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CONCLUSION DE LA PARTIE

Chpt 2. Ce que révèle la spatialité

A. Le design proposé

1. Un design de cas unique, qualitatif et longitudinal

La méthode que nous avons suivie est inspirée de ce qu’Alvesson et Sköldberg (2009) présentent comme « la méthode des interactionnistes symboliques » ( :14), courant de recherches qualitatives apparu aux Etats-Unis au début du XXe siècle (Hammersley, 1989).

Voici les principales caractéristiques de notre méthode

Nous avons opté pour l’étude d’un cas emblématique, car cela nous permet d’approfondir véritablement les causes des phénomènes sociaux que nous pourrions observer, plutôt que de multiplier des cas pour les comparer, comme cela serait fait dans les recherches nomothétiques (Alvesson & Sköldberg, 2009).

Compte-tenu de la complexité de notre sujet de recherche – l’espace, la façon dont celui-ci communique, ce qu’il dit du management en place, et comment il peut être instrumentalisé pour l’implémentation d’une nouvelle organisation du travail – il nous a semblé nettement plus pertinent de ne

développer qu’un seul cas en profondeur, plutôt que de multiplier les terrains

dans l’objectif de les comparer.

Notre cas emblématique porte donc sur le projet de construction du Nouveau Siège Central de la Société Générale en 1989, car celui-ci nous permet en effet l’étude approfondie d’une organisation qui a choisi de mettre en place un « New Model Worker » afin de créer une nouvelle forme d’organisation du travail par le concours d’un nouvel espace organisationnel, défini dès les premiers projets de la Direction Générale comme devant devenir un véritable «outil de management».24

Notre recherche est fondamentalement qualitative, et si des données quantitatives ont été mobilisées, leur importance est secondaire.

Dans notre travail, une vraie primauté est accordée à l’exploration, avec une méthode flexible de collecte de données qui n’exclut pas que les critères de sélection soit révisés au cours du travail de recherche. De la même façon, nous n’avons jamais exclu l’intérêt des éléments que nous aurions pu trouver par sérendipité, certaines données collectées par ce moyen nous ont en effet parfois conduits à reconsidérer notre angle de recherche. Par ailleurs, toutes les ressources documentaires que nous avons pu consulter (archives organisationnelles en tout genre : journaux internes, compte-rendu de réunion, notes de services, y compris des photographies et des plans) ont été prises en considération.

La banque dont nous étudions le projet de Siège Central dispose de près de 150 ans d’archives, aussi l’idée initiale de recherche était de profiter de cette exceptionnelle longévité pour étudier l’évolution des sièges sociaux de la banque, de sa création en 1864 jusqu’à nos jours.

Plusieurs mois, quasiment à temps complet, ont été passés à analyser le fonds d’archives de la banque. Dans ce contexte, nos compétences en recherches historiques (pour avoir rédigé et soutenu une thèse de doctorat consacré aux courants politiques au dix-huitième siècle à Paris-Sorbonne en 2007) ont été d’un grand secours pour travailler dans cet environnement avec pugnacité et rigueur. Toutefois, la conclusion qu’une reconstruction de l’évolution des sièges sur 150 ans ne pouvait pas s’accomplir s’imposa rapidement d’elle-même : certes, les archives sont abondantes, pour autant elles sont irrégulières et la gestion de l’espace organisationnel n’est pas un sujet qui a généré beaucoup de documentation, excepté aux moments critiques des grandes constructions et des déménagements. En 150 ans d’histoire, cela ne s’est en fait produit qu’à deux reprises : de l’hôtel particulier originel, l’entreprise est passée à l’Agence Centrale du quartier de l’Opéra après 50 ans d’existence puis, après avoir laissé ses services centraux se développer sur plus de 50 adresses différentes à mesure que l’entreprise grandissait et que les métiers de la banque se diversifiaient, il a été nécessaire d’envisager leur regroupement une fois la privatisation du groupe actée (c’est-à-dire dès 1987). Mis-à-part pour ces deux grands moments, très peu d’archives parlent de la façon dont les lieux de travail étaient pensés ou gérés. Il est vrai que l’emménagement dans l’Agence Centrale en 1915 a donné lieu à la rédaction d’écrits intéressants, tels que la manière dont Jacques Hermant – son architecte – pensait ce nouveau bâtiment à créer, ou encore le projet de règlement intérieur, toutefois pas en quantité suffisante pour éviter trop d’interprétations ou de spéculations.

