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Typologie des rencontres fondée sur le cratisme de Wladyslaw Witwicki

5.7 Types de rencontre

5.7.2 Typologie des rencontres fondée sur le cratisme de Wladyslaw Witwicki

Elaborée par un psychologue et philosophe Wladyslaw Witwicki299 au sein de sa

298

Les objectifs que nous citons ensuite sont simplifiés et donnés à tire indicatif.

299 Wladyslaw Witwicki (1878-1848), un des pères de la psychologie polonaise. Philosophe et traducteur des œuvres de Platon. L’élève de Kazimierz Twardowski. L’étudiant d’Alois Höfler à

théorie qu’il a nommé le cratisme. Le nom fondé sur le mot grec κράτος (krátos) qui signifie « la force, la puissance»300. Le cratisme est inspiré par la philosophie de Friedrich Nietzsche, d’Herbert Spencer et de Calliclès, un personnage du dialogue platonicien « Gorgias ». La construction du cratisme de Witwicki a commencé dans sa thèse du doctorat en 1900 qui a porté sur la question de l’ambition. Elle a été intitulé « Analiza psychologiczna ambicji »301. Mais sept ans plus tard, le 27 juillet 1907 à la Réunion des Médecins et des Naturalistes Polonais à Lvov dans la section philosophique, Witwicki a exposé son travail intitulé « Z psychologii stosunków osobistych »302 et c’est cette date qui est considérée comme le début du cratisme. C’est une des premières théories de la psychologie polonaise qui utilise le concept de « réciprocité » pour expliquer le comportement humain, notamment les changements des états émotionnels dans les relations interpersonnelles. Teresa Rzepa dans sont texte « Geneza, istota i konsekwencje teorii kratyzmu Wladyslawa Witwickiego »303 a écrit :

La grandeur de Witwicki réside dans le fait que, déjà en 1900 quand la psychologie sociale se trouvait en fait à ses débuts, il a entrepris la tentative de sortir en dehors du sujet d’analyses psychologiques (…). Il a introduit dans ces analyses d’autres personnes.304

Au fond de son approche se trouve une thèse réductionniste selon laquelle tous les comportements humains ont un socle commun, notamment la quête d’un

Vienne et de Wilhelm Wundt à Leipzig. Un des représentants de l’Ecole de Lvov-Varsovie. Il a travaillé à l’Université de Varsovie.

300 http://www.lerobert.com

301 Władysław Witwicki, « Analiza psychologiczna ambicji (L’analyse psychologique de l’ambition) », Przeglad Filozoficzny, n°4, Lvov, 1934, pp. 26-49.

302 Władysław Witwicki, « Z psychologii relacji osobistych (De la psychologie des relations personnelles) » dans Przegląd Filozoficzny, 10, 1907.

303 Teresa Rzepa, « Genez, istota i konsekwencje teorii kratyzmu Wladyslawa Witwickiego. (Genèse, l’essence et les conséquences de la théorie du cratisme de Wladyslaw Witwicki) », Studia Philosophiae Christianae, ATK, 26/1, 1990.

sentiment de puissance. Motivé par l’ambition305, ce sentiment est une source du plaisir que l’homme cherche pendant sa vie. En même temps, il essaie d’éviter le sentiment d’impuissance, de dépendance qui est la source de déplaisir et de souffrance.

Le sentiment de force peut se traduire par deux postures. L’une, incitée par l’instinct négatif (le cratisme dégradant) et l’état émotionnel « d’oppression » est une source de la tendance à faire rabaisser soi-même ou l’autre. La seconde posture, incitée par l’instinct positif (le cratisme relevant) et l’état émotionnel de « relèvement » donne la tendance à relever, à soutenir soi-même ou l’autre. Étant sous-jacents à la recherche du sentiment de puissance, ces deux postures ne sont pas toujours conscientisées.

Pour clarifier les termes « rabaissement » et « relèvement » citons leurs définitions :

Relever veut dire : aider, sauver, nourrir, arroser de joie, émoustiller, encourager, divertir, apprendre, bonifier, féliciter, faire de quelqu’un quelque chose plus grand, meilleur qu’il était. Rabaisser, c’est : tuer, nuire, précipiter, enlever de pain et à boire, enlever la sérénité, exposer au danger, abandonner quelque part dans un gouffre, donner un coup de pied, insulter, ridiculiser, découvrir ses points faible devant les gens malveillants, pervertir, hébéter, rudoyer, rendre quelqu’un plus petit ou pire qu’il était. Nous savons bien

305

Par ambition Witwicki entend l’instinct biologique. Elle est donnée à tout le monde. Elle s’active automatiquement. Satisfaire les ambitions est une source du plaisir. Pour cette raison, les phrases « avoir le sentiment de puissance » et « satisfaire l’ambition » deviennent synonymes.

que les gens se font encore l’un et l’autre quand ils se fréquentent.306

L’envie d’augmenter le sentiment de force n’est pas toujours consciente, mais malgré cela elle est souvent satisfaite. Le sentiment de puissance ne peut pas être identifié à l’amélioration ou à une ascension d’une position réelle.307 Or, il s’agit de la perception profondément subjective qui est pourtant suffisante pour se positionner dans une rencontre.

