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Le mouvement de libération

6 L’Espagne

6.2 L’IDEOLOGIE DE LA LIBERATION HOMOSEXUELLE ET SES DISCOURS : 1975-

6.2.2 Le mouvement de libération

C’est l’idéologie de la libération qui va marquer les discours et la praxis du mouvement des homosexuels et lesbiennes en Espagne sur une période comprise, approximativement, de la moitié des années 1970 (création de la FAGC) jusqu’à la moitié de la décennie 1980.

153 Idem, ibidem, pp. 205-207.

154 « […] la liberacion, como ideologia, negaba la dimension colectiva de la identitad. El sexo, se sostenia, no ha de ser la base para la creacion de categorias sociales estancas. [D’autre part,] el discurso sexual de la liberacion fue construido en desconexion con las necesidades reales de la poblacion homosexual.”

En général les mouvements homosexuels occidentaux adoptant cette idéologie partagent un « répertoire commun de références de mobilisation155 ». Au niveau contemporain, ce répertoire s’est constitué, à partir d’éléments de la contre-culture, de la nouvelle gauche et du féminisme de deuxième génération. Historiquement, cette nouvelle idéologie s’est structurée autour du principe de « lo gay es bueno » (gay is good), remplaçant la stigmatisation par « el orgullo156 » (pride) ; autour de la liberté et révolution sexuelles, et de la condamnation de l’hétérosexisme. Du fait du caractère politique de cette généalogie, elle dénoncera la « guerre culturelle », considérant « que l’oppression homosexuelle en particulier et l’oppression sexuelle en général se trouvent dans toutes les couches sociales et culturelles157 ».

Cette idéologie marque une véritable rupture avec le passé. En se politisant, la sexualité gagne en visibilité. Néanmoins, les activistes relèguent les besoins sexuels au second plan, la priorité est donnée à la conscientisation de l’oppression. Même si la sexualité est libre (sans être vécue dans la promiscuité), elle doit être perçue comme une forme d’identification commune pour ceux et celles qui veulent se rebeller contre l’oppression. La revendication d’une différence homosexuelle n’a, de fait, pas de raison d’être, puisque toutes et tous auraient une même sexualité, changeante, plurielle et libre.

Nous pouvons décliner deux « conséquences pratiques » de ce discours idéologique158 :

- L’apparition d’une distance quasiment insurmontable entre les militant-e-s et la sous-culture sexuelle et commerciale des milieux homosexuels urbains159.

- Les bases de la genèse des deux différentes approches de l’activisme gay et lesbien, l’une communautariste (admettant que l’orientation

155 Idem, ibidem, pp. 205-207

156

La fierté.

157 « […] que la opresion homosexual en particular, y sexual en general, estaba localizada en todos los estratos sociales y culturales. »

158 Idem, ibidem, p. 207

159

sexuelle pouvait être à l’origine de solidarité et d’affinités), l’autre,

individualiste (la plus présente chez les groupes de libération).

6.2.3 Enjeux idéologiques : le FAGC et le mouvement pionnier (Catalogne)

Sous couvert d’être une « mesure de sécurité », la grâce (le 25 novembre 1975) et l’amnistie (le 31 juillet 1976) décrétées après la mort de Franco, n’ont pas été appliquées au « dangereux sociaux160 ». Rapidement, de nombreux mouvements et groupes à caractère varié d’homosexuels et de lesbiennes, sont nés et certains des anciens collectifs ont pu se renouveler. Ainsi dès novembre 1976161, le MELH s’est restructuré, avec une nouvelle charte et des stratégies approuvées en assemblée générale. Il devient le Front d’Alliberalent

Gai de Catalunya162 – FAGC. Comme d’autres groupes homosexuels de la même époque, notamment français163, les combats se sont focalisés sur l’hétérosexisme et le machisme, en faveur de la liberté sexuelle, et ce dans une approche d’inspiration marxiste164

Armand de Fluvià, l’un de ces principaux représentants, déclare à El

Pais165 :

