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Chapitre Premier

A. Un seuil propre à la chaîne de diffusion

Un titre de collection subsumant plusieurs séries télévisées est assez rare. En revanche, les titres de cases de programmation sont plus fréquents et se diffusent de plus en plus, du fait de la forte valeur ajoutée du dispositif en termes de communication et de capitalisation d’audience.

Dans les deux cas, le choix du titre relève plus de la chaîne que d’un autre énonciateur, d’autant plus qu’une même série télévisée peut passer d’une case de programmation explicitement titrée à une autre, que ce soit lors de l’exportation de

4 Voir, par exemple, l’ouvrage de Laurent Fonnet, La Programmation d’une chaîne de télévision.- Paris : Éditions Dixit, coll. « DESS Communication Audiovisuel Paris I Sorbonne », 2003, p. 21-26.

5 Voir Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 59 : « J’ignore si l’on qualifie de surtitres les titres généraux imposés après coup, comme Tome premier, mais il me semble qu’il faudrait mieux réserver ce terme à la situation inverse, celle des ensembles à plusieurs volumes dont chacun porte un titre séparé. C’est en particulier celle des séries romanesques du type Rougon-Macquart, Recherche, Hommes de

bonne volonté, etc. — la Comédie humaine, de rassemblement ultérieur et d’unité plus lâche, faisant

ladite série6 ou lors d’une rediffusion ou d’une restructuration de grille sur une même chaîne7. En tout état de cause, le travail des chaînes de télévision sur leur grille de programmation relève de l’argumentation métadiégétique, et non de l’argumentation extradiégétique. C’est pourquoi nous ne proposerons, pour ce niveau, qu’un parcours assez rapide plaçant les jalons indispensables à une meilleure compréhension de la production, la programmation et la réception des séries télévisées.

1. Approche historique.

Le titre de niveau hypertitulaire peut exister dans deux cas de figure : soit la série télévisée est créée pour être insérée dans cette case de programmation, soit elle a été créée sans case spécifique et est (re)programmée lors d’une rediffusion dans une case spécifique. Généralement, le titre apparaît dans l’habillage de la chaîne, qui introduit la case de programmation, ou dans les bandes-annonces de la case ou de la collection.

Nous n’avons pas pu dater précisément l’apparition des titres de niveau hypertitulaire, mais il semblerait qu’elle soit liée à la prise de conscience par les directeurs de chaîne de la nécessité de structuration de la grille de programmation. François Jost indique à juste titre que c’est à partir de 1985, en France, que ces

problèmes se font réellement jour8, quand les chaînes commencent à émettre toute

la journée9. Aux États-Unis, selon les grilles de programmes fournies dans The

6 C’est le cas, par exemple, de The Pretender / Le Caméléon ou de Profiler (idem) passant de la

Thrillogy de NBC à La Trilogie du samedi de M6.

7 Ce fut le cas de plusieurs séries sur Série Club : ainsi The Practice / The Practice : Donnell &

Associés a été programmé dans la case Club American Way au milieu de la saison 2001-2002, dans

le Club Premium au début de la saison 2002-2003, dans la case Club Émotions au milieu et à la fin de la même saison, voire dans une case à l’existence très précaire, Sérieclub Événement, le 27 août 2004.

8 François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision, op. cit. Voir notamment la page 9 et, dans le chapitre III, les pages 47 à 50.

9 Voir Laurent Fonnet qui, dans La Programmation d’une chaîne de télévision (op. cit., p. 16), propose quelques jalons historiques : « Le 6 janvier 1975, jour de création des nouvelles sociétés de programmes, TF1 ouvre son antenne à 12 heures 30, Antenne 2 à 12 heures et FR3 à 18 heures 30. À partir de 1985, les nouvelles chaînes commerciales ont émis 24 heures sur 24. C’est dans le prolongement de la “guerre du Golfe”, dont la couverture l’avait amené à diffuser toute la nuit le mercredi 16 janvier 1991, que TF1 a diffusé toute la journée. France 2 a suivi à partir du 7 juillet 1991 ; auparavant, elle fermait son antenne de 1 heure 30 à 6 heures 45. Et ce n’est qu’à l’occasion de la

Complete Directory to Prime Time Network and Cable TV Shows 1946-Present10, la première case de programmation non dévolue à un programme fixe est présente dès 1946, le dimanche soir, sur la chaîne DuMont, qui passait alors un western11. Cependant, ce qu’on appelle une « grille de programmation » était apparue un peu plus tôt :

Les premières “grilles” d’émissions télévisées apparaissent aux États-Unis en 1944, sur quatre réseaux de télévision hertzienne, tous privés : ABC, CBS, NBC et DuMont, chaîne qui disparaîtra quelques années plus tard. À l’époque, contrairement à la radio qui peut transmettre des programmes en différé, la diffusion des images se fait constamment en direct. Les premiers programmes de grande envergure sont consacrés aux manifestations sportives. Ainsi, la Cavalvade of Sports de la chaîne NBC est diffusée deux fois par semaine dès 1944 et figurera dans la grille de la chaîne jusqu’en 1949.