Comme nous l’avons dit, augmenter son sentiment de puissance est une source du plaisir. Par contre, la baisse de ce sentiment entraîne un sentiment déplaisant, alors un sentiment qu’il faut éviter ou réduire la possibilité de son apparition au maximum. Selon Witwicki, il y a quatre moyens de parvenir au sentiment de puissance :

1°) Le rabaissement de soi ; 2°) Le rabaissement des autres ; 3°) Le relèvement de soi ;

4°) Le relèvement des autres.

De cette base, il y a deux types des destinataires vers lesquels se tourne l’action : soi-même et dans ce cas, il s’agit des sentiments autopathiques (autopatyczne) ; ou vers les autres qui donnent la source aux sentiments hétéropathiques (heteropatyczne). Ces derniers se constituent en fonction des ressentiments, des impressions que nous éprouvons par rapport à celui que nous avons en face. Il s’agit de ce qu’est souvent appelé « la première impression ». Celle-ci repose selon Witwicki sur deux types des ressentiments : le premier concernant « la force vitale de l’individu rencontré »308, c’est-à-dire l’individu rencontré peut être « ressenti » comme plus fort, plus faible ou égal. Et le second type, « le

306 Władysław Witwicki, O typach charakterów (Sur les types des caractères), Varsovie, 1939, p. 21. 307

La relation entre le sentiment de puissance et la puissance réelle est comme la relation entre un idéal et le cas concret précise Witwicki dans son travail du 1939.

ressentiment amical ou hostile par rapport à moi-même »309 que nous pouvons ressentir dans une rencontre. Le mélange de ces deux ressentiments détermine le rapport à la personne rencontrée. Il existe six types des sentiments hétéropatiques :

1°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un de plus fort, bienveillant ;

2°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un d’égal, bienveillant ; 3°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un de plus faible, bienveillant ;

4°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un d’hostile, plus fort ; 5°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un d’hostile, égal ; 6°) Les sentiments ressentis par rapport à quelqu’un d’hostile, plus faible.

Si on se réfère à cette typologie pour constituer une typologie des rencontres, nous pouvons considérer qu’elle montre deux types principaux des rencontres : bienveillantes et hostiles. Ceci permet de saisir la rencontre dans son aspect ou sa nature négative, c’est-à-dire elle démontre qu’une rencontre n’est pas toujours et seulement quelque chose de positif, constructif. Elle peut être également, en paraphrasant Francis Jacques, une rencontre tronquée.

Teresa Rzepa, en s’appuyant sur le contenu du tome 2 de La Psychologie de Witwicki, a répertorié les états des sentiments en tenant compte des sentiments dominant dans chaque relation. Elle les présente de manière suivante :

Tableau 1. Les types des états sentimentaux310 Rapport au partenaire Bienveillant Hostile d'interaction Jugement de la force du partenaire Plus fort Honneur

(reconnaissance) Haine (envie, jalousie)

Egal Amitié Impasse

Plus faible

Compassion (le sentiment protecteur)

Ironie (colère, mépris, ignorance, répugnance) Cette classification des sentiments constitue en même temps une typologie des rencontres. Elle dresse des as principaux qui peuvent sembler simplistes ou réductionnistes pour pouvoir analyser des relations interpersonnelles. Néanmoins, Witwicki tient compte de la complexité de la relation humaine. Il souligne que même vis-à-vis de la même personne, les sentiments peuvent être mélangés, voire contradictoire. Il donne l’exemple du sentiment amoureux qu’il a décrit :

(…) par la nécessité psychologique un amoureux doit se réjouir de l’impuissance, de la non-autonomie, de la dépendance de la personne aimée et par la suite causer la même impuissance.311

310

Teresa Rzepa, op. cit., p. 227.

311 Wladyslaw Witwicki, Fedon. Podstawa dialogu (Phèdre de Platon. Le fond du dialogue). Lvov, 1925, p. 145.

La relation amoureuse, saisie par le prisme cratique, montre qu’il s’agit de la relation bienveillante qui balance entre l’honneur, l’amitié et la pitié, c’est-à-dire qu’on est à la fois « faible », « fort » et « égal ». Ceci montre immédiatement la bipolarité et surtout la complexité de ce sentiment.

