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Dans l’estuaire de la Loire, l’opposition entre les acteurs se structure principalement entre groupes antagonistes défendant des intérêts divergents. La capacité d’organisation collective des acteurs locaux doit également être soulignée. Elle se traduit par une forte dynamique en termes de création d’associations. On assiste toutefois à des clivages au sein de groupes d’acteurs appartenant au même monde, en particulier celui des chasseurs, des pêcheurs, et des élus locaux. Des combinaisons d’acteurs assez classiques et parfois plus originales, sont également observables.

1–LES USAGERS TRADITIONNELS DE L’ESPACE ET LES PECHEURS PROFESSIONNELS

En dépit de la diversité des systèmes d’exploitation et des pratiques agricoles qui sont liés à la variété des productions, ainsi qu’à la présence importante des zones humides, on note peu de défaillance dans la solidarité entre les agriculteurs dans les situations de conflits. Cet état de fait est particulièrement remarquable dans le cas du lac de Grand-Lieu. En effet, les agriculteurs des marais qui subissent les impacts négatifs de l’intensification du maraîchage dans le bassin amont du lac, se sont peu exprimés sur ce problème au cours de nos entretiens et n’ont pas dénoncé cet état de fait. La stigmatisation des pratiques intensives des maraîchers par ces exploitants des prés-marais qui font, par ailleurs, valoir leur contribution à la conservation de ces zones humides qu’ils utilisent en pâtures extensives, n’est pas de mise.

La situation est différente dans le monde de la pêche et dans celui de la chasse.

La concurrence pour la ressource entre les pêcheurs professionnels et les pêcheurs de loisir (la fédération de la pêche à la ligne de Loire-Atlantique étant l’une des plus importante de France) apparaît, en effet, comme une source de tensions et de conflits. Elle conduit ces différentes catégories de pêcheurs à garder leur distance, en dépit d’intérêts objectifs communs quant à la préservation de la qualité de l’eau et la gestion des ressources halieutiques.

Les positions extrêmes et les actions violentes des chasseurs briérons apparaît comme une source de divergences au sein du monde de la chasse. La fédération départementale des chasseurs de la Loire- Atlantique condamne en effet de tels agissements. Aucune tension entre chasseurs des ACCA et utilisateurs des chasses privées qui se multiplient, ne nous a par contre été rapportée, ni n’apparaît à la faveur du dépouillement de la PQR.

La convergence des intérêts entre chasseurs et agriculteurs a été mise en avant par le représentant de la FDC44 que nous avons rencontré. A ses dires, la qualité de cette relation se traduirait notamment à travers la mobilisation du dispositif des mesures agri-environnementales favorables au petit gibier (jachères faune sauvage et floristiques). Elle se manifeste également dans les combinaisons d’acteurs observables à l’occasion des conflits notamment ceux engendrés par la mise en œuvre de Natura 2000. La FDC44 s’oppose à la mise en œuvre du réseau Natura 2000 dans l’estuaire de la Loire (dans le cadre de la Coordination Nationale Natura 2000).

Le cas du lac de Grand-Lieu est, à cet égard, illustratif. Dans le conflit qui les opposent à la modification du régime hydraulique de Grand-lieu, les agriculteurs bénéficient en effet actuellement du soutien des chasseurs. Au-delà de la proximité traditionnelle entre le monde de la chasse et le monde agricole, qui favorise leur alliance en cas de confrontation avec le monde de la protection de la nature, le contexte politique local semble être un élément d’explication important de ce ralliement des chasseurs à la cause des agriculteurs. Le canton de Saint-Philbert de Grand-Lieu est, en effet, l’un des cantons français où le parti Chasse Nature Pêche et Tradition (CNPT) a réalisé ses meilleurs scores nationaux137. Par ailleurs, l’actuel président de la FDC44 est membre du CPNT.

Si agriculteurs et chasseurs s’allient le plus souvent dans un front d’opposition aux associations de protection de l’environnement, dans le cas du conflit lié au projet d’extension du PANSN, la situation est

137 L’actuel conseiller général du canton de Grand-Lieu a remporté les élections de 2004 au premier tour en se présentant sous

164 toute autre. En effet, en dépit de la difficile conciliation des usages agricoles, de chasse et de pêche, notamment du point de vue de la gestion hydraulique des zones humides de la rive Nord de l’estuaire, les dégradations du milieu dont ces catégories d’usagers sont victimes, a conduit à la formation d’un front commun d’opposition au développement portuaire. Celui-ci c’est rapidement constitué y compris avec les mouvements de protection de la nature. On retrouve une telle configuration dans le conflit engendré par le projet de construction d’une ligne de transport d’électricité à très haute tension dans le PNR de Brière. Une seconde combinaison originale d’acteurs apparaît dans le cas du conflit lié au projet d’extension du PANSN sur Donges-Est. Les dockers du port de Saint-Nazaire, traditionnellement originaires de Brière, ont également la particularité de ne pas être majoritairement syndiqués à la CGT qui est, elle, majoritaire dans les implantations portuaires nantaises. Alors que la CGT défend le projet de Donges-Est au nom de la protection de l’emploi et du développement économique de la Région, la Coordination Nationale des Travailleurs Portuaires et Assimilés privilégie la voie d’une optimisation des installations existantes.