La fiction et la comédie ne tardent pas à apparaître elles aussi. En 1945, NBC

Television Theater propose, comme son nom l’indique, des pièces de théâtre tandis que The Hour Glass introduit au petit écran ce que les Américains nomment Vaudeville — pendant

américain des tournées d’humoristes et de chansonniers de cabaret français. En 1946, DuMont diffuse en soirée Faraway Hill, le premier soap opera et, en 1947, la première sitcom ou “comédie de situation”, Mary Kay and Johnny. En 1949, NBC met à l’antenne le premier soap

opera diffusé en journée, These are My Children12.

Ainsi, dès les débuts de la télévision américaine, la logique de grille et de programmes récurrents, à place fixe dans le déroulement chronologique soit quotidien, soit hebdomadaire, existe clairement. Freedland, qui est le premier directeur de CBS, a, dès 1949, l’intuition que la publicité pèsera sur la programmation et qu’il faudra organiser la grille en relation avec celle-là et réhabiliter la forme cinématographique du serial : « A la fin de chaque transmission, ces téléfilms se termineront par l’annonce à suivre, afin que le spectateur anxieux de

retransmission des Jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City, dont l’horaire imposait la diffusion en direct des épreuves la nuit, que France 3 a rejoint ses confrères le samedi 9 février 2002. »

10 Tim Brooks et Earle Marsh, The Complete Directory to Prime Time Network and Cable TV Shows

1946-Present.- New York : Ballantine Books, 2007 (neuvième édition mise à jour), 1832 p.

11 Voir ibid., p. 1569.

12 Martin Winckler, Séries Télé. De Zorro à Friends, 60 ans de téléfictions américaines.- Paris : Librio, coll. « Repères », 2005, p. 12.

connaître la suite se trouve obligé de voir et d’entendre la publicité qui encadrera le programme13 ».

Pour la France, François Jost définit trois périodes dans l’évolution structurelle de la programmation : une première période, de 1950 à la moitié des années 1960, où les programmes étaient peu nombreux, « conçus comme des œuvres, des spectacles plus ou moins autonomes, chacun étant séparé des autres par des intervalles marqués » ; puis, le temps d’antenne augmente, « les intervalles entre les émissions se réduisent pour aboutir, dans les années 1980, à la constitution d’un flux continu, quasi-mécanique, par un simple allongement de la diffusion » ; enfin, « les limites entre les émissions s’érodent par une mise en place de bandes-annonces tout au long de la journée, puis dans les émissions14 ». Le mot même de grille n’apparaît qu’en 1964, au moment où naît la deuxième chaîne15. La structuration de la grille de programmation passe donc par la définition des cases16, qui est d’autant plus nécessaire que le flux télévisuel fait perdre au téléspectateur ses marques et ses repères tangibles, tels que les speakerines17 ou les génériques.

Serge Daney de manière plus empirique, déclare :

En fait (comme les choses paraissent claires avec le recul !), on peut dater de cette période [la fin des années 50] le grand tournant de l’industrie des images de l’après-guerre : le passage graduel du monde de la production à celui de la programmation. Au cinéma comme à

13 Freedland cité par François Jost, Comprendre la télévision, op. cit., p. 29.

14 François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision, op. cit., p. 49.

15 Voir François Jost, Comprendre la télévision, op. cit., p. 29 et 48 ; et Jérôme BERTIN, « La programmation télévisuelle : une arme stratégique dans la guerre des chaînes »in COMMposite, v2004, http://commposite.org/2004/articles/burtin.html, p. 2.

16 Ce travail de définition et de spécialisation des cases est une première étape nécessaire avant le titrage proprement dit.

