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Sémiostylistique du générique

A. Les fonctions légales

La fonction la plus évidente du générique est légale et renvoie à l’idée développée par l’anglais crédits ou l’espagnol ficha técnica : le générique est le lieu où doivent être inscrits les noms des personnes qui ont participé à la fabrication de l’épisode. Jean-Loup Passek définit le générique du film de cinéma — mais c’est comparable à la télévision — comme une « partie du film où sont indiqués le titre du film, les noms des principaux acteurs, les noms des principaux artisans de la fabrication du film (auteurs, réalisateur[s], techniciens, producteur[s], etc.) et diverses informations : studio de tournage, procédé de cinéma, cinéma en couleurs, etc.12 » Selon l’importance de ces différentes personnes, leur nom est placé en générique de début (place prestigieuse) ou en générique de fin (place moins honorable).

D’autre part, il y a, dans le cas des séries américaines, des distinctions qui influent sur la place du nom d’un acteur dans le générique. Généralement, dans le générique proprement dit, nous trouvons les acteurs membres de la distribution principale13. Ensuite, au début de l’épisode, nous trouvons, en incrustation en bas de l’écran, les acteurs récurrents14, sous la mention « also starring », et les rôles secondaires15, sous le titre « guest staring ». Les autres acteurs et les figurants sont relégués en générique de fin.

Il n’est pas rare que les génériques soient changés d’une saison sur l’autre, que cela corresponde ou non à un changement de distribution. Mais, si la distribution principale (c’est-à-dire celle qui est créditée en générique de début) change en cours

12 Jean-Loup Passek (dir.), Dictionnaire du cinéma, op. cit., p. 927.

13 Ce que les Américains appellent les « stars ».

14 Les Américains appellent ces acteurs les « recurring roles ». Ces acteurs sont généralement sous contrat avec la production pour un certain nombre d’épisodes ou de jours de tournage, sans être cependant dans la distribution régulière qui a souvent des clauses d’exclusivité et est présente, sauf dispositions contractuelles contraires, dans tous les épisodes. Les « recurring roles » au contraire n’apparaissent pas dans tous les épisodes.

15 Les rôles secondaires sont nommés « guest stars », sans qu’il soit question d’une quelconque notoriété — au contraire de l’usage français de l’expression anglaise. Il s’agit des rôles secondaires ayant quelque importance dans la narration (ce qui exclut les figurants et les petits rôles), par exemple un plaignant dans une série judiciaire.

de saison, le générique doit évidemment être modifié. Ainsi, le générique de la première saison de NYPD Blue (idem) est construit de la manière suivante : David Caruso, Dennis Franz, James McDaniel, Sherry Stringfield, Amy Brenneman, Nicholas Turturro. À la fin de cette saison, Sherry Stringfield s’en va, le générique est en outre refait (on change certains plans de la ville, on en enlève et rajoute d’autres) et certains acteurs qui appartenaient à la distribution récurrente intègrent la distribution principale, ce qui donne l’ordre suivant : David Caruso, Dennis Franz, James McDaniel, Amy Brenneman, Nicholas Turturro, Sharon Lawrence, Gordon Clapp, Gail O’ Grady. Mais ce générique ne va pas durer toute la saison, car, dans l’épisode « From Whom the Skell Rolls » (ép. II, 2), Amy Brenneman quitte la série. L’épisode suivant présente donc un générique qui reprend, à quelques plans près, le même conducteur que le générique des deux premiers épisodes de la deuxième saison et supprime le plan spécifique montrant Amy Brenneman avec son nom incrusté. À la fin du quatrième épisode, c’est David Caruso qui s’en va et est remplacé par Jimmy Smits lors de l’épisode suivant. Ce dernier a donc un nouveau générique, remanié, où le plan de présentation de David Caruso est supprimé, ainsi que les autres plans le montrant et on arrive à l’ordre suivant : Jimmy Smits, Dennis Franz, James McDaniel, Nicholas Turturro, Sharon Lawrence, Gordon Clapp, Gail O’Grady. Le générique reste ainsi jusqu’à la fin de la saison et, en début de troisième saison, il est de nouveau modifié pour faire entrer de nouveaux acteurs dans la distribution principale, qui se présente alors comme suit : Jimmy Smits, Dennis Franz, James McDaniel, Nicholas Turturro, Sharon Lawrence, Gordon Clapp, Gail O’Grady, Justine Miceli, Kim Delanay. Les changements d’une saison sur l’autre ne sont pas obligatoires, bien que courants, d’un point de vue légal si la distribution principale n’a pas changé. En revanche, quel que soit le moment de modification de la distribution principale, le changement doit être fait.

