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Dans la philosophie, la rencontre a toujours été présente, mais en quelque sorte « invisible ». Elle n’attirait pas l’attention des philosophes même dans les dialogues platoniciens qui sont une exemplification de la rencontre par excellence. Adam Wegrzecki l’explique ainsi :

Cet état des choses se maintenait aussi long temps que dans la réflexion philosophique n’apparaît pas la question de l’autre homme, un Tu humain, restant dans une certaine relation avec un Je, que dans la réflexion sur l’homme on ne se rendait pas compte de la particularité et la spécificité de cette question.265

Ni le paradigme ontologique, ni celui mentaliste avec sa méthode « renversante » de Descartes n’ont remis la rencontre dans la lumière de la réflexion. Joseph Bőckenhoff, dans Die Begegnungsphilosophie. Ihre Geschichte – ihre Aspekte, citant après Adam Węgrzecki, affirme :

au début de la pensée philosophique, l’autre homme n’était pas quelque chose de problématique mais d’évident.266

265

Adam Wegrzecki, Wokol Filozofii Spotkania (Autour de la philosophie de rencontre), WAM, Krakow, 2014, p. 14.

Cet auteur allemand mentionne les philosophes tels que Jacobi, Humboldt, Fichte et Feuerbach parmi les précurseurs de la philosophie de la rencontre, car ils introduisent la réflexion concernant le Tu. Jacobi trouve que Tu est une condition nécessaire du Je. Humboldt attire attention sur l’individu. Fichte introduit Non-Moi. Pour Feuerbach, l’Autrui est inévitablement lié avec Je. Il est peut-être judicieux de souligner que l’introduction de la question d’Autrui, n’ouvre pas (ou pas encore) la problématique de la rencontre en tant que telle. La philosophie de la rencontre se caractérise par une rupture avec le paradigme cartésien et son postulat principal consistant à placer Je au point de départ de la réflexion philosophique. La philosophie de la rencontre met à cette place Je et Tu et se focalise sur les différentes configurations de ces deux éléments. Gabriel Marcel trouve qu’Autrui est un point de départ pour se concentrer ensuite sur Nous crée par Je et Tu. Theunissen se focalise sur « l’ontologie Entre »267

(Ontologie des Zwischen)268. Buber part de la relation du JeTu et construit sa philosophie autour d’elle.

La philosophie de la rencontre propre s’est développée au début du XXᵉ siècle avec la philosophie de Martin Buber et sur le sol français avec celle de Gabriel Marcel. Dans l’avant-propos de Je et Tu Marcela écrit :

Je crois pouvoir dire que Martin Buber et moi, nous avons éprouvé une surprise analogue quand chacun de nous, pour son propre compte, a constaté que l’autre, parallèlement à lui et son insu, avait poursuivi une même recherche sur l’originalité du Toi. »269

267 Entre une personne et une autre il y a « quelque chose » qui possède sa propre ontologie. 268

Michael Theunissen, Der Andere : Studien zur Sozialontologie des Gegenwart, Walter de Gruyter, Berlin, 1977.

La philosophie de la rencontre se positionne au croisement de l’anthropologie philosophique et la philosophie du dialogue270 avec laquelle elle est étroitement liée et souvent même identifiée. Cette identification, cette juxtaposition est possible, remarque Adam Wegrzecki seulement si par la rencontre nous comprenons un contact quelconque entre les personnes. Par contre, si nous donnons à la rencontre un sens « approfondi » comme le veulent les philosophes de la rencontre, la philosophie du dialogue et la philosophie de la rencontre se séparent. Ainsi la rencontre devient un objet d’étude à part entière. Wegrzecki écrit :

Le dialogue est une forme de la communication entre les gens, qui sert à l’élargir et l’approfondir et à aider d’atteindre un accord. Cependant la rencontre doit avant tout rendre possible la coexistence plus comblée et la représentation mutuelle des personnes y participant.271

Wegrzecki trouve que le dialogue doit se produire dans la rencontre, mais il n’est pas nécessaire tout au long. Du point de vue de la communication, nous pourrions dire qu’effectivement le dialogue verbal n’est pas constamment indispensable, car nous communiquons également non-verbalement. La rencontre authentique et pleine selon Wegrzecki est dépourvue de tous les types des contraintes et des limites donc y compris de l’obligation de dialoguer. Autrement dit, la présence du dialogue est « sinusoïdale » et volontaire dans la rencontre sans contraintes. Nous pouvons dire que la rencontre n’est pas un dialogue, mais le dialogue est une forme de la rencontre. Il est une forme

270 Souvent la philosophie de la rencontre est identifiée avec la philosophie du dialogue. Suite au renforcement de l’intérêt pour la philosophie de la rencontre, Theunissen pour la différencier nettement du transcendantalisme l’a saisi dans le terme Dialogismus. Le transcendantalisme voit en l’autre Homme un étranger, une autre subjectivité similaire à Je, tandis que le dialogisme voit en l’autre Homme une personne. C’est ainsi que Theunissen traduit la différence.

langagière de la rencontre et la rencontre contient le dialogue. Leur complémentarité a fait justement que la rencontre a échappé aussi longtemps à l’attention des philosophes.

La philosophie de la rencontre s’efforce de saisir ce moment en tant que phénomène que nous ne pouvons pas réduire à une rencontre quelconque. Elle veut souligner qu’il s’agit d’un rapport à, d’une relation avec Autrui dans l’ensemble de son être, c’est-à-dire dans toutes ses dimensions : émotionnelle, cognitive, communicationnelle, temporelle etc. Elle veut voir la rencontre comme un moment privilégié, car c’est un moment où deux personnes, et non individus, s’approchent.