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Des années charnières : 1976-1985

6 L’Espagne

6.2 L’IDEOLOGIE DE LA LIBERATION HOMOSEXUELLE ET SES DISCOURS : 1975-

6.2.4 Des années charnières : 1976-1985

Les années 1976-1985 ont été riches d’événements pour les lesbiennes et homosexuels espagnols. En 1976, année de naissance du FAGC, certains de ses membres ont fondé le Frente de Liberation Gay

de las Islas172 et le Instituto Lambda. Dans le but de constituer un centre de documentation et d’études sur les homosexualités, ce dernier est établi comme une société civile. Il abrite également un centre d’assistance sociale pour les lesbiennes et les gays qui existe encore aujourd’hui.

D’autres groupes ont été créés en 1977 : le Front Homosexual de

Accion Revolucionaria – FHAR173, le Grupo Mercurio, le Movimiento

Democratico de Homosexuales174 – MDH, tous à Madrid, et le Euskal

Herrico Gay Askapen Mugimendua – EHGAM, à Bilbao. Le 21 mai, un

communiqué de presse demandant l’abolition de la Ley de Peligrosidad

y Rehabilitacion Social est rendu public, signé par dix groupes gays de

tout l’Etat espagnol. La même année est apparu le premier manifeste gay de l’Etat espagnol, Plataforma, rédigé par le FAGC. D’après Armand de Fluvià175, celui-ci est, à partir de cette époque, l’un des fondements idéologiques des groupes homosexuels de l’ensemble du pays. Une double scission a lieu au sein du FAGC, en 1978. Les lesbiennes partent pour intégrer la Coordinadora Feminista et les membres les plus radicaux de cette Fédération la quittent pour fonder

partidos politicos, sindicatos, y hemos abandonado el propio homosexual en su vida […] esto ha reducido la militancia, y es que la gente esta en cierta manera un poco cansada de una militancia quemante”).

172 Front de Libération Gay des Iles.

173 Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, constitué par des proches du Parti Communiste Espagnol – PCE. À ne pas confondre avec l’association homosexuelle française du même nom et du même acronyme, fondée à la même époque. Le Front s’inspire néanmoins de son homonyme français (Martinez-Calcerrada, 2005, p. 94).

174 Mouvement Démocratique des Homosexuels.

175

la Cordinadora de Col.lectius per a’Lliberament Gai – CCAG176. En janvier, à Madrid, est fondé le Frente de Liberation Homosexual de

Castilla177 – FLHOC, qui occupe l’espace médiatique (surtout la presse écrite) durant plusieurs années. D’ailleurs, selon d’Herrero Brasas178, la presse écrite joue un rôle important pour la cause des homosexuels et des lesbiennes. Celui d’un véritable appel à la participation des Gay

Pride, dont celles organisées par le FLHOC.

Les marches de la Fierté Gay et Lesbienne, la Gay Pride, commencent à être organisées en Espagne lors de la deuxième partie de la décennie 1970. El Pais, journal de la gauche madrilène avec une distribution nationale, publie de larges reportages sur les événements fondateurs de Stonewall. Dans le climat de ces années, quand l’homosexualité et tous les sujets liés aux sexualités sont encore tabou, ces informations ne passent pas inaperçues. Elles jouent probablement un rôle important, quoique indirect, dans la « convocation » des participant-e-s aux Leparticipant-e-sbian and Gay Pride danparticipant-e-s l’Etat eparticipant-e-spagnol.

Organisée par le FAGC, la première marche de la Fierté Gay et

Lesbienne de l’histoire de l’Etat espagnol a lieu le dimanche 28 juin

1977, sur les Ramblas à Barcelone. Entre 4 000 et 5 000 personnes défilent. La police l’a réprimée sévèrement utilisant des balles en caoutchouc et blessant au moins trois personnes179. Un an plus tard, le 27 juin 1978, environ 7 000 participants défilent lors de la première

Gay Pride madrilène, convoquée par le FLHOC, avec approbation légale

et la participation de plusieurs représentants politiques. Cette même année, des manifestations semblables ont lieu à Barcelone (non autorisée par l’Etat), à Bilbao et à Séville. On en profite pour recueillir des signatures contre la Ley de Peligrosidad Social180.

En 1979, les marches de la Fierté Gay et Lesbienne de Barcelone et de Valencia, toutes deux autorisées par le gouvernement, comptent chacune environ 5 000 personnes. Lors de celle organisée à Valencia

176

Calvo, op. cit., p. 203, note 4

177 Front de Libération Homosexuelle de Castille.

178 Herrero Brasas, op. cit., pp. 298-299.

179 Idem, ibidem., p. 313.

180

par le Moviment d’Alliberament Sexual del Pais Valencià – MASPV, des conflits avec des membres de groupes d’extrême droite ont lieu, suite à une convocation de ceux-ci par le mouvement Fuerza Nueva. La même année, une concentration festive gay organisée à Bilbao pour célébrer le jour de la Gay Pride est la cible d’une forte répression par les forces de l’ordre. 138 personnes181 sont arrêtées. Non autorisée par l’Etat, la manifestation madrilène est réduite à une brève manifestation culturelle. Des violences policières ou des mouvements d’extrême droite ont également lieu lors d’autres manifestations homosexuelles. Par exemple, la Fierté Gay et Lesbienne du 30 juin 1980, à Madrid (600 manifestants182), est la cible de provocations de l’extrême droite. Officiellement autorisée, celle de 1982 (300 manifestants183), est également perturbée par des échauffourées avec les forces de l’ordre. Au-delà des critiques qui lui sont adressées – aliénation, renforcement des stéréotypes, trop de visibilité donnée aux établissements commerciaux, etc. – les défilés de la Gay Pride sont l’un des outils les plus importants pour l’action politique. Jordi Petit affirme que sans ces manifestations de Orgullo, le mouvimiento aurait pu être anéanti lors des années les plus dures du gouvernement du Parti Populaire (PP), sous la houlette d’Aznar184.

