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Les entretiens réalisés font apparaître deux autres types de conflits, d'importance moindre que ceux envisagés précédemment.

1-LES CONFLITS AUTOUR DU FONCIER

La demande foncière est forte et synonyme de tensions entre les différentes activités (industrielles ou agricoles), l'urbanisation et le besoin de parcelles pour la réalisation des ouvrages de lutte contre les inondations.

Nous ne reparlerons pas des conflits autour des espaces de l'Estuaire de la Seine qui sont un exemple criant de conflit entre des objectifs de développement industriel et les intérêts de tous les autres acteurs. La proximité des grandes villes (Rouen, Le Havre, Dieppe, Fécamp) rend le Pays de Caux très attractif. Le prix des terrains a augmenté et cela n'est pas sans conséquences sur le marché foncier agricole. Notre interlocuteur de la Chambre d'Agriculture nous expliquait que la Chambre et la DDAF se retrouvaient souvent en opposition avec des agriculteurs au moment de leur départ à la retraite. En effet, certains souhaitent vendre plus cher leurs parcelles en terrain à bâtir, mais cela signifie perdre des surfaces agricoles. Dans un contexte de pression foncière tel que celui-ci, les organismes institutionnels essaient de conserver des terres agricoles, surtout dans une région où les sols sont considérés comme très fertiles. La pression foncière observée en Pays de Caux présente donc des caractéristiques similaires à celle existant dans d'autres zones d'études : un phénomène de périurbanisation qui fait grimper en flèche le prix du foncier et diminue le marché des terres agricoles, moins rentable pour un propriétaire que celui des terrains à bâtir. A cela s'ajoute deux éléments plus originaux. D'une part, la forte emprise de l'industrie dans l'économie du département, activité gourmande en espace, accroît le phénomène. D'autre part, les mesures de lutte contre les inondations sont elles aussi consommatrices d'espace, que ce soit au travers des aménagements légers (haies, fossés,…) ou plus encore par la construction d'ouvrages de rétention d'eau. Avec l'importance de la demande foncière et le souhait des élus de développer le territoire, se pose la question de la prise en compte des risques dans les projets. Actuellement, il existe une querelle juridique au niveau du conseil d'Etat sur la légitimité des PPRI en termes d'urbanisme. Selon des interlocuteurs de Syndicats de Bassin Versant, les maires cherchent à construire de toute façon et vont donc chercher des solutions techniques auprès de bureaux d'études pour justifier la construction.

2-LES CONFLITS D'ACCES

Les conflits d'accès opposent souvent activités de loisirs et activités de production, comme c'est le cas de pour le problème de l'accès aux chemins dans le Pays de Caux. Certains de nos interlocuteurs nous ont expliqué que souvent, les agriculteurs ne tiennent pas compte des chemins et ceux-ci sont labourés et cultivés. Ce qui n'est pas sans poser de problèmes aux randonneurs.

Le Pays de Caux offre aussi des exemples de conflits entre activités de loisirs pour l'accès à l'espace. Ex 1 : Les pêcheurs, qui paient un droit de pêche, ne peuvent pas accéder à l'ensemble des rives, car ce sont des propriétés privées. Certains des propriétaires leur refusent l'accès, notamment des chasseurs qui veulent protéger leurs zones de chasse au gabion. Les basses vallées sont des zones très concurrentielles entre la pêche et la chasse (ex Durdent). Dans ces cas là, la fédération de pêche classe en réserve de pêche. Ex 2 : il existe des conflits entre les pêcheurs et les kayakistes. Les pêcheurs se plaignent du dérangement occasionné par le passage des canoës-kayaks sur les rivières et on écrit au Préfet. Ce conflit est actuellement dans une impasse car les services de la Préfecture ont expliqué aux pêcheurs que chacun était dans son droit et ce conflit n'est donc pas résolu.

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Conclusion

L'analyse de la presse quotidienne régionale met en évidence que le recours au tribunal, ainsi que les manifestations sont des méthodes fréquemment utilisées, notamment dans les conflits autour de la protection de l'environnement (chasse et port 2000). Cette judiciarisation des conflits tient sans doute aussi au fait que les désaccords portent sur des questions avec une portée plus grande que le seul Pays de Caux. Par exemple, le projet "Port 2000" est économiquement important, il engage la Région, mais aussi la France et l'Europe. C'est sans doute pour cela aussi que c'est une association nationale ("Robin des bois") qui engage une action en justice. De la même manière, le conflit, très médiatisé, autour des dates de fermeture de la chasse aux migrateurs dépend d'un débat national et même européen (cohérence avec la directive Oiseaux de 1979).