17 Ni la Commission Générale de Terminologie et de Néologie ni l’Office québécois de la langue française ne proposent de recommandation officielle pour les noms speaker et speakerine. L’encyclopédie Larousse en ligne (http://www.larousse.fr, consulté le 20 octobre 2008) propose cependant la traduction « annonceur », avec la spécification « vieilli ». Cependant, nous n’utiliserons pas cette traduction à cause de la confusion possible avec le terme « annonceur » couramment employé dans l’industrie audiovisuelle pour désigner les entreprises achetant des espaces publicitaires. Rappelons d’autre part que les speakerines ont guidé les téléspectateurs français de 1935 à 1992 (pour TF1 et Antenne 2) et 1993 (pour France 3). Ces dernières années, les chaînes du groupe Canal Plus (comme Canal Plus Décalé, mais aussi les chaînes Ciné Cinéma) ont réintroduit des speakrines. Ces chaînes ne se définissant que par leur concept de programmation (proposer une deuxième ou une troisième fenêtre aux programmes diffusés sur la chaîne Canal Plus), et non par leurs programmes, ces jeunes femmes permettent d’incarner l’énonciation éditoriale qui, sinon, serait très abstraite.

la télévision, il y aurait de moins en moins de pouvoir (et de talent) dans la production, et de plus en plus de pouvoir (pour le talent, on attend toujours) dans la programmation. Nous connaissons aujourd’hui la litanie schizophrénique que cela a fini par donner : toujours plus de grilles, toujours plus de créneaux, oui, mais que mettre dedans ?18

Tous ces points de vue concordent pour faire des années 1950 et 1960 la période initiant le brouillage du discours télévisuel et, partant, faisant émerger de nouveaux besoins d’organisation, qui passent notamment par la structuration de la grille de programmation. C’est pourquoi le titre de niveau hypertitulaire est relativement récent. Il est en outre intéressant en ce que, parmi tous les titres dont nous parlons, il est le seul à avoir répondu à une exigence purement industrielle.

2. Sémiose du titre de niveau hypertitulaire.

Le titre au sens strict relève de la sémiose verbale. Cependant, il est souvent lié à un habillage particulier, qui peut se composer d’images et/ou de sons. Ainsi, ce qui permet l’identification à la télévision (titres et éléments afférents) a un réel statut audiovisuel. Ce point marque une vraie différence avec les autres productions culturelles : le titre relève toujours de la sémiose verbale, quelle que soit la sémiose de production de l’œuvre (verbale, picturale, musicale…). Avec le cinéma, et plus encore la télévision, le titre acquiert un statut plurisémiotique. Les cases de programmation et les collections ont ainsi souvent un jingle19 qui annonce le début de la diffusion (voire qui est utilisé dans les bandes-annonces de la chaîne). Parfois, ce jingle est plutôt long et peut être rapproché d’un générique. C’est le cas de certaines cases de programmation américaines : ainsi, la case du vendredi soir sur ABC, Thank God It's Friday (abrégée en TGIF) avait-elle un générique avec des

18 Serge Daney, « Il y a séries et séries », chronique parue dans Libération le 23 octobre 1987, reprise dans Le Salaire du zappeur.- Paris : POL, 1993, p. 85.

19 Nous employons le terme anglais jingle en lieu et place de ses diverses traductions recommandées (sonal, recensé dans Le Petit Robert comme recommandation officielle depuis 1982 : indicatif,

recommandé dans le JO du 18 janvier 2005 :

http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/recherche.html?NUMERO=CULT446) car ces traductions ne concernent que l’aspect sonore du dispositif, alors que, en télévision, il est de fait à la fois sonore et visuel. Quand nous l’utiliserons dans son seul sens sonore, nous utiliserons le mot sonal.

paroles qui précédait chaque programme20 et chaque série était introduite par l'un de ses protagonistes qui racontait ce qui s'est passé précédemment. Nous sommes ici face à un cas-limite : avec ce qui ressemble grandement à un générique et un travail de logique de programmation plus profond aux États-Unis qu’en France, la soirée tend à devenir une unité de production et de programmation fonctionnant comme un programme propre.

En France, les cas les plus connus sont sans doute ceux d’Une soirée deux

polars, le vendredi soir, initialement composées de P.J. et Avocats et associés, et de La Trilogie du samedi sur M6. Ce statut plurisémiotique, avec une unité fortement

travaillés, permet aux deux chaînes citées de concevoir leur soirée comme une sorte de macro-programme ce qui, nous le verrons, a pour effet de structurer fortement la grille tout en autorisant des changements de programmation pendant l’année. En outre, ces jingles, en reprenant la charte graphique de la chaîne, montrent l’importance de la constance des mêmes thématiques iconiques et de la typographie21, ce qui met encore une fois en avant l’aspect plurisémiotique de ces segments discursifs.

B. Une énonciation complexe, malgré une