• Aucun résultat trouvé

Sémiostylistique du générique

F. Génériques conceptuels et fonction métagénérique

I. Différents types de prégénériques

Le prégénérique est un morceau de fiction, placé avant le générique proprement dit. Les analyses les plus précises à ce jour sur ce point l’ont plutôt défini par rapport au modèle littéraire du prologue, en s’intéressant plus particulièrement à

l’annonce de l’intrigue — ce que les Américains appellent le teaser1 — qu’au résumé

des épisodes précédents. Raffaele Di Berti et Dario Piana définissent ce qu’ils appellent le prologue (et que nous appellerons le prégénérique analeptique inconnu) comme un nœud textuel. Ils commentent plus spécifiquement le « prologue » ainsi :

Un nodo testuale che anticipa la sigla (a cui è però fortemente legato) è il prologo. Esempi di prologo si trovano nelle serie a episodi Vita da strega, Chips e Star Trek. Il prologo, attraverso l’introduzione dell’argomento della singola puntata, informa anche su quelle che sono le grandi coordinate dell’intera serie. Infatti nel prologo ritornano sempre le costanti del telefilm anche se ogni volta vengono proposte in modo apparentemente diverso come in un gioco di continue parafrasi2.

L’intérêt de cette conception est qu’elle lie à la présentation de l’intrigue particulière — ce qui paraît évident à tout téléspectateur — celle de la série, faisant du prégénérique une sorte de miniature du programme à venir.

Le prégénérique est court, bien que sa durée s’allonge dans les séries les plus récentes. À la télévision, il apparaît à la fin des années 60, avec le teaser. Ainsi, alors que les premiers épisodes de Mission : Impossible (idem) commençaient directement par le générique, la quatrième saison de la série voit apparaître un prégénérique avec un teaser. D’après nos calculs, le prégénérique apparaîtrait donc en 1966 pour

The Wild Wild West / Les Mystères de l’Ouest et The Fugitive / Le Fugitif et en 1969

1 Un teaser est une accroche, quelque chose qui est là pour « exciter », c'est-à-dire piquer la curiosité du téléspectateur. Il s'agit donc d'un type de prégénérique qui montre un événement inconnu du téléspectateur qui se demande alors comment cet événement a pu se passer, quelles sont ses conséquences, etc. et regarde l'épisode qui va suivre.

2 Raffaele Di Berti et Dario Piana, « Segnali »,art. cit., p. 52 : « Le prologue est un nœud textuel qui anticipe sur le générique (à qui il est cependant fortement lié). Des exemples de prologues se trouvent dans les séries Ma Sorcière bien aimée, CHiPS et Star Trek. Le prologue, à travers l’introduction de l’argument de l’intrigue, informe aussi sur les grands principes de la série dans son intégralité. En fait, dans le prologue, reviennent toujours les constantes du programme même si, chaque fois, elles sont présentées d’une manière apparemment différente comme dans un jeu de paraphrase continue. » (c’est nous qui traduisons)

pour Mission : Impossible (idem). On remarquera que ce changement correspond au passage, pour The Wild Wild West / Les Mystères de l’Ouest et The Fugitive / Le

Fugitif, du noir et blanc à la couleur. Le prégénérique est ainsi l’exemple typique d’un

« seuil » qui change, apparaît ou disparaît selon les œuvres ou les périodes : « Les voies et moyens du paratexte se modifient sans cesse selon les époques, les cultures, les genres, les auteurs, les œuvres, les éditions d’une même œuvre, avec des différences de pression parfois considérables […]3. »

Dans la plupart des cas, le prégénérique est achronique4 — sa situation temporelle n’est, en général, pas immédiatement contiguë à la première séquence de l’épisode. Il peut être analeptique : il présente alors des événements antérieurs aux événements narrés dans l’épisode. Il peut également être proleptique : il présente alors des événements postérieurs à la première séquence de l’épisode. Il peut être aussi simplement achronique : il est alors impossible de savoir précisément si les événements qu’il présente ont lieu avant ou après le début de l’épisode. Il est évident qu’un même prégénérique peut, s’il compte deux parties, mêler différents types de distorsions temporelles, ce dont nombre de séries télévisées ne se privent pas.

Le prégénérique purement analeptique est le plus répandu. Nous pouvons distinguer deux catégories au sein de cet ensemble : les prégénériques analeptiques montrant des événements dont le téléspectateur a déjà connaissance — que nous nommerons prégénériques analeptiques connus — et ceux faisant découvrir de nouveaux événements au téléspectateur — que nous nommerons prégénériques analeptiques inconnus.

3 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 9.