« La lutte antirépressive pour les droits des homosexuels est aussi une lutte révolutionnaire en raison d’objectifs plus profonds, comme la pleine libération sexuelle de la personne et la concrétisation d’une société sans classes166. »

Ce genre de discours théorique n’est pas toujours compatible avec les enjeux et alliances pratiques pour les changements législatifs souhaités. L’un des enjeux les plus prégnants est celui de la

160 N = 763, soit 7,68% de la population pénitentiaire globale, selon Terradillos, 1981, p. 63.

161 D’après Llamas et Vila (1997, p. 197) le MELH a été fondé plutôt à la fin de 1975. Herrero Brasas (op. cit., p. 296, note 119), quant à lui, soutient que cela a eu lieu en 1976.

162

Front de Libération Gay de Catalogne.

163 Auxquels le mouvement homosexuel espagnol de ces premiers ans, et le FAGC en particulier, était assez « perméable », au moins au niveau des discours.

164

Calvo, op. cit., p. 207.

165 Dans l’édition datée du 16 mai 1979.

166 « La lucha antirrepresiva y por los derechos des los homosexuales tambien es una lucha revolucionaria porque esta en funcion de objetivos mas profundos, como la plena liberacion sexual de la persona y la connsecucion de una sociedad sin clases. »

« différence homosexuelle. » Dans certains écrits du FAGC167, celle-ci est représentée comme irrationnelle et source de discriminations. Cette position est partagée par d’autres groupes espagnols comme le FLHOC, de Castille, ou encore le CCAG, de Barcelone. Néanmoins, la pratique politique et les négociations institutionnelles vont finir par obliger le FAGC (Barcelone) et le COGAM (Madrid) à changer de cap168. Le discours, alors, s’accommode :

« [Nous s]ommes parfaitement conscients que, pour éliminer notre différence, nous devons d’abord la réaffirmer, développant une connaissance commune des choses, soutenant ce qui nous incite à dénoncer toute manifestation de la moralité répressive169. »

Dans la même lignée, la « cohabitation » avec le « ghetto » commercial gay des grandes villes – où de nombreux homosexuels

identitaires évoluent déjà, indifférents aux sirènes de l’activisme – est

conflictuelle. Pour les militants en effet, ce milieu est aliénant et constitue un territoire où la répression sournoise confine les homosexuels. L’ambiente est ainsi considéré comme un espace de prétendue tolérance, alors qu’il n’est que celui du mépris. Des compromis s’avèrent rapidement nécessaires, dans ce domaine aussi. La lecture d’une déclaration du même Armand de Fluvià qui, deux ans auparavant, soutenait un discours autrement révolutionnaire170 est, à ce titre, éclairante :

« Peut être avons-nous été excessifs, au cours de ces cinq dernières années, que nous avons consacré, dans la phase, disons, politique, à trouver un appui auprès des partis politiques et des syndicats, en abandonnant l’homosexuel à son sort […] Cela a réduit le militantisme. D’une certaine façon, les gens se sont lassés d’une militance ardente171. »

167

Analysés par Calvo (op. cit., p. 208).

168

Le problème se posait également au niveau de la vie privée, et surtout de la vie sexuelle.

169 COGAM, dans l’éditorial de Entiendes ?, n° 0, 1987, cité dans Calvo, idem, p. 209. (« [S]omos perfectamente conscientes de que para eliminar nuestra diferencia debemos primero reafirmala, desarrollando un entendimiento comun de las cosas, apoyando cualquier cosa que sea un estimulo para nosotros, y denunciando cualquier manifestacion de la moralidad represiva »).

170 Cf. sa déclaration dans El Pais daté du 16 mai 1979.

171 Armand de Fluvià, dans Egin, édition du 27 juin 1981, cité par Calvo, op. cit., p. 209 (« Quizas se ha incidido excesivamente estos cinco anos que llevamos en la fase digamos politica y de encontrar apoyaturas en los

Malgré tout, il est tout à fait vraisemblable de penser que l’écart entre les deux milieux s'était accru durant cette période.