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UN ELEMENT DE DATATION ?

Il est tentant d'utiliser les perles comme marqueurs chronologiques. En effet, puisqu'elles sont très nombreuses dans les sites archéologiques, et que leur période d'utilisation est longue (jusqu'à 100 000 ans dans certaines régions d'Afrique), plusieurs auteurs ont tenté de faire de ce matériel un "fossile directeur". L'analyse typologique, anciennement utilisée en archéologie et en histoire de l'art pour indiquer une fourchette de

157 datation d'un objet ou d'un site, présente quelques difficultés. En effet, certains objets rigoureusement identiques dans leurs aspects, peuvent provenir d'aires chronoculturelles différentes. L'archéométrie ou l'étude des chaînes opératoires des perles semble être plus concluante, bien qu'elle se heurte au problème du réemploi sur le long terme des perles.

L'échec de la typologie

Les perles sont un vaste ensemble d'objets hétéroclites, pouvant s'étudier par la forme, les matériaux, la perforation, les couleurs et le décor. Certaines perles sont intemporelles comme celles en tests d'œufs d'autruche, ayant été produites de la Préhistoire à nos jours. En revanche, certains modèles semblent emblématiques d'une période. La première datation par typologie au Cameroun a été réalisée en fonction des matériaux. Puis elle s'est focalisée sur les décors des perles.

 La datation par la typologie des matériaux

Les cauris, le verre et le laiton ont été massivement importés dans cette région d'Afrique à partir du XVIe siècle, par les Européens. Par conséquent, la présence de cauris,

de perles de verre ou de laiton sur un site, a été souvent interprétée par les archéologues comme un marqueur de datation post quem.

Malheureusement, cette affirmation n'est pas entièrement vraie, puisque des perles en cauris, en verre et en laiton existaient avant la conquête de l'Afrique par les Européens. Comme nous l'avons énoncé plus haut dans ce chapitre, certains cauris ont été trouvés dans des sites archéologiques antérieurs au XVIe siècle, ce qui fausse cette règle. De même, le

verre était importé avant l'arrivée des Européens, comme le montre notamment le site d'Igbo Ukwu. Enfin, certains objets en laiton étaient réalisés localement, et il faut une analyse de composition pour les différencier des laitons Européens.

Ainsi, la présence d'un seul type de matériau n'est pas suffisante pour déterminer une fourchette de datation. Néanmoins la présence en de grandes quantités sur une même strate de perles en verre, de cauris et de laiton, avec peu de perles en d'autres matériaux rend probable une datation postérieure au XVe siècle.

La datation par classification des matériaux des perles est peu sûre, mais également très large, puisque les perles sont datées avant ou après l'arrivée du commerce européen en Afrique. La datation par typologie des décors se veut plus précise.

158  La datation par analogie des décors

Les perles européennes étant créées dans des ateliers de grande dimension, de nombreux documents permettent de savoir quand a été lancé tel type de perle, pour qui et pendant combien de temps. Ces renseignements sont fournis notamment dans les correspondances des ateliers (factures et lettres de demande notamment) mais également dans les répertoires de perles.

Le bead book de 1704 conservé au British Museum présente les perles produites en 1704 par Venise (plus précisément les ateliers de Murano). Il s'agit du plus ancien répertoire conservé. De nombreux autres répertoires sont disponibles pour le XIXe siècle, présentant

notamment les productions de Gablonz et Briare. La comparaison de ces documents permet de mettre en exergue les perles ayant eu une durée de commercialisation courte. Ces quelques perles deviennent alors des fossiles directeurs.

Quelques difficultés apparaissent pourtant : la plupart des perles trouvées au Cameroun appartiennent à des types décoratifs ayant été produits de multiples fois. Ainsi, les perles à chevrons peuvent être produites par une manufacture vénitienne (n°646 à 658 du Bead book de 1704, et perles n°1149 à 1212 produites par Vaccari en 1900 ou n°2041 par Ercole Moretti), par Briare lorsqu'elles sont en faïence, par Gablonz également (cf. planche R3477 à R3521 datée de 1920 et conservée au Tropenmuseum), mais elles peuvent aussi être issues d'artisans arabes au Moyen Age ou d'Egyptiens de la période ptolémaïque. De même, les perles unies, majoritaires, ne peuvent pas être datées par cette méthode. En dehors des perles à chevrons et des perles unies, les perles les plus fréquentes sont à décors de lignes colorées. Or, comme pour les types précédents, ces perles ont été produites à divers endroits et diverses époques. À travers les publicités et les archives des manufactures de verroterie, il semble que les perles à partir desquelles est réalisée la calebasse de la Figure 54 correspondent aux industries de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècle. Mais

cette étude par typologie des décors pourrait aussi les rapprocher des perles archéologiques découvertes à Norrkvie en Suède. En effet, deux des cent dix perles du collier viking sont rigoureusement identiques d'un point de vue typologique aux perles décorées de stries du Cameroun. Ainsi, si la typologie est un outil précieux pour l'étude des perles, sa pertinence pour la datation est peu probante. ce constat rejoint donc partiellement celui réalisé par Jean-Pierre Warnier en 1965 (p.142) :

