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Chapitre 2. Les dimensions genrées du conflit de Casamance

II. Comprendre le genre en Basse Casamance : des arrangements de genre composites

2. Un modèle socio-culturel favorisant l’autonomie des femmes

Le modèle social diola est patriarcal et patrilinéaire en ce sens que c’est le lignage paternel qui prime, notamment en matière de transmission des richesses et des statuts (Ki Zerbo). Cependant, ce système patrilinéaire est relativement peu contraignant pour les femmes. En Basse-Casamance, les hommes ont peu de contrôle sur leurs femmes, leurs filles et leurs sœurs. Contrairement à d’autres ethnies du Sénégal, le contrôle de la virginité et l’excision sont des pratiques culturelles peu ou pas du tout observées, même si elle existe dans certaines zones comme le Blouf, au sein même des diolas. L’âge de mariage des femmes est relativement tardif par rapport à la moyenne du Sénégal (20 – 22ans)281. Les femmes ont également la liberté de

se choisir un époux, à condition de respecter les règles d’exogamie, c’est-à-dire de se marier hors du clan, de la famille au sens large (d’où les métissages fréquents). Les beaux-parents ont l’interdiction absolue d’intervenir dans les affaires conjugales, et la polygamie est une pratique peu répandue qui, dans les rares cas, se limite à deux femmes. Le divorce est aisé et peut être à l’initiative de la femme, qui peut laisser ses enfants à son mari et ne rencontrer aucune difficulté pour se remarier. Toutes ces pratiques donnent une relative liberté à la femme et diminuent le contrôle social des hommes282.

Toutefois, le célibat prolongé n’est pas toléré que ce soit pour les jeunes filles, les veuves et les divorcées (idem). Une institution féminine est chargée d’y veiller (Buji ou Bayankatetin), car la fonction reproductrice de la femme est essentielle au sein du mariage et chez la femme. La maternité est un gage de socialisation. Chez les hommes, le passage du statut de garçon (enfant) à celui d’homme (adulte) est marqué par la cérémonie rituelle de la circoncision (buje ou bukut) qui a lieu tous les trente ans en moyenne et qui s’accompagne d’une retraite initiatique de

281 O. Journet, Les créances de la terre, op. cit. 282 Awenengo 2007, Journet 2007.

plusieurs jours dans la forêt283. Chez les femmes, le passage à l’âge adulte est marqué par

l’accouchement « Il faut avoir engendré pour savoir ce que c’est d’être une femme »284. La

maternité est une exigence sociale quasi ontologique car une femme sans enfants est non seulement privée de l’accès aux plus puissantes organisations féminines, mais aussi de son identité sexuelle. Elle est facteur d’inclusion et d’exclusion en ce qu’elle procède à une classification des membres d’une même entité285. D’où de nombreux rites féminins à l’exemple

du Kañaalen consacrés à la fertilité et à la lutte contre la mortalité infantile « La construction

de l’identité sexuée s’opère en plusieurs temps, lors desquels sont mises en œuvre des opérations complexes qui combinent séparation, apprentissages et révélations, épreuves et positionnement spécifique dans l’espace religieux, notamment sacrificiel »286.

Outre le statut de mère, l’importance de la figure féminine est également marquée par le système d’organisation sociale qui fonctionne autour de la triade mère/frère de la mère/neveu utérin (Ki Zerbo). La femme est un élément central de la triade diola. La concession maternelle (famille d’origine) est d’une importance capitale, en particulier pour les fils. Le neveu utérin (asampul) est le parent sur lequel tout repose lorsqu’une situation est source de tensions. Il est le médiateur qui régule les relations inter personnelles de sa maison maternelle. Il peut même être appelé à intervenir pour le partage des rizières ; sa neutralité et son objectivité sont garanties par le fait que ses biens et intérêts se trouvent dans la concession de son père. La contestation de son arbitrage est inenvisageable, même dans les cas où il est plus jeune. Il est également celui qui est chargé des travaux en cas de fêtes ou de deuil chez ses parents maternels. Ces derniers peuvent toujours compter sur lui (idem). Dans certaines sociétés comme le Bandial, l’inverse est également valable chez la fille qui est ariimen dans la concession de son père.

La femme est également l’agent et le symbole de la richesse dans les sociétés diola, qui font une correspondance entre terre-femme-procréation comme source de richesse « Il y a une

correspondance entre le riz et l’enfant, fruit de la femme »287. La richesse du diola n’est pas

estimée en possessions matérielles mais en bœufs et en champs, notamment en rizières et surtout en riz. Certains possèdent ces richesses mais n’ont pas d’enfants ou n’ont que des filles, donc pas de bras pour fructifier ces richesses. Or dans la pensée diola, la richesse matérielle n’existe pas sans l’enfant (surtout le garçon étant donné que la fille, selon le principe

283 Le buk ut est une cérémonie de circoncision des hommes. La cérémonie est cyclique et a lieu par générations

(tous les 30 ans en moyenne).

