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Un consensus (transitoire ?) des associations gays

6 L’Espagne

6.4 UNE CONJONCTURE FAVORABLE

6.4.3 Un consensus (transitoire ?) des associations gays

D’après Beatriz Gimeno311, présidente de la FELGT, plusieurs facteurs contribuent à ce que la légalisation du mariage civil entre personnes du même sexe puisse avoir lieu en Espagne : « la maladresse du gouvernement Aznar, son homophobie manifeste, […] [et] la victoire du PSOE lors des dernières élections générales312 ». La FELGT313 et l’organisation asturienne Xega ont été les seules à considérer, dès le départ, qu’il était nécessaire de revendiquer le mariage plutôt de la

ley de parejas.

Lors du débat pour soutenir l’idée du mariage civil plutôt que le concubinage (parejas de hecho), la FELGT avance les arguments suivants. D’une part, en réponse à ceux qui disent que l’accès au mariage est seulement une question symbolique et qu’il importe surtout d’acquérir de droits semblables, même si ceux-ci s’appellent autrement, la FELGT rappelle que le symbolique est très important et que l’égalité se joue justement là. La FELGT a toujours considéré le mariage comme un droit fondamental qui devrait être ouvert à tous les citoyens et citoyennes, indépendamment de leur orientation sexuelle314. D’autre part – et compte tenu du type de la décentralisation spécifique de l’Etat espagnol – elle rappelle que

311 Gimeno, op. cit.

312 « […] la torpeza del gobierno de Aznar, su manifiesta homofobia, o la victoria del PSOE en las ultimas elecciones generales » (Idem, ibidem, pp. 33-34). Pour cette section ,ainsi que les suivantes, outre la littérature citée, nous nous basons sur des entretiens réalisés notamment avec Beatriz Gimeno (FELGT), Mili Hernandez (COGAM) et Miguel Angel Sanchez (Fundacion Triangula).

313 Federacion Estatal de Lesbianas, Gays, Bisexuales y Transexuales.

314

plusieurs lois, municipales ou autonomicas, ont déjà légalisé les couples de même sexe, ainsi que leur enregistrement dans de nombreuses administrations. De ce fait, la FELGT considérait que continuer à revendiquer une ley de parejas de hecho était un pas en arrière plutôt qu’une avancée vers la pleine citoyenneté. L’ouverture de l’institution matrimoniale à tous et à toutes, dans un souci d’égalité, est en parfait accord avec l’esprit universaliste de la FELGT et de celui d’une majorité de démocrates.

Un discours cohérent a ainsi pris forme. Il s’appuie sur des présupposées de modernité, d’égalité, de droit à la citoyenneté et à la

dignidad democratica et non pas sur des droits sociaux et

économiques, donc partiels315. D’après Beatriz Gimeno, ce discours a consolidé la force et l’impacte politique de la FELGT. Il a fait que celle-ci devienne un interlocuteur de choix, voire unique, pour le gouvernement espagnol.

Ce dernier point n’est pas des moindres. Pour la première fois, le mouvement LGBT espagnol parle d’une même et seule voix316. C’était grâce à l’independencia radical317 de la FELGT vis-à-vis des partis

politiques. Grâce aussi au consensus stratégique entre les différentes associations qui la composaient. Plutôt que prôner un isolement vis-à-vis des partis politiques, la Federacion s’ouvre à la collaboration avec tous les groupes parlementaires. Une collaboration active avec les militants des différents partis est mise en œuvre. S’il est vrai que d’habitude le mouvement LGBT se méfie des partis politiques et préfère se tenir à distance, la FELGT, elle, a adopté une posture réaliste dans le sens où ce sont les partis qui ont le pouvoir de changer la législation. Il est donc considéré préférable de construire des alliances, tout en faisant pression. Cela ne s’est pas passé sans nouvelles tensions et difficultés internes, surtout au sujet des partis de droite. Mais le pragmatisme et la confiance réciproque entre la

315 Dignité démocratique.

316 Pour ce développement nous nous basons en Gimeno, op. cit., mais également dans l’entretien que nous avons réalisé avec elle lors de notre séjour à Madrid durant l’été (août) 2008.

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Federation et ses militants ont fini pour maintenir l’unité. Il est

convenu avec les activistes de la FELGT qu’ils doivent travailler auprès des groupes politiques les plus proches de leur sensibilité (allant du PSOE jusqu’au PP) pour y « introduire » le discours, les points de vue et les revendications LGBT. Le travail de Boti G. Rodrigo auprès de l’IU, celui de Pedro Zerolo et de Miguel Angel Sanchez au sein du PSOE, ainsi que celui de Javier Gomez à l’intérieur du PP s’avéreront précieux. La priorité est donnée aux demandes propres au

movimiento.

Le consensus interne passe également par le compromis que les revendications et les discours doivent porter uniquement sur l’ouverture du mariage, laissant provisoirement de côté d’autres questions polémiques, notamment la question de l’homoparentalité (l’adoption pour les couples du même sexe ainsi que l’accès à la PMA pour les femmes lesbiennes).

Le pari est de miser sur une question où le succès est possible et d’éviter de la « plomber » avec des thèmes encore largement tabous. C’est qui passe par un refus systématique de répondre aux questions autour de l’homoparentalité, surtout lors des inévitables débats et entretiens réalisés par les différents média qui se sont emparés du brûlant sujet d’actualité.

Les débats intellectuels et idéologiques autour de l’approche de la FELGT et des divers groupes du movimiento – constructionnisme versus essentialisme, communautarisme ou individualisme, identitaire versus universalisme, etc. – sont également (provisoirement ?) écartés. Il est important que le mouvement LGBT soit uni et se présente avec une seule voix. La priorité est donnée au débat sur l’égalité et aux objectifs politiques clairs. La majorité des militants est consciente que c’est le prix à payer pour que leurs revendications puissent aboutir. Les militants LGBT de la FELGT participent à divers forum, associations familiales, de parents, syndicales, religieuses… Ils sont également présents lors des défilés contre la guerre, des revendications syndicales, du 1er mai et de toutes les manifestations

politisées. Ils occupent le terrain. Le risque est de se montrer « trop » politisé. Mais il est assumé et considéré comme nécessaire.

Lors du défilé de l’Orgullo (la Gay Pride), le consensus prime également. Des milliers de personnes descendent dans les rues. Les principaux représentants politiques, syndicaux et sociaux sont à la tête du cortège. Les droits des gays et des lesbiennes gagnent en visibilité et sont symboliquement reconnus comme des droits à l’égalité pour tous et toutes. L’Eglise, des représentants de la droite et d’autres instituions conservatrices réagissent. Une résistance s’organise.