En revanche, le projet de regroupement des Services Centraux sur un même site à la fin des années 1980 – le Projet Valmy – s’est rapidement imposé de lui- même comme le point de départ d’une étude intéressante, non seulement parce

qu’il était lié à des questions fondamentales de management, mais également parce que les sources s’y rapportant étaient très prometteuses:

o des documents écrits (de notes de service jusqu’au projet présenté aux candidats architectes) ;

o Une enquête menée en interne en 1996 qui fait le point sur la façon dont l’espace organisationnel était organisé, perçu, vécu ;

o des témoignages d’acteurs clé qui ont directement participé à la création et à l’aménagement de ce nouvel espace ;

o le vécu d’usagers (de l’installation à aujourd’hui);

o des observations directes sur le terrain pouvaient être facilement menées.

Ainsi, nous n’avons pas mis de côté ces sources documentaires, et en considérant l’ampleur des données à récolter, il paraissait a priori possible de mettre à jour ce qui a été dit, ce qui a été fait, et ce qui a été/est vécu de ce projet.

C’est également le contraste saisissant entre le projet architectural initiateur et

sa réalisation spatiale presque vingt ans plus tard (constaté lors d’une brève visite des lieux) qui a fait émerger les interrogations à l’origine de ce travail de recherche, une problématique qui a émergé après plusieurs mois de lecture flottante sans cadre d’analyse préconçu.

Une fois ce projet de recherche arrêté, nous avons ensuite pris le parti de mettre au point un codage pour faire émerger des catégories dans nos données.

Outre les entretiens que nous avons organisé, nous nous sommes particulièrement appuyés sur un document interne pour notre recherche doctorale : le Dossier de présentation du Projet Valmy, rédigé par la Direction Générale de la Société Générale en Septembre 1989, et à destination des futurs architectes (de sorte à ce qu’ils soient informés des directives de la banque en matière d’aménagements spatiaux). Cet écrit est donc à mobiliser car il établit de

manière claire comment la banque entendait faire de ce nouvel espace organisationnel un support propice au développement d’une nouvelle organisation du travail. Aussi, afin de pleinement saisir la teneur des verbatim développés dans le dossier du Projet Valmy (voir encadré 2) et d’éviter les écueils que provoquerait l’interprétation d’un seul individu, de surcroit profane en architecture et avec un décalage de 25 ans entre la rédaction et l’analyse, nous avons mis au point un double codage, dont nous détaillerons le contenu dans la sous-partie suivante.

Notre recherche n’a pas pour vocation de tester ou/et de vérifier la validité de théories préexistantes, et nos recherches théoriques ont été menées en même temps que nos recherches empiriques (Glaser & Strauss, 1967), de sorte à conserver un esprit ouvert sur les données qui pouvaient être récoltées et sur la façon dont elles allaient être exploitables.

Soulignons également que nous ne cherchons pas à être pragmatiques et à mettre au point une théorie utile pour les professionnels, nous souhaitons avant tout restituer des conduites sociales et humaines au sein des organisations (Chanlat, 1998).

Ainsi, nous nous engageons dans l’hypothèse que nous pouvons observer ce qu’un espace organisationnel peut dire du management en place en son sein, en mobilisant une méthodologie qui ne rejette aucune source et en vue de construire une nouvelle théorie, en l’occurrence une grille de lecture de l’espace organisationnel. Nous avons privilégié une recherche de nature qualitative, par la mise en place d’un travail d’archives, d’observation et également le recueil d’entretiens (Miles & Huberman, 2003), en accordant une véritable primauté aux acteurs et à leur subjectivité: en l’occurrence, ces acteurs sont les occupants, anciens et actuels, de l’espace étudié, car somme toute, seuls eux peuvent parler avec justesse de leur vécu spatial (Lefebvre, 1974).