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Un autre problème méthodologique s’est posé concernant le choix des outils qui nous permettraient d’analyser notre objet d’étude. Á côté des catégories définies par la rhétorique, la linguistique et la critique littéraire et des notions forgées par la sémiologie du cinéma ou les travaux sur la télévision, nous avons décidé de prendre également en compte les aspects économiques, voire sociologiques, qui entrent nécessairement en ligne de compte lorsque l’on travaille sur la télévision.

Notre approche sera essentiellement rhétorique et sémiologique. Ces deux axes constitueront le socle méthodologique de notre étude. Ce choix présuppose que l’on considère la fiction télévisée et, partant, l’image, comme un discours. Nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’il peut exister des images « à l’état sauvage », pour reprendre les mots de Breton. Toute image, et encore plus tout image comprise dans un enchaînement temporel et syntagmatique, est une énonciation, même si cette énonciation est complexe du fait de son statut plurisémiotique et qu’il est parfois difficile de circonscrire précisément les contours de l’énonciateur — c’est pourquoi nous ferons appel à la théorie de la stylistique actantielle et à son analyse du niveau !80. Aux niveaux I (entre le narrateur et le lecteur)81 et II (entre les différents personnages)82, Georges Molinié ajoute un niveau !, dont l’actant émetteur est le scripteur, qui soutient les deux précédents niveaux et

80 Voir Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de

Le Clézio.- Paris : PUF, coll. « Perspectives littéraires », 1993, 306 p.

81 « le niveau I est le niveau dominant, ou niveau commun, dans ce qu’on appelle le récit ou la description “impersonnels” ou “à la troisième personne“ ; c’est aussi celui des indications scéniques au théâtre. L’actant récepteur est le lecteur du texte ; l’actant émetteur est le producteur “fondamental” de ce discours : c’est-à-dire le producteur obvie et immédiat (celui que, dans sa plus grande généralité, on appelle le narrateur). » (Ibid., p. 49).

82 « Le niveau II est supporté par le niveau I (pris, le cas échéant, dans sa globalité), ce qui signifie qu’il en dépend énonciativement. Il s’agit des échanges de paroles entre les personnages, dans les

est responsable, en gros, des programmes structural (une pièce de théâtre ou une sorte de roman) et anecdotique (telle ou telle schématisation actorielle). Sont référables à cet actant émetteur ! les faits non directement rattachables à l’une des quelconques formes d’actant émetteur des niveau I et II ; on rattachera également à cet actant émetteur ! les faits qui dépendent plutôt d’actants généraux, comme ceux des instances productrices de discours typiquement ou génériquement surmarqués ou surcaractérisés (qu’il s’agisse de saturation ou de jeux sur la substance de l’expression, la forme de l’expression ou la forme du contenu)83.

Cette théorisation du niveau ! nous permettra de sortir de la seule approche auteuriste et de nous intéresser aux phénomènes d’identité de chaîne, par exemple, ou à l’intertextualité en tant qu’expression d’une demande sociale du public.

Il est ensuite évident pour tous les observateurs des médias que le climat concurrentiel de plus en plus fort qui existe entre les différentes chaînes les poussent à vouloir persuader davantage le téléspectateur de les regarder. Une rhétorique télévisuelle84 se crée donc et constitue un formidable champ d’investigation pour le chercheur.

Enfin, une des spécificités de la communication humaine est que l’idéal de coïncidence entre le code de l’émetteur et celui du récepteur n’est pas toujours atteint. Il y a alors de fait apparition d’un espace de négociation entre les partenaires de l’échange, espace qui n’est autre que la rhétorique. Cette dernière ne peut donc

textes qui en mettent explicitement en scène, que ce soit du roman ou de la poésie narrative ou dramatique, des passages de ce type dans des œuvres à dominante hétérogène (lyrique ou réflexive), ou toute production de genre mêlé impliquant des prises de parole intrafictionnelles. » (Ibid., p. 52)

83 Ibid., p. 57.

84 Nous devrions d’ailleurs plutôt parler de rhétoriques télévisuelles, si nous suivons le titre des actes du colloque d’Aix-en-Provence organisé les 18 et 19 mai 2000 par le LESI et l’INA-Méditerranée. Voir Marie-Claude Taranger et René Gardies (dir.), Télévision : questions de formes (2). Rhétoriques

télévisuelles.- Paris : L’Harmattan, coll. « Champs visuels », 2001. D’autre part, la dimension

rhétorique du film de fiction, au cinéma, a été reconnue assez tôt et, à notre sens, l’analyse est applicable à la télévision : « L’œuvre d’art n’est réductible ni à son contenu ni à sa réplique matérielle signifie, en l’espèce, que le film de fiction n’est réductible ni à l’histoire narrée, ni à un pur assemblage d’images et de sons. Dès lors, il n’est d’autre solution que de renvoyer l’œuvre à l’artiste qui essaye d’influencer rhétoriquement son récepteur par cet objet particulier qui ne se borne pas à représenter un sujet, mais qui exprime aussi quelque chose à son propos. » (François Jost, Un monde à notre

que s’appuyer en premier lieu sur une analyse sémiotique des codes mis en œuvre dans le discours étudié85.