Le cas de la série Law and Order : Criminal Intent / New York Section

Criminelle mérite d’être commenté également. L’originalité de cette série est qu’elle

présente alternativement les enquêtes de deux couples de policiers différents à partir de la cinquième saison. La série propose donc trois génériques différents : l’un présentant la distribution Vincent D’Onofrio, Kathryn Erbe, Jamey Sheridan, Courtney

B. Vance16 ; l’autre présentant la distribution Chris Noth, Anabella Sciorra, Jamey Sheridan, Courtney B. Vance17 ; le troisième, enfin, ouvrant les rares épisodes18 où les deux équipes travaillent conjointement et présentant la distribution Vincent D’Onofrio et Kathryn Erbe, Chris Noth et Anabella Sciorra, Jamey Sheridan, Courtney B. Vance19. Le cas est ici un peu différent de celui des génériques modifiés en cours de saison à cause du départ d’un des acteurs car, dans ce dernier cas, la plupart du temps, les modifications sont mineures. Dans le cas de la cinquième saison de Law and Order : Criminal Intent / New York Section Criminelle, les génériques 5A et 5B ne présentent aucun plan commun, si ce n’est le plan commun à tous les épisodes de la constellation Law and Order — le travelling sur le drapeau américain —, les plans où Jamey Sheridan et Courtney B. Vance sont seuls et le plan où est inscrit le titre de la série. Quant au générique 5C, même si nous trouvons plusieurs plans communs avec les génériques 5A et 5B, il est quand même bien différent des deux autres. Ce qui permet de créer une unité entre ces différentes versions, c’est le parallélisme de construction entre ces trois génériques20.

La série The Wire / Sur écoute présente encore un autre cas, indépendant des changements de distribution : le générique change, du point de vue de l’image et du

son21, à chaque saison et il ne montre jamais de plans des acteurs. Seuls les noms

sont incrustés sur divers plans du générique. Une autre spécificité de la série est son très grand nombre d’acteurs dans la distribution principale : on se retrouve ainsi, étant donné que le générique ne montre pas les acteurs, avec des acteurs crédités absents des épisodes. Pratiquement tous les épisodes pourraient être cités en exemples et certains personnages, tels celui de l’adjointe du procureur Rondha

16 Pour plus de simplicité dans la suite de notre analyse, nous appellerons cette première version le générique 5A.

17 Nous nommerons cette version le générique 5B.

18 Il s’agit des épisodes « In The Wee Small Hours (1) » (ép. V, 6), « In The Wee Small Hours (2) » (ép. V, 7)

19 Nous appellerons cette version le générique 5C.

20 Le parallélisme de construction est caractéristique de toute la franchise Law & Order, il est ici seulement plus poussé qu’habituellement, reprenant notamment le code couleur de la série.

21 En fait, il s’agit, à chaque saison, d’une nouvelle interprétation de la même chanson. Un autre cas de ce genre est celui de la série comique Weeds (idem) : à partir de la deuxième saison, le générique de la première saison, Little Boxes de Malvina Reynolds, a été interprété chaque semaine par un artiste différent. Ce générique a ensuite été abandonné au début de la quatrième saison, en même temps que d’autres changements fondamentaux concernant la série — autre lieu, disparition de nombreux personnages de première importance.

Pearlman (interprété par Deirdre Lovejoy) ou celui de Bubbles (incarné par Andre Royo), sont plus touchés par ce fait que d’autres. Ce phénomène peut s’expliquer, à notre avis, par deux facteurs : d’abord, la structure économique de HBO, qui permet de mettre sous contrat un grand nombre d’acteurs22 ; ensuite, la longueur extrême du générique — eu égard aux normes du moment de sa diffusion —, qui dure une minute et trente secondes et qui permet ainsi que tous les noms aient le temps d’être inscrits à l’écran. Cette longueur est évidemment aussi liée à la spécificité de HBO qui, n’insérant pas de publicités à l’intérieur de ses programmes, laisse du temps pour narrer différemment les histoires et pour retrouver des génériques d’une certaine ampleur.

L’économie et le juridique se rejoignent encore dans le générique sur un autre point : celui du « created by ». En effet, la personne créditée comme créateur au générique, quelle qu’ait été son implication réelle, touche des royalties sur chaque

épisode. Ce titre est donc souvent âprement discuté et négocié contractuellement23.

Il peut même arriver que, pour des raisons juridiques ou stratégiques, la personne créditée comme créateur ne soit pas réellement à l’origine du programme : Law &

Order : Criminal Intent / New York Section Criminelle a été créée par René Balcer,

mais c’est Dick Wolf qui est crédité afin d’inscrire la série dans la franchise ; Chris Carter est officiellement le créateur de The Lone Gunmen / Au cœur du complot, mais l’on sait que c’est essentiellement dû au fait qu’il devait contractuellement une nouvelle série à la FOX.

Bien évidemment, cette étude juridique du générique pourrait être longuement poursuivie, mais les marges de manœuvre sont minces et donc assez peu intéressantes du point de vue rhétorique, puisque les producteurs doivent respecter les contraintes légales. Seules les manières de mettre en scène ces mentions sont intéressantes et signifiantes, mais elles relèvent des autres fonctions du générique.

22 En outre, il ne faut pas oublier que les saisons des séries HBO ne comptent que six à treize épisodes, ce qui permet aux acteurs de travailler ailleurs pendant l’année. Dans ces conditions, il est plus facile de leur proposer des contrats sur plusieurs années.

23 Todd Gitlin peut ainsi écrire : « The “created by” is like the patent on an invention » (« Le “créé par” est comme le brevet d’une invention. », c’est nous qui traduisons), dans Inside Prime Time.- New York : Pantheon Books, 1985 (2ème édition), p. 69.