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Similitudes des acteurs

8 Comparaison internationale

8.1 LES SIMILITUDES

8.1.2. Similitudes des acteurs

Sur la scène politique, l’opposition qui se répétera dans chaque pays est celle entre la gauche socialiste ou plurielle et la droite confessionnelle, notamment catholique. Sans exception, ce sont des gouvernements socialistes qui ont introduit le statut légal homoconjugal. Sans exception, également, la principale opposition vient des catholiques. Leur ligne de défense est définie à Rome. Elle est restée inchangée depuis le Vatican II : accepter l’homosexuel comme personne, refuser l’homosexualité comme acte, y compris le couple de même sexe. Les libéraux ont occupé une position intermédiaire. Acceptant un statut légal nouveau, ils ont souvent tenté d’y inclure les « duos », c’est-à-dire les frères et sœurs et autres

couples cohabitants durables qui sont exclus du mariage. L’objectif a été de dissimuler la reconnaissance symbolique du couple de même sexe. La droite catholique s’est parfois ralliée à cette position, quand le refus pur et simple était devenu perdant.

Mais derrière les acteurs politiques, d’autres ont exercé une influence. Dans la partie des différences, on reviendra sur les particularités de certains pays. Ici, on souligne les ressemblances. La première, c’est l’émergence d’un nouveau type d’organisation homosexuelle : le lobby professionnel. Dans tous les pays, il prend la place des organisations issues des années 70. Les lobbies ont souvent travaillé en étroite collaboration avec les partis de gauche. Ils ont soutenu ces partis dans la préparation des lois. Par rapport aux organisations de la génération précédente, plusieurs choses les caractérisent : mieux organisés, ils sont moins représentatifs de la communauté homosexuelle dans la mesure où ils ne s’appuient pas sur des organisations de masse. Ils sont égalements plus dominés par les hommes, et manquent du soutien des femmes. Leur action se veut positive, dirigée vers l’obtention de nouveaux droits, et non pas critique. Et enfin, ils ont fait accepter l’idée selon laquelle l’accès au mariage est plus important que la critique de celui-ci.

En effectuant ce revirement, les nouvelles organisations sont probablement plus proches des souhaits de la ‘base’ homosexuelle. Cependant, il ne faudrait pas voir l’émergence des nouvelles organisations comme une volonté de la communauté homosexuelle. Elles doivent leur succès autant, si ce n’est davantage, au besoin des Etats de disposer d’un interlocuteur de la communauté. En effet, l’exemple des pays scandinaves est tout à fait illustratif : légiférer sur l’homoconjugalité et l’homoparentalité était devenu nécessaire pour parvenir au terme de la grande réforme législative concernant la conjugalité, la cohabitation, le divorce, l’égalité entre hommes et femmes, la parentalité et la filiation. Une fois encore, ce ne fut pas une question de valeurs, mais de cohérence juridique. A partir du moment où le législateur a admis qu’une discrimination doit avoir une base

raisonnable – ce qui est chose faite au Conseil de l’Europe – la discrimination de la conjugalité et de la parentalité homosexuelle doit disparaître.

Les pays scandinaves ont été un laboratoire pour inventer des solutions légales mieux adaptées à la nouvelle situation. Celles qui finalement ont réuni une majorité n’avaient pas la faveur des organisations homosexuelles. Elles ont été élaborées et introduites quand même, avec la participation d’une partie plutôt minoritaire du mouvement homosexuel. Mais l’introduction est présentée comme une victoire et vécue comme telle par la communauté. L’organisation en tire donc un bénéfice symbolique important. Ce scenario scandinave se répétera partout. Aux Pays Bas, le COC s’oppose, un journal gay, entreprise privée sans base militante, se mue alors en lobby. En Allemagne, le BVH s’oppose, il est doublé par le SVD. Au Royaume, le mouvement GayLib (OutRage) s’oppose, Stonewall prend le relais. En France, la situation est moins claire pour la simple raison qu’il n’existait plus réellement d’organisations homosexuelles en dehors des associations contre le sida. Celles-ci, déjà étroitement liées à l’Etat, soutiendront un lobby pour le pacs qui restera peu organisé. En Espagne, la FELGT succédera aux organisations communautaristes. Toutes ces nouvelles organisations, que l’on a appelées les lobbies, ont en commun d’être en étroite relation avec le monde politique. Il faudrait peut-être inverser la relation. C’est le monde politique qui en a fait les nouveaux acteurs du mouvement homosexuel.

Toutefois, il existe un autre acteur nouveau, qui est devenu incontournable au cours des années 70 et 80 et qui ne le doit pas au monde politique : la communauté homosexuelle elle-même. Dominée par les étudiants dans les années 70 – ni les générations plus âgées ni les couches populaires ne s’engageaient alors dans la visibilité – la communauté s’est ensuite diversifiée sociologiquement, même si les couches populaires y sont toujours peu représentées. Elle est également devenue pluri-générationnelle. Depuis les années 60-70, la

communauté est devenue visible. Elle est à la fois résultat de la politique du coming out et son principal acteur. Au moins une fois par an, la communauté gay et lesbienne se montre dans la rue. C’est à l’occasion de la Gay Pride. Celle-ci a connu des succès fluctuants mais parfois extraordinaires dans tous les pays étudiés. Elle montre l’adhésion de la communauté homosexuelle à la stratégie de visibilisation, qui, quand elle était proposée dans les années 60, rencontrait encore réticence et opposition à l’intérieur même de la communauté.

L’émergence de la communauté homosexuelle a pris son envol après la dépénalisation qui s’étend sur toute l’Europe de l’Ouest dans les années 60 et 70. Mais la dépénalisation n’est pas la cause de son existence, bien au contraire, c’est son existence qui a poussé à la dépénalisation. La question de la construction individuelle et collective de l’identité homosexuelle est une question historique qui n’a pas sa place dans cette étude. Mais sa visibilité depuis les années 70 est bien la raison pour laquelle les Etats, dans leur entreprise de modernisation du droit de la famille et de la sexualité, ont dû poser la question de la discrimination de l’homosexualité.

S’il fallait retenir deux acteurs parmi tous ceux qui ont contribué à la légalisation de l’homoconjugalité et de l’homoparentalité, alors ce serait l’Etat d’un côté, la communauté homosexuelle de l’autre.