En outre, cette rhétorique est double. D’après Catherine Kerbrat-Orecchioni, tout énoncé comporte deux dimensions, une dimension descriptive et une dimension performative :

[…] parler, c’est sans doute échanger des informations ; mais c’est aussi effectuer un acte, régi par des règles précises (dont certaines seraient pour Habermas universelles), qui prétend transformer la situation du récepteur, et modifier son système de croyances et/ou son attitude comportementale ; corrélativement, comprendre un énoncé, c’est identifier, outre son contenu informationnel, sa visée pragmatique, c’est-à-dire sa valeur et sa force illocutoires86.

La visée persuasive est ainsi mise au cœur de la parole. Or, considérant les séries ou les feuilletons comme des discours et comme des exercices de parole, fût-elle plurisémiotique, nous devons leur reconnaître aussi cette visée argumentative. Cette approche nous porte même à opérer un renversement de perspective :

[…] parler, ce n’est pas fondamentalement informer, c’est argumenter ; ce n’est pas dire des choses “nouvelles”, mais des choses qui “tirent à conséquence” : un énoncé se justifie par sa pertinence argumentative, c’est-à-dire par ses virtualités d’enchaînement ; corrélativement, avoir une conception pragmatique de l’activité langagière, c’est considérer comme prévalente sa finalité argumentative87.

85 Voir ainsi Jean-Marie Klikenberg : « […] il n’y a jamais superposition parfaite des codes à la disposition de l’émetteur d’une part et du récepteur de l’autre, du moins lorsqu’il s’agit de partenaires vivants. Une telle superposition rendrait en effet toute communication inutile. Car une communication sert à partager avec quelqu’un une connaissance qu’il n’avait pas, des sentiments qu’il n’éprouvait pas, à lui insuffler de nouvelles raisons d’agir de telle manière, etc. La communication sert à modifier l’ensemble des données dont le partenaire dispose, et donc l’organisation des signes dans son code.

Ce constat — les partenaires partent en principe toujours de codes présentant des divergences — ouvre le champ d’une véritable négociation entre partenaires, négociation qui est l’objet de disciplines diverses (rhétorique, pragmatique) […]. » (Précis de sémiotique générale, op. cit., pp. 49-50).

86 Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’Énonciation.- Paris : Armand Colin, coll. « U Linguistique », 1997, p. 185.

87 Ibid., p. 200. Dans ces pages, Catherine Kerbrat-Orecchioni fait référence aux théories d’Oswald Ducrot.

Nous voici donc plongé en plein dans l’« empire rhétorique88 » qui peut trouver sa justification dans l’étude anthropologique. En effet, une hypothèse récemment formulée fait non seulement du discours, mais plus particulièrement de la narration, une forme avant tout argumentative et sociale :

[…] l’interprétation d’un texte comme argumentatif est une opération directe et première, qui ne vient pas s’ajouter à l’interprétation narrative. Pourtant, au plan du développement, on peut supposer qu’une telle opération est le résultat d’une abstraction et d’une généralisation de l’interprétation narrative. De telles observations trouvent d’ailleurs un relais dans l’anthropologie. Selon Bernard Victorri, on peut voir dans la narration l’une des premières fonctions discursives à finalité politique. A ce titre, Victorri voit dans l’activité narrative une fonction de régulation des crises politiques. Selon cette hypothèse, face à la récurrence des situations conflictuelles, nos ancêtres auraient pris l’habitude d’évoquer les crises précédentes sous la forme de récits. La mise en récit d’un événement encore présent dans la mémoire de la collectivité aurait servi d’exemple pour influencer la décision face à l’événement contemporain. Ce faisant, la collectivité se dotait d’une “jurisprudence narrative”89.

Ainsi, s’il est possible de considérer tout récit comme forme argumentative, il faut désormais s’interroger sur le genre rhétorique auquel appartient la narration90.

C. L’inscription de la fiction télévisée dans le