Au mois de juillet 1979, à l’occasion de l’inauguration officielle du Parlement, la Agrupacion Mercurio para la liberacion homosexual (Madrid) interpelle les députés et sénateurs en leur demandant d’intervenir « en faveur d’une amnistie totale de toutes les personnes condamnées en raison de l’application de la législation répressive sur la sexualité185 ». Ce discours trouve paradoxalement un écho chez les psychiatres, chargés de justifier le cadre thérapeutique de la loi. Parmi

181

El Pais, 26 juin 1979.

182 Celle du 25 juin 1981, convoqué (comme celle de 1980) par le FLHOC a eu environs 1 000 manifestants (El

Pais, 26 juin 1981.

183

El Pais, 25 juin 1982.

184 Gimeno, 2007, p. 39.

185 « Que intervengan en el establecimiento de una amnistia total, que incluya también a los condenados por aplicacion de la legislation represiva de la sexualidad y en la abolicion de los tribunales especiales y del aparato judicial montado para sua aplicacion” (cité par Soriano, 1978, p. 115).

eux, vingt-quatre signent, fin 1976, un manifeste contre la loi186. Il en est de même chez des juges chargés spécialement de mettre en application la même législation, l’un d’eux affirmant publiquement que l’article 2°.3 devait être abrogé187.

C’est l’esprit même de la loi qui est mis en cause par les groupes socialiste et communiste au Parlement, lesquels demandent que cet article – parmi d’autres – ne fasse plus partie de la nouvelle Constitution. « Fondamentalement, l’ouverture à la démocratie et à la liberté dans le contexte de l’Europe Occidentale développée ne permettait plus la validité de cette loi188. »

Les principaux groupes homosexuels de l’époque se mettent en coalition pour constituer la Coordinadora de Frentes de Liberation

Homosexual del Estado Espanol189 - COFLHEE. La légalisation de l’ensemble des organisations homosexuelles a lieu le 16 juillet 1980, suite à la dérogation de la Ley de Peligrosidad Social. Toutefois, même si la loi est invalidée, les recommandations tant juridiques que religieuses continuent à servir de référence et à entraver la liberté des personnes ouvertement homosexuelles. Un projet de loi contre les

discriminations, élaboré en 1989 par la Coordinadora de

Organizaciones y frentes de Liberacion Homosexual del Estado Espagnol190, n’a pas pu voir le jour, n’étant repris dans son

ensemble191 par aucun parti politique192.

Tous les groupes de lesbiennes quittent la COFLHEE en 1983, ce qui va initier une période, transitoire, de séparatisme entre les hommes gays et les femmes lesbiennes. La même année, apparaît à Madrid la

Asociacion Gay de Madrid – AGAMA193, fondée par des personnes

186 Cité par Soriano, op. cit., p. 115.

187 El Pais, le 12 janvier 1978.

188

Llamas, op. cit., p. 123.

189

Coordination des Fronts de Libération de l’Etat Espagnol.

190 Coordination des Organisations et des Fronts de Libération Homosexuelle de l’Etat espagnol.

191 « Ce projet proposait des modifications dans les Codes civil, pénal et militaire, ainsi que dans le droit du travail et celui du logement » (Llamas, idem, p. 124).

192 Idem, ibidem, p. 124.

193 Association Gay de Madrid.. Le débat entre deux factions internes – les uns proches du MC (Mouvement Communiste, radical), les autres sympathisants de PDP (Partido Democratico Popular, démocrates chrétiens) – finit par conduire à sa dissolution (non officielle) en 1985 (Martinez-Calcerrada, op. cit., p. 95).

issues de l’ Asociacion Pro-Derechos Humanos de Madrid194. AGAMA

publie pendant trois années le bulletin Madrid Gai, devenu Monde Gai après la disparition de l’association. Des dissidences idéologiques au sein d’AGAMA est née Initiativas Gays. Malgré la publication du bulletin

Initiativas Gays, ce groupe n’a pas beaucoup d’impact au sein de

l’activisme homosexuel madrilène. Avec la disparition d’AGAMA, disparaît également l’activisme homosexuel madrilène195. Ces groupes du « premier mouvement homosexuel en Espagne », en général disparus rapidement, ont eu un certain nombre de caractéristiques communes196 :

• un nombre réduit d’activistes

• la formation des organisations en assemblées

• l’adoption de l’idéologie et des référents de mobilisation propres au discours de la libération homosexuelle

• une faible présence de l’homosexualité féminine

• des conflits internes récurrents, personnalisés par des homosexuels de différentes provenances politiques (sans oublier le conflit générationnel latent)197.