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L’adhésion – suite

8 Comparaison internationale

8.2 LES DIFFERENCES

8.2.1 L’adhésion – suite

L’évolution de l’adhésion des couples montre des similitudes à travers les pays. En revanche, le niveau d’adhésion montre de grandes différences (voir le graphique précédent). La première année pleine montre des écarts de un à six ou sept entre la Suède et l’Allemagne d’un côté, le Royaume Uni de l’autre. Toutefois, la première année pleine est un indicateur à prendre avec précaution. Selon la date de l’introduction, l’effet de nouveauté se trouve plus ou moins épuisé quand arrive la première année pleine. Au Danemark, par exemple, le partenariat est entré en vigueur le premier octobre 1989. Une partie de l’effet de nouveauté est épuisée quand arrive le premier janvier 1990. Au Royaume Uni, l’introduction se fait à la veille de Noël.362 L’essentiel de l’effet de nouveauté se fait alors à l’intérieur de la première année pleine. En Allemagne, l’effet de nouveauté a été fortement réduit par l’introduction échelonnée et par diverses autres actions menées par la CSU (voir chapitre 4).

362

Le niveau des enregistrements atteint après trois ou quatre ans semble un meilleur indicateur pour mesurer l’adhésion des couples de même sexe. Les différences sont tout aussi importantes. D’un côté, la Suède et l’Allemagne se démarquent par des taux très faibles. La Suède stabilise sa chute initiale à 1,4 pour 100 000 pour remonter ensuite, mais après 12 années, le taux suédois n’a toujours pas franchi la barre de 4 pour 100 000. L’Allemagne suit de près la Suède. Ses données ayant été estimées à partir du total en fin de période, l’évolution annuelle est à prendre avec précaution, mais le niveau global est proche de celui de la Suède.

De l’autre côté, il y a le Royaume Uni avec une première année très au-dessus de tous les autres – ce que l’analyse laissera de côté – et une deuxième année également trois à cinq fois plus élevée qu’ailleurs. Le Royaume Uni n’a pas encore stabilisé sa chute, mais il est d’ores et déjà clair que l’adhésion britannique dépasse de très loin celle de la plupart des autres pays.

L’adhésion semble dessiner un axe Est – Ouest : en Allemagne et en Suède, les couples de même sexe s’enregistrent trois à cinq fois moins qu’au Royaume Uni ou aux Pays Bas. La France, l’Espagne et le Danemark se trouvent au milieu. L’écart ne reflète en aucun cas la nuptialité hétérosexuelle. Les taux de nuptialité se situent actuellement dans la fourchette de 4,3 à 6,7 pour 1000.363

Comme hypothèse pour expliquer l’écart entre les taux

d’enregistrement, on pourrait envisager d’abord une différence dans le nombre de couples de même sexe. En effet, si l’homosexualité individuelle et collective est une construction sociale, leur nombre n’a pas de raison d’être identique dans chaque société. Cette hypothèse rencontre toujours de fortes résistances.364 Sans la réfuter définitivement, il semble peu probable que la différence des taux d’enregistrement trouve son explication dans la variabilité de

363 Voir l’annexe démographie.

364 On se rappelle des réactions à Edith Cresson quand elle a déclaré que les Anglais étaient un peuple d’homosexuels ; ou à Amadinedjab, pour qui l'homosexualité n'existe pas en Iran. On a raison de refuser ces prises de position politiques, mais on a tort de faire comme si la variabilité de l’occurrence ne pourrait exister.

l’homosexualité elle-même. Mais l’organisation de l’homosexualité en communauté plus ou moins dense, plus ou moins séparée de la société est certainement différente d’un pays à l’autre. On l’a souligné déjà dans le chapitre 5, les communautés s’organisent facilement au Royaume Uni et y jouent un rôle important, aussi bien pour les individus qui la composent que pour l’ordre social, qui y prend appui. L’introduction du ‘mariage gay’ y a été l’occasion d’une célébration festive comme dans aucun autre pays. Elle fut partagée par la communauté et l’ensemble de la société. Le ‘mariage gay’ était un moment de visibilisation de plus et ceux qui y souscrivent célèbrent pour ainsi dire leur amour homosexuel et leur appartenance à la communauté homosexuelle. La société, de son côté, célèbre la diversité communautaire.

