur les tempêtes médiatiques

Ces trois critères ne sont pas sans rappeler ceux qui définissent de plus récentes études, qui s’intéressent à la manière dont l’attention médiatique peut, à l’occasion, se focaliser d’une manière extrêmement subite et concentrée sur certains enjeux spécifiques. Les premiers travaux sur la question suggèrent que ces hausses soudaines de l’attention médiatique amèneraient des bouleversements importants dans l’environnement communicationnel politico-médiatique. Les

premières publications d’un des pères fondateurs de la recherche sur le sujet (Vasterman 1995)11

réfèrent à ce concept en tant que « tapage médiatique » (media hype).

La connotation négative du terme — qui est moins marquée en français — est pleinement assumée par l’auteur, qui dénonce le « mismatch between these news waves and the real world the media are supposed to cover » (Vasterman 2005, 509). Plusieurs traces de la conception négative que l’auteur entretient à l’égard du phénomène sont perceptibles dans la définition qu’il en propose :

[Media hype are] a media-generated, wall-to-wall news wave, triggered by one specific event and enlarged by the self-reinforcing processes within the news production of the media. During a media hype, the sharp rise in news stories is the result of making news, instead of reporting news events, and covering media-triggered social responses, instead of reporting development that would have taken place without media interference (Vasterman 2005, 515).

Selon l’auteur, ces tapages médiatiques démarreraient à partir d’enjeux généralement peu pertinents et peu fréquents, mais la couverture démesurée que les médias leur accordent contribuerait toutefois à générer « a chain of events that would not have taken place without their involvement » (2005, 510) qui amènerait les décideurs politiques à prendre action et qui entrainerait « all kinds of consequences for the social actors involved » (idem). L’ampleur et la durée inusitées de la couverture s’expliqueraient essentiellement par deux mécanismes complémentaires, qui sont bien résumés par Boydstun et ses collègues (2014, 512) :

(a) lower gatekeeping thresholds (when a spectacular event or issue develops, news outlets temporarily change their news selection process and lower the thresholds of newsworthiness for related events and issues, helping to produce a storm) and (b) imitation (news outlets’ tendencies to imitate one another’s news selection decisions help generate and then fuel media storms).

Ainsi, à mesure que différentes organisations médiatiques s’intéresseraient de plus en plus à un enjeu ou évènement donné, chacune chercherait à surenchérir sur la couverture de ses concurrents et serait réticente à être perçue comme étant la première à abandonner un sujet qui

11 Bien que le texte original, publié en 1995, soit écrit en néerlandais, une version traduite en anglais est disponible

crée autant la sensation. Cela contribuerait à alimenter un engrenage qui hausserait le profil de l’enjeu et à générer une couverture médiatique si anormalement élevée qu’elle interpellerait les acteurs politiques et les citoyens. Par exemple, Vasterman montre comment quelques cas épars de violence gratuite, survenus au tournant du siècle dernier aux Pays-Bas, ont contribué à déclencher une intense vague de couverture médiatique et une réaction citoyenne importante. Bien qu’il reconnaisse que « in this kind of process of escalation, there is no simple chain of cause and effect » (2005, 520), il n’en conclut pas moins à la page suivante que la situation est attribuable à l’action des médias.

Un problème plus fondamental du concept de tapage médiatique réside dans l’ambigüité des critères empiriques permettant de les identifier. Les premiers travaux de Vasterman (1995, 2005) reposent sur une identification informelle, basée sur l’idée qu’un tapage médiatique se reconnait intuitivement lorsqu’il se rencontre (you-know-it-when-you-see-it). Quelques études subséquentes (Elmelund-Præstekær et Wien 2008; Giasson, Brin et Sauvageau 2010; Wien et Elmelund-Præstekær 2009; Wolfsfeld et Sheafer 2006) se sont efforcées, avec divers degrés de succès, de développer des critères plus objectifs et de plus en plus sophistiqués, mais sans réussir à s’entendre sur une définition consensuelle du phénomène, susceptible d’être mobilisée à plus grande échelle dans des démarches de recherche à visée comparative.