159 "Il n'y a guère de matériau plus irritant pour l'historien. On pourrait espérer les identifier facilement par leurs couleurs, leurs formes, et leur technique de manufacture. Las ! (...) D'ordinaire, toutes les perles sont comprises dans la catégorie un peu péjorative de "verroteries". Et même si les descriptions étaient meilleures, Van der Sleen (1973) a montré que les mêmes perles furent fabriquées en Europe pendant dix siècles. Les modèles importés de Byzance à Venise furent reproduits à Amsterdam à partir du XVIe siècle et Gablonz à partir du XIXe siècle.

Ces mêmes perles atteignent l'Afrique de l'ouest aussi bien par le Sahara que par la côte Atlantique. Aucune perle ne porte sa carte d'identité ni le tracé de son parcours. Rien de plus anonyme."

La datation par typologie est actuellement substituée ou complétée par des études archéométriques, où l'on tente de dater grâce à l'analyse des compositions utilisées et non en fonction des caractéristiques visuelles de l'élément percé.

Figure 54: Calebasse provenant du trésor de Bandjoun (Grassland)

La datation par résultats archéométriques

L'étude physico chimique des perles remonte à la seconde moitié du XXe siècle. Au

160 spectrométrie de masse par fluorescence X permet d'étudier l'objet sans le détruire ou modifier son aspect visuel. Grâce à la composition de l'objet, on peut déterminer l'origine et la date de fabrication de l'objet, à condition de combler les lacunes dans l'histoire des techniques de façonnage des perles.

Les perles peuvent aussi être datées directement par différentes méthodes de datation selon les matériaux utilisés. Pour les perles en terre cuite, la datation par thermoluminescence est possible mais elle endommage l'objet car cette technique nécessite un prélèvement d'échantillon sur la perle. Moins invasif et plus récent, on peut utiliser la mesure des isotopes pour dater un objet. Dans le cas des perles de verre, on pourra dater les isotopes de l'oxygène. Cette technique fonctionne aussi pour les minéraux oxydés. La datation des produits organiques est possible en dosant les isotopes du carbone. Pour les coquilles d'œuf d'autruche, les techniques du réalignement d'acides aminés (AAR) et la résonance paramagnétique électronique (ESR) sont aussi possibles. Elles présentent l'avantage par rapport au 14C de pouvoir dater des objets antérieurs à 40 000 ans.

Les méthodes de datation absolue des perles sont nombreuses, et il est généralement possible de cumuler plusieurs méthodes afin d'obtenir un résultat fiable. Néanmoins, l'archéométrie a un coût et nécessite des précautions pour l'utiliser. Par ailleurs, la datation par les perles est encore récente par rapport au travail effectué sur la céramique. La connaissance des techniques utilisées pour ce genre d'objet est encore trop lacunaire pour obtenir des dates très précises via la spectrométrie RAMAN. Mais, compte tenu de l'avancée des recherches, il sera possible de combler ces lacunes dans les décennies à venir. Pour l'instant, ce sont les perles de verre qui ont bénéficié du plus grand nombre de recherches de pointe (Davison 1971-1972 ; Brill, 1999 ; Gratuze et Dussubieux 2003 ; Rangapaneiken, 2011 ; Colomban et alii, 2012 ; Rousaki et alii, 2016).

La problématique de la réutilisation des perles

Contrairement aux outils en silex ou en céramique, les perles ont une durée d'utilisation très longue et sont souvent héritées des générations précédentes et transmises aux générations suivantes. Ainsi un objet perlé peut être réalisé avec des perles appartenant à des époques de production différentes. Lorsque l'objet est dans un univers clos (tombe scellée ou épave) on peut considérer que la date de dernier usage peut correspondre à la perle la plus récente. Cette hypothèse repose sur le principe que de nouvelles perles sont

161 continuellement créées et qu'elles sont systématiquement utilisées de suite. Or, si la première partie du principe peut être prouvée (il n'y a pas de rupture dans la fabrication mondiale des perles), la seconde est moins certaine.

Par ailleurs, le problème est différent lorsque l'objet perlé à dater n'est pas issu d'un univers clos. En effet, les personnes sont attachées aux objets perlés et à leur esthétisme et les font donc restaurer quand ils sont trop abîmés. Ainsi on ne peut pas de dater la création de l'objet par ses perles les plus récentes.

Par conséquent, de nombreuses précautions doivent être prises pour définir la date d'un objet ou d'un site en fonction de ses perles. Nous n'avons pas évoqué ici le risque de remontées telluriques particulièrement important qui peut fausser des datations de couches d'un site. Néanmoins, avec le problème de la réutilisation des perles il semble crucial d'avoir une vision générale et non de se focaliser sur quelques perles prises au hasard.