A l’autre extrême, la Suède et l’Allemagne. Deux pays qui tentent de dépasser le siècle de la famille nucléaire par un individualisme radical et très peu communautaire. En Allemagne, la famille est un enjeu si important pour la droite chrétienne, longtemps majoritaire, que l’invention des nouvelles formes familiales s’est passée de la loi et a développé une société alternative. L’introduction du partenariat n’a pas convaincu les couples de même sexe de rejoindre la société traditionnelle. Les institutions telles que le mariage semblent définitivement abandonnées, d’autant plus que l’individualisation fiscale, sociale et juridique les a largement vidés de leur contenu avantageux.

L’axe Est-Ouest, si on ose appeler la graduation de l’adhésion ainsi, ne correspond pas à un axe de tolérance sociale. La Suède est régulièrement en haut des enquêtes internationales pour l’acceptation de l’homosexualité, avec les Pays Bas et le Danemark. L’Allemagne et le Royaume Uni se trouvent plutôt dans la moyenne. L’adhésion des couples de même sexe n’est donc pas liée à leur acceptation dans la société. L’adhésion de la société dans son ensemble pas davantage.

L’adhésion semble liée au communautarisme plus qu’à la tolérance sociale. Par communautarisme on entend la valeur positive attribuée à l’organisation en communautés en non pas cette organisation elle-même. Il est difficile de mesurer l’organisation communautaire homosexuelle dans les différents pays et il n’est pas sûr qu’elle soit très différente d’un pays à l’autre. Il est plus facile, en revanche, de constater la différence de valeur qu’on attribue à l’organisation en communautés. Valorisation communautariste et visibilisation se complètent. L’adhésion enthousiaste en est une manifestation. Le Royaume Uni l’exemple le plus manifeste.

En Allemagne, le communautarisme n’est pas un réflexe social. La division oui. Les couples de même sexe choisissent l’alternativité, autrement dit, une forme d’opposition. La société s’organise alors non pas en communautés parallèles, mais en ordres hiérarchiques. La communauté homosexuelle allemande n’est pas sans rappeler celle du temps de Hirschfeld : importante et visible, mais en marge de la société, sans grand enthousiasme pour rejoindre la famille nucléaire majoritaire et inversement la société majoritaire ne montre pas plus d’enthousiasme pour ouvrir la famille à la pluri-sexualité. Contrairement au Royaume Uni, la famille nucléaire n’est pas un idéal fort en Allemagne. Certes, elle a été définie comme sacrée par les forces chrétiennes dès la fin de la guerre, et bénéficie depuis d’une protection constitutionnelle exceptionnelle, mais c’est en désespoir de cause. Elle a toujours été très peu féconde et est délaissée par une partie de plus en plus importante de la population. L’innovation familiale et sexuelle semble se construire dans l’individualisation. Les Pays Bas et les Pays scandinaves tiennent eux aussi plus à la liberté individuelle qu’à la liberté communautaire. A la diversité individuelle plutôt qu’à la diversité communautaire. La sortie de la famille nucléaire se fait en direction d’un individualisme assez radical : tout avantage lié à la conjugalité a été systématiquement démonté. Cependant, les Pays Bas continuent à être divisés. La partie maritime, avec sa capitale Amsterdam, partage des valeurs communautaristes

avec l’Angleterre. C’est une des raisons pour laquelle Amsterdam a pu devenir la capitale gay de l’Europe. L’immigration gay suite à cette réputation n’a fait que renforcer cette particularité hollandaise. Le résultat est paradoxal : une adhésion relativement forte au mariage de même sexe par les couples de même sexe, dans un environnement social plutôt indifférent, tranchant avec l’enthousiasme britannique. La France et l’Espagne connaissent toutes les deux une adhésion moyenne. En France, cela aurait pu s’expliquer par un pacs peu attrayant, surtout au début, et une visibilité faible à cause de l’universalité du dispositif. En Espagne, en revanche, l’ouverture du mariage fut un acte symbolique fort, mais un acte d’invisibilisation. Le mouvement gay et lesbien espagnol n’a pas revendiqué un statut spécial pour les couples de même sexe, le PSOE n’a jamais imaginé un tel dispositif. L’ouverture du mariage est une décision de principe, une application du principe d’égalité et non pas un acte de reconnaissance communautaire.