Witwicki a mis en pratique la force explicative de sa théorie en faisant des analyses des situations comiques312, en expliquant les différents comportements des personnages des dialogues de Platon313 et des personnes dans la vie quotidienne314. Il l’a également employé pour construire la typologie des personnes.

Ce qui nous intéresse particulièrement, est ce qui concerne la vie quotidienne (le trait caractéristique de la pensée philosophique polonaise). Witwicki a consacré son attention entre autres sur les sentiments de honte et du trac. Sur la honte, il a écrit ceci :

Chaque honte est un sentiment déplaisant d’humiliation et de l’effort pour cacher ce qu’est ressenti comme l’impuissance ou qui expose à l’impuissance à la vue de ce qui peut la regarder négativement (…). La honte conduit facilement au mensonge, à la feintise, à la fausseté devant les autres et devant soi-même. Le mensonge cherche dans ces cas à cacher les faiblesses devant les yeux du public.315

312 Wladyslaw Witwicki, Fileb. Objasnienia (Philèbe du Platon. Les explications), PWN, Varsovie, 1958c.

313 Witwicki a traduit un nombre significatif des dialogues de Platon. Il est également l’auteur des introductions, des commentaires et des explications de ces ouvrages.

314 Nous les retrouvons dans ses lettres adressées à son fils Tadeusz. 315 Wladyslaw Witwicki, La Psychologie, T. 2, p. 173.

Il explique ainsi le trac :

Ceci est en fait une peur de l’humiliation, qui peut nous rencontrer de manière différente et inattendue. Il peut révéler notre impuissance en comparaison avec les autres et beaucoup de gens nous regarderont par-dessus de leurs épaules, du haut, avec dédain ou avec le mépris ou des autres ne remarqueront le faux pas, mais nous ne nous pardonnerons pas l’erreur.316

En abordant la rencontre par le biais de la puissance et des sentiments la théorie du cratisme a attiré l’attention sur deux aspects très importants. Conçue au début du XXͤ siècle, aujourd’hui peut être plus que jamais elle est d’actualité. Car elle s’inscrit parfaitement dans le courant ou la tendance biologiste. Dans l’ère des neurosciences présentes dans chaque domaine et dans lesquelles nous mettons beaucoup d’espoir pour pouvoir répondre aux questions liées aux comportements humains. Or, les explications fondées sur les besoins ou les instincts primaires trouvent leur place.

Présentée ainsi, la théorie de Witwicki est souvent comparée avec celle d’Alfred Adler317 car les deux auteurs traitent la question de l’ambition. En 1935, Estera Markinowna a fait une étude comparative318 dont elle a montré que ces théories ont été créés indépendamment et contiennent des différences importantes, celles concernant les sources disciplinaires – la théorie de Witwicki est à la fois une

316Idem, p.172. 317

Alfred Adler (1870-1937), médecin et psychothérapeute autrichien d’origine juive. Le fondateur de la psychologie individuelle.

318 Cf. Estera Markinowna, « La psychologie de la quête de la puissance. La recapitulation des idées de Witwicki et Adler » [Psychologia dazenia do mocy. Zestawienie pogladow Witwickiego i Adlera], Revue Trimestielle de la Psychologie

théorie de la psychologie générale appliquée à la psychologie des sentiments et en même temps une théorie philosophique appliquée à l’esthétique. Nous pouvons ajouter qu’elle est aussi appliquée à la philosophie de rencontre. Tandis que la théorie d’Adler prend ses racines dans la psychopathologie, la psychothérapie et la pédagogie. Pour Witwicki l’ambition est saisie dans des termes positifs. Dans l’approche adlerienne, elle est liée au sentiment d’infériorité qui pousse à agir et permet de le compenser – le rabaissement des autres pour se sentir supérieur. Le cratisme et la théorie des sentiments hétéropathiques manifestent une grande force descriptive et explicative. Elles permettent de prévoir des comportements, ce qui offre une possibilité de régulation de la rencontre.

En abordant la question de la rencontre par le prisme de la quête de puissance et également de la reconnaissance des positionnements respectifs des participants, elle est considérée comme un combat. Menée pour se sentir puissant alors dominant (en tant que possible en fonction de la personne rencontrée en face) sur l’environnement et les personnes présentes et ressentir du plaisir. Ainsi la rencontre est une opportunité de construire son estime de soi. Witwicki, contrairement aux traditionnalistes et à l’incontrologie, n’accorde pas à la rencontre « le pouvoir de devenir » l’Homme ou la Personne, mais de construire son sentiment de puissance. En fondant sa théorie sur une telle base, Witwicki montre leur importance. Ils deviennent constitutifs pour la rencontre, car ils donnent le caractère, la tonalité en formant ainsi son déroulement.