Les conflits autour de la chasse offrent un panel de l'ensemble des méthodes mises en place pour la gestion ou la résolution des conflits. Ainsi, il y aurait eu concertation entre les différentes parties avant la destruction des gabions. Le conflit qui éclate malgré tout nous amène à émettre deux hypothèses : soit la concertation n'a pas été suffisante, c'est-à-dire qu'elle n'a pas permis de faire émerger un accord stable et accepté par tous ; soit ce cas nous montre une limite de la concertation, à savoir que malgré tout, il reste toujours des personnes qui refusent le compromis. L'investissement dans le conflit se matérialise par les manifestations de chasseurs ou, dans le cas du conflit sur la période de chasse, le non respect des dates de fermeture.

Les entretiens à dire d'acteur nous ont permis de prendre du recul par rapport à l'analyse de la Presse Quotidienne Régionale. Ils ont mis en évidence la partialité de cette dernière, notamment en faveur du Port Autonome, et la sur - médiatisation de certains conflits, comme ceux opposant les chasseurs aux ornithologues. Il ressort de ces interviews que les principaux conflits sont liés à deux caractéristiques majeures du territoire de la Seine-Maritime que sont les problèmes de ruissellement et la place de l'industrie dans l'économie. Ainsi, s'il est vrai qu'existent des conflits autour de la pression foncière ou de l'accès à l'espace - plutôt courants au vu des autres sites d'étude - et des tensions liées à des débats nationaux - autour de la chasse notamment -, ce sont ces deux éléments, ruissellement et industrie, qui sont les plus polémogènes.

L'importance du phénomène d'érosion / ruissellement et la gravité de ses conséquences constitue la première originalité du département. Une certaine cohérence territoriale axée sur les bassins versants a émergé de la prise en compte de ce risque, de même que des tensions et des conflits. Ce cas d'étude nous offre un exemple intéressant d'une mesure qui a permis de résoudre certains conflits mais en a également suscité d'autres. Avant la création des Syndicats de Bassin Versant, les conflits interindividuels entre voisins prédominaient alors que par la suite, les tensions et les conflits se sont orientés vers les modalités d'action de ces Syndicats et leurs compétences. Les ouvrages et les mesures mis en place par les Syndicats, s'ils suscitent régulièrement des oppositions, sont aussi très attendus par les populations qui ont vécu les coulées de boue destructrices et dramatiques. Ces populations, parfois structurées en association de sinistrés, constituent une force de pression évidente qui pousse les décideurs à progresser dans la prise en compte du risque.

Le poids de l'industrie dans la vie du territoire est l'autre aspect original de la Seine Maritime. Son rôle prépondérant dans la vie économique du département influence l'émergence des tensions, ce que confirme l'analyse du contentieux (chapitre 6, infra). Ainsi très peu de conflits ont été révélés au sujet des pollutions dues à la production industrielle, alors que ces problèmes existent et que la qualité de l'eau dans le département n'est pas bonne. L'estuaire de la Seine est "aujourd'hui l'un des estuaires les plus pollués d'Europe avec une importante contamination micro-biologique et chimique liée notamment à la présence de métaux lourds et d'hydrocarbures"62. Lorsqu'on interroge à ce sujet les acteurs de la Réserve Naturelle

de l'Estuaire de la Seine, ils déplorent cet état catastrophique, mais affirment qu'ils n'ont pas les moyens d'agir, que leur seule force à ce niveau réside dans le respect des normes par les industriels et qu'ils attendent beaucoup des actions menées sur les bassins versant en amont. Cette Réserve Naturelle est aussi le symbole de la résistance des usagers de la nature face au développement de l'industrie. Des acteurs

62 In "le sens en Commun. L'estuaire de la Seine a-t-il encore une âme ?" revue de "Les Verts", Alliance libre Européenne. Mai

112 habituellement en opposition - agriculteurs, chasseurs, pêcheurs, ornithologues, etc. - se sont ainsi rassemblés pour lutter face au géant "industrie". Avec le concours de l'Europe, ils sont parvenus à obtenir la protection d'une partie de l'estuaire ainsi que des mesures compensatoires pour les grands travaux d'aménagement engagés par l'Etat, notamment Port 2000. L'opposition la plus forte dans l'estuaire est donc celle qui engage les acteurs locaux contre l'industrie, mais lorsqu'on focalise notre attention sur l'espace non industriel accordé à l'ensemble de ces usagers, des fissures apparaissent dans cette union sacrée. La Réserve Naturelle doit en effet réussir à faire coexister des intérêts divergents, ce qui est source de tensions, notamment au sujet de la gestion des niveaux d'eau dans les marais, de la pratique de la chasse ou des pratiques agricoles. Si les mentalités semblent évoluer, de part et d'autre, des tensions persistent autour de la gestion des espaces non encore industrialisés. La Réserve Naturelle concentre également les manifestations de mécontentement des chasseurs sur la question de la période d'ouverture de la chasse, sujet d'envergure nationale.

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Annexes au chapitre 5