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Familialisme versus anti-familialisme

4 L’Allemagne

4.2 LA LEGALISATION DU COUPLE DE MEME SEXE

4.2.1 Familialisme versus anti-familialisme

Si la RFA a été la dernière des grandes démocraties européennes à dépénaliser l’homosexualité entre adultes, c’est d’abord parce que la famille dite traditionnelle y était plus forte qu’ailleurs. Quelques chiffres permettent d’illustrer la domination du modèle familial nucléaire caractérisé par un couple marié et une femme au foyer tant que les enfants sont jeunes. En 2005, 23 % des enfants nés dans l’ex-RFA sont nés hors mariage, contre 60 % dans l’ex-RDA, 47 % en France et 42 % au Royaume Uni ; en 2000, 10 % des enfants de moins de 3 ans bénéficient d’une forme de garde contre 64 % au Danemark ; toujours en 2000, 52 % des mères d’enfants de moins de 6 ans sont au foyer contre 38 % en France et 33 % au Royaume Uni.75 Paradoxalement, c’est quand même en Allemagne qu’éclate le débat sur la fin de la famille nucléaire.76 La thèse de Beck porte plus sur les rapports socio-économiques que familiaux, au départ, mais très vite un débat public passionnel s’engage sur la fin de la famille dite traditionnelle. Beck la voit condamnée face au mécanisme de l’individualisation, mais ne s’en réjouit pas.

L’un de ses arguments est la croissance des naissances hors mariage. Or, précisément ce phénomène reste en Allemagne très en retrait par rapport aux autres pays européens. En 1985, quand le débat éclate, le taux de naissances hors mariage, dans la RFA, est de 9 %. C’était exactement son taux déjà en 1900. (Knodel et Hochstadt, 1980). Dans la DDR, au même moment, il s’élève déjà à 34 %. Dans la RFA, sa croissance ne démarrera qu’au milieu des années 90, dix ans après les autres pays européens et dix ans également après le débat lancé par Beck.

75 Voir Peuckert 2008.

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La force du débat exprime le désarroi allemand devant une transformation de la famille qui, somme toute, y est plus lente et plus tardive qu’ailleurs. Désarroi qui fut déjà là au moment de la nucléarisation de la famille cinquante ans auparavant. Depuis la désintégration de la famille rurale traditionnelle, qui en Allemagne était de type souche, l’Allemagne n’a plus connu de nouveau type de famille qui ferait modèle.

Cependant, la famille nucléaire a eu de puissants défenseurs, notamment au sein de la CSU. Parmi les derniers : Paul Kirchhof, présenté par Angela Merkel comme futur ministre des finances en 2005. Peu de temps avant, il s’est exprimé sur la famille dans les termes suivants : « La mère fait carrière dans la famille… le père

affirme son identité quand il assure les bases économique de la famille… et il assure le consensus familial… avec autorité naturelle. »77

Ce modèle de famille, ouvertement patriarcal, ne peut que rencontrer l’opposition d’une partie importante de la population. Opposition politique, bien entendu, mais aussi dans les faits : la fécondité allemande est durablement la plus faible d’Europe et la part des femmes définitivement sans descendance est la plus importante : 30 % des femmes nées en ex-RFA en 1966, contre 21 % au Royaume Uni et 8 % en France. Or, le tollé suscité par la présentation de Kirchhof comme futur ministre des finances a montré que ce modèle de famille n’est plus majoritaire en Allemagne. Il fut au départ d’un virage important dans la politique familiale engagé par la CDU-CSU de Merkel.

Le statut légal du couple de même sexe a été élaboré sur fond de ce familialisme traditionaliste que chacun sait en recul et menacé de disparition. L’opposition de la CSU fut néanmoins extraordinaire. Elle a su couper l’élan de visibilité propre à toute législation séparatiste des couples de même sexe : par son recours à la Cour Constitutionnelle la légalité du partenariat fut suspendue pendant un an après son introduction ; par son retard à la mise en place du dispositif en Bavière

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notamment elle a pu casser l’effet d’un départ massif ; par son exigence de pouvoir acter le partenariat dans les cabinets de notaire plutôt qu’à la mairie, elle a organisé l’invisibilité statistique à l’échelle nationale.

Néanmoins, les débats mêmes ont eu comme effet de faire bouger les deux fronts. Une partie des Verts et de la gauche en général a réduit son opposition au familialisme. Ainsi, en janvier 2007, la fraction parlementaire des Verts a développé une nouvelle définition de la famille. Elle serait, par la responsabilité mutuelle qu’y prennent ses membres, une « valeur en soi ». Le débat interne fut immédiat et n’est pas encore tranché. Toutefois, il ne s’agit que de reconnaître ce qui a fondé l’action pour le Partenariat enregistré : la valeur positive de la solidarité à l’intérieur des familles.

La CDU-CSU, de son côté, et sous la pression d’Angela Merkel, a également bougé. Dès 1999, la nouvelle chef du parti, venant de l’Est, a annoncé la modernisation de la politique familiale. Dans un premier temps, il s’agissait de reconnaître que « la famille est partout où des parents s’occupent d’enfants et des enfants de leurs parents ». Autrement dit, elle proposait la déconnexion entre mariage et famille. La CSU l’a aussitôt critiquée sur ce point. Le deuxième temps arrive en 2006. Cette fois-ci Merkel annonce une politique de réconciliation entre enfants et activité professionnelle. C’est alors la préférence de la femme au foyer qui est abandonnée. Les motivations de la CDU-CSU ne sont certes pas les mêmes que celles des Grünen, mais le rapprochement des deux Allemagne autour d’une vision commune de la famille ressemble indéniablement à une réconciliation, pour ne pas dire à une unification de plus de cette Allemagne si volontairement divisée.