4 Nous utilisons ici les catégories définies par Gérard Genette dans Figures III (op. cit., p. 82) qui désigne « par prolepse toute manœuvre narrative consistant à raconter ou évoquer d’avance un événement ultérieur, et par analepse toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire où l’on se trouve, et réserv[e] le terme général d’achronie pour désigner toutes les formes de discordance entre les deux ordres temporels dont nous verrons qu’elles ne se réduisent pas entièrement à l’analepse et à la prolepse ».

Nous appelons T0 le moment qui marque le début de la première séquence de l’épisode après le générique : c’est donc à partir de ce point de référence temporelle que nous définirons les séquences du prégénérique comme achroniques, analeptiques ou proleptiques.

Le prégénérique analeptique connu est très fréquent dans les séries télévisées feuilletonesques : il s’agit du classique « résumé des épisodes précédents », parfois introduit par une voix hors champ disant « Previously in…5 » ou « On the last episode of…6 ». Il permet de replacer les situations précédentes les plus marquantes et nécessaires à la compréhension des nouveaux événements narrés par l’épisode. C’est notamment vrai des ensemble shows, qui font suivre simultanément au téléspectateur plusieurs intrigues rattachées à plusieurs personnages. Ce type de prégénérique est présent, par exemple, dans Ally McBeal (idem), ER / Urgences ou encore Homicide : Life on the Street / Homicide.

Le prégénérique analeptique inconnu est certes moins présent, mais il prend une importance de plus en plus grande. Dans ce cas, il nous montre généralement un événement qui va déclencher, sinon l’intégralité de l’épisode, du moins le début de son intrigue : c’est le teaser. Dans le premier cas, nous pouvons citer The X-Files

/ Aux frontières du réel : le prégénérique nous montre un événement extraordinaire,

« aux frontières du réel », qui pique la curiosité du téléspectateur. Après le générique, Mulder expose à Scully le cas étrange que le téléspectateur vient de voir au prégénérique. Après en avoir discuté, nos deux agents du FBI démarrent une enquête qui se déroulera tout le temps de l’épisode7. Pour illustrer le second cas, nous pouvons citer Third Watch / New York 911 : le téléspectateur découvre un accident ou un incendie qui va nécessiter l’intervention des pompiers, des secouristes et/ou des policiers.

Cependant, à l’heure actuelle, la plupart des séries télévisées combinent ces deux éléments : une première partie du prégénérique offre un résumé des épisodes précédents tandis que la seconde partie présente un nouvel élément qui va faire démarrer l’épisode. Cette construction en deux temps s’accompagne souvent d’une démarcation entre les deux moments, insérant ainsi un seuil — que nous appelons seuil interne — dans le seuil.

5 « Précédemment dans … » en version française.

6 « Dans le dernier épisode de… ».

7 À l’exception des quelques histoires se développant sur deux ou trois épisodes, minoritaires dans l’économie générale de la série et ayant un statut à part. Ces intrigues développées sur deux ou trois épisodes seront plus particulièrement commentées dans notre chapitre consacré au format.

Le prégénérique proleptique est beaucoup plus rare que le prégénérique analeptique et nous n’en avons pas trouvé d’exemples stricto sensu dans les bornes chronologiques qui nous intéressent. Généralement, la séquence proleptique est un extrait de l’épisode qui va suivre. Par exemple, dans The Fugitive / Le Fugitif, le prégénérique présente une situation difficile dans laquelle le Docteur Richard Kimble va se trouver lors de l’épisode. La question posée par le prégénérique est alors : « Richard Kimble va-t-il être pris ? Comment va-t-il faire pour s’en sortir ? » Ce type de prégénérique est non seulement rare, mais semble aussi attaché à une époque : à The Fugitive / Le Fugitif, nous pouvons rajouter, recensés par Raffaele De Berti et Dario Piana, Magnum P.I. / Magnum, Dallas (idem) et Baretta (idem). Cependant, l’aspect proleptique n’a pas tout à fait disparu, puisque les épisodes de séries sont généralement suivies d’une annonce de ce qui suivra dans l’épisode suivant, une sorte de prégénérique de fin. Un montage de courts extraits de l’épisode suivant donne donc au téléspectateur un avant goût et agit dans une perspective de construction de suspense : il est en effet vital, pour la chaîne, que le téléspectateur revienne la semaine suivante. Dans les décennies précédentes, ce prégénérique de fin pouvait être composé de plans issus de l’épisode qui venait d’être vu et une voix hors-champ résumait les questions restées en suspens8. Mais ce dispositif semble avoir disparu au profit d’une énonciation davantage masquée, qui permet au téléspectateur de ne pas sortir de l’ambiance de la série.