284 Journet 1994 p347.

285 P. Diédhiou, L’identité jóola en question, op. cit. 286 Journet 1994 p178.

d’exogamie, est destinée à fructifier les richesses d’une autre lignée –celle de son mari- à son mariage ; néanmoins lorsqu’il n’y a pas de garçon, les filles peuvent remplir ce rôle). Celui qui a un enfant a une richesse sûre, puisqu’il pérennise le groupe. Dans ce contexte, le pauvre est riche de ses enfants « Le pauvre qui engendre se couronne roi288». C’est la fonction de l’enfant

en matière d’alliance et de reproduction harmonieuse du groupe qui donne une richesse sociale et matérielle, et la richesse du diola ne se mesure pas par son capital numéraire mais par son stock de riz qui est le reflet de son ardeur au travail. Le cheptel d’animaux (bœufs, chèvres etc) n’est pas utilisé pour aider aux travaux agricoles ; le diola travaille avec ses enfants à la force de ses bras, et les animaux sont réservés aux sacrifices rituels ou lors de cérémonies. On comprend donc pourquoi il y a une obligation de la femme d’enfanter, et pourquoi le mariage n’est pertinent que par sa fonction de reproduction. Dans ce contexte, la pauvreté ou la richesse d’une communauté dépend de la femme. Ainsi, la fonction de mère permet à la femme de jouer un rôle juridique important car c’est elle qui contribue de manière décisive à la cohésion et à la reproduction de la société. Sa fonction de fille de la concession l’initie déjà au travail dans les rizières, et c’est en qualité d’épouse qu’elle accroît la richesse de son mari, richesse qui reviendra à ses enfants.

Par ailleurs, les femmes ont des espaces qui leur sont propres et qui sont interdits aux hommes, à moins qu’ils n’y soient conviés289. Elles ont développé un tissu associatif particulièreme nt

dense, et cette capacité d’organisation est une spécificité qui nous intéresse dans notre étude pour deux raisons : d’abord cela leur permet de développer un espace d’autonomie indépendant de celui des hommes, et ensuite cela leur permet d’avoir une capacité de mobilisation rapide et numériquement importante leur permettant de peser si besoin dans les affaires publiques. Selon O. Journet, « C’est selon des modalités différentes que les femmes casamançaises se

regroupent en association : selon leurs lieux d’habitation (originel ou celui de leur époux), leur classe d’âge, leur famille, leurs activités économiques ou encore leurs cultes » (idem). En Basse

Casamance, les associations cultuelles ont des fonctions sociales essentielles : elles sont le gage de la prospérité matérielle ou physique du groupe, de la fécondité des femmes, de la santé des enfants, de l’accouchement ou de la maternité. Elles permettent également la survenue des pluies (déterminant dans une société agricole). C’est pourquoi de nombreux ukin (lieux de culte) sont détenus par des femmes, et que ces dernières sont particulièrement craintes par les hommes. Une seule condition est à remplir pour pouvoir être initié à ces cultes : avoir un enfant

288 N. Diatta 1998 cité dans Ki Zerbo p129.

vivant, gage de maturité et de prospérité (idem). Musulmanes et chrétiennes peuvent se retrouver dans les associations, car souvent les diolas sont animistes chrétiens ou animistes musulmans sans que cela ne soit incompatible. Hommes et femmes se déclaraient souvent «

chrétiens de nom, païens de mœurs»290. Les associations féminines remplissent donc une

fonction sociale (prières, discussions) mais servent aussi parfois de juridiction informelle pour mettre à l’amende de jeunes hommes en cas de comportements déviants (vols etc). Les femmes y consacrent à leurs associations beaucoup de temps ; elles font parfois une retraite de plusieurs jours durant lesquels ce sont les hommes qui s’occupent des travaux agricoles, des tâches ménagères et du soin des enfants291.

Comparativement aux femmes, les hommes ne sont pas intégrés aussi activement dans des tissus associatifs292. Des moments ponctuels de manifestations ou de préparation d’un

évènement villageois, de formation de groupes de jeunes par tranche d’âge pour l’entraide dans les travaux agricoles (existe aussi chez les femmes) peuvent donner lieu aux regroupements associatifs masculins. Néanmoins, l’horizon social des femmes est beaucoup plus ouvert. « Intégrées dès leur premier accouchement aux associations cultuelles de leur quartier marital,

elles ont aussi la possibilité, si leur domicile familial n’est pas très éloigné, de continuer à participer aux associations « d’amies » dans leur quartier natal » (idem). Or pour les hommes,

l’horizon quotidien se limite au quartier natal. Qu’il s’agisse d’entraide économique, d’évènements rituels ou de prises de décisions collectives, il se retrouvera toujours associé aux mêmes partenaires. Son rôle d’asampul peut l’amener à retourner dans son village maternel, mais pour des moments bien ponctuels.

Ainsi, l’importance de la femme dans la société diola est perceptible avant tout par son statut de mère et d’épouse. Ses fonctions de donneuses de vie, de mères et d’épouses sont prédominantes.

Pourtant des paradoxes subsistent dans les rapports de pouvoirs, faisant état d’arrangements de genre composites : les hommes sont supérieurs dans les domaines politiques et légaux, mais les femmes ont aussi un pouvoir dans la sphère domestique privée, économique et publique. À cause du rôle maternel, les femmes ont relativement beaucoup d’autonomie personnelle, sociale et économique. Sur le plan privé elles ont une grande influence dans leur ménage, et dans la sphère publique dans la gestion des affaires, surtout dans leur village natal en tant que filles ou

290 Extrait d’entretien, Oukout, septembre 2018

291 O. Journet, « Demain les femmes ? Son fagot de bois a cassé la véranda de la maison », art cit. 292 O. Journet, Les créances de la terre, op. cit.

sœurs293. Aussi, elles sont supposées être dociles et patientes alors qu’en tant que mères elles

doivent être fortes et puissantes, notamment sur le plan mystico-religieux294.

3. Le modèle économique égalitaire : la division genrée des