Par exemple, Elmelund-Præstekær et Wien (2008) estiment qu’un seuil minimal de dix articles publiés le même jour, sur le même sujet, est suffisant pour identifier les cas de tapage médiatique. Puisque leur corpus inclut cinq journaux, cela veut donc dire qu’une moyenne de deux articles par journaux leur suffit pour qualifier une couverture médiatique « d’intense ». Dans une analyse des « vagues politiques » en Israël, Wolfsfeld et Sheafer (2006) expliquent que les cas dignes d’intérêt doivent a) inclure au moins un article en page principale des deux journaux qu’ils ont retenus b) pendant au moins 3 jours, c) que ces articles doivent apparaitre au moins une fois sous un élément de titre « répétitif » qui identifie la vague et d) que l’enjeu ou l’événement qui déclenche la vague ne constitue pas un élément routinier (budget, etc.). De leur côté, dans un examen des vagues d’attention médiatique successives accordées aux « accommodements raisonnables » dans la province du Québec, Giasson, Brin, et Sauvageau (2010) invoquent quatre critères définitoires de ce qu’ils appellent un « tsunami médiatique » : la présence d’un évènement initial déclencheur; une première vague importante de couverture

associée à cet évènement; une période d’accalmie relative; et l’arrivée de vagues de couverture secondaires plus importantes que la première.

Reconnaissant le problème d’éparpillement des analyses consacrées au sujet, Boydstun, Hardy et Walgrave (2014) remarquent que trois caractéristiques principales reviennent dans la plupart des définitions proposées : l’ampleur de l’attention médiatique à propos d’un enjeu ou d’un évènement spécifique, la soudaineté (explosiveness) de la hausse de l’attention qui lui est consacrée et, enfin, l’idée qu’une durée minimale de cette attention est requise. Walgrave et ses collègues soulignent avec justesse que « the attractiveness of [this] conceptualization of media storms is that [the] three dimensions—explosiveness, amount, and duration—largely map onto cognitive psychology’s criteria of saliency, frequency, and recency for signals to grasp people’s attention » (2017, 556).

À partir de ces considérations théoriques, Boydstun et collègues suggèrent un nouveau concept, héritier de tous ceux avancés par leurs prédécesseurs, dont l’identification repose sur des critères empiriques précis : 1) occuper au moins 20 pour cent de l’agenda médiatique12, 2)

pendant au moins une semaine, 3) en hausse d’au moins 150 pour cent comparativement à la semaine précédente. Afin d’éviter toute confusion avec les concepts parents (media hype, media

wave, etc.), mais moins clairement délimités, ils suggèrent le recours au syntagme de « tempête

médiatique » (media storm), qu’ils définissent formellement comme « [the] explosive increase in news coverage of a specific item (event or issue) constituting a substantial share of the total news agenda during a certain time » (2014, 511).

Cette définition du concept présente plusieurs avantages importants pour ceux qui visent à mieux comprendre l’impact des hausses subites et explosives de l’attention médiatique. D’une part, elle permet une identification objective des enjeux qui constituent une tempête médiatique, selon les trois critères mentionnés au paragraphe précédent. D’autre part, elle évacue la question de la provenance de l’enjeu autour duquel s’articule la tempête. Ce dernier peut être avancé par un acteur politique ou gouvernemental et faire sensation dans les médias. Il peut aussi découler

12 Pour mesurer l’ordre du jour médiatique quotidien, Boydstun et ses collègues proposent d’examiner les trois

premières pages de deux médias nationaux (New York Times et De Standaard), où l’article en entier constitue l’unité d’analyse et où un codage subjectif détermine quel est l’enjeu principal de l’article (2014, 518).

d’un évènement naturel ou politique, imprévu ou anticipé, ou être de nature juridique. Un tel décloisonnement permet d’élargir le faisceau de la recherche sur le sujet; tant que les critères d’identification sont respectés, il s’agit d’une tempête médiatique. Enfin, la définition est formulée de manière à exclure toute connotation normative. Une tempête n’est ni déplorable ni louable. Il s’agit d’un phénomène qui apparait épisodiquement dans les médias et dont on peut évaluer les effets sur l’environnement communicationnel politico-médiatique, sur les discours qui y interagissent ainsi que sur les citoyens.