2–DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE ACTIVES

Les associations de protection de la nature ont joué un rôle majeur dans la prise de conscience collective des menaces que font peser sur l’avenir de l’estuaire de la Loire l’altération de son fonctionnement hydraulique et écologique. Elles ont ce faisant contribué à l’adoption des mesures envisagées pour tenter d’infléchir cette dynamique (en particulier le PLGN). Elles ont également joué un rôle important dans un rééquilibrage des pouvoirs locaux, actuellement moins favorable qu’il ne l’a été au PANSN.

Comme notre recension des conflits le met en évidence, les associations environnementalistes sont, dans l’estuaire de la Loire, nombreuses et actives. On peut citer, en particulier, les associations suivantes : SEPNB (devenue Bretagne Vivante), La LPO, le Comité Loire Vivante (ex SOS Loire Vivante lié au WWF), Robin des Bois… Elles trouvent un soutien actif (et dans certains cas une expression politique) auprès du Parti Vert (Verts de la Loire-Atlantique) qui soutient la plupart de leurs combats.

Certains de nos interlocuteurs ont toutefois souligné un recul du militantisme qui fragiliserait le monde associatif dans le domaine de la protection de l’environnement et éroderait sa force de contestation, en Loire-Atlantique, comme ailleurs. Le repositionnement des grandes associations et ONG (le WWF et la SNPN en particulier) qui, soucieuses tant d’honorabilité que de pérennité de leur financements, auraient abandonné la voie de la protestation, est également mentionnée. SOS Loire Vivante, soutenu par le WWF à l’occasion de son engagement dans la défense du « dernier fleuve sauvage d’Europe » à la fin des années 80 (lutte contre les projets de barrages en amont du fleuve), aurait ainsi été « lâché » par l’ONG (sa principale animatrice licenciée). L’attitude de la SNPN - gestionnaire statutaire de la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu – fait quant à elle l’objet de violentes critiques de la part des autres associations de protection de la nature dans le cadre de sa gestion du conflit autour du lac de Grand-Lieu. La SNPN est en effet accusée d’avoir « bradé la protection de l’environnement au profit de la paix sociale »138. La LPO, très virulente dans ses critiques à l’égard de la SNPN, la menace d’un recours contentieux pour non application des arrêtés portant sur les niveaux d’eau.

3 – POSITIONNEMENT DES ACTEURS : ELUS LOCAUX, COLLECTIVITES TERRITORIALES, PANSN

Les acteurs institutionnels de l’estuaire de la Loire ont des positions qui peuvent être assez contradictoires et qui évoluent dans le temps. Nous n’aborderons pas ici les tensions habituelles entre services déconcentrés de l’Etat, la faiblesse de la légitimité des questions environnementales s’exprimant dans l’estuaire de la Loire -comme ailleurs- très lisiblement à travers des arbitrages interministériels souvent rendus en défaveur de la DIREN.

Le projet d’extension du PANSN est majoritairement soutenu par les élus locaux et les collectivités territoriales, ces dernières étant réunies au sein de l’ACEL139. Aux dires de certains de nos interlocuteurs,

138 Selon l’un de nos interlocuteurs, l’évolution des articles publiés sur Grand-Lieu par la revue de la SNPN -« Le courrier de la

nature »- au cours des 5 dernières années, serait assez égard assez éloquent.

139 Seuls les verts ont fait part de leur opposition dans le cadre de l’enquête publique qui s’est déroulée en 2002. Le projet

165 ce front uni de soutien serait toutefois proche de l’implosion. L’évolution de la dynamique de développement métropolitain de l’estuaire qui s’affranchit de manière croissante des activités industrialo- portuaires au profit des activités tertiaires, conduirait, en effet, de plus en plus d’élus à s’interroger sur la pertinence du projet. Si ce dernier est jugé en privé par certains d’entre eux « à la fois mauvais sur le plan économique et sur le plan écologique », un tel jugement ne peut être exprimé publiquement. La récente déclaration de Roselyne Bachelot (députée européen et élue régionale) qui, dans le quotidien Ouest France (édition du 25 octobre 2004), a fait part de la nécessité de remettre à plat ce « vieux» projet d’extension du port, constitue un précédent. Cette déclaration de l’ancienne Ministre de l’écologie et du développement durable, perçue comme une provocation ou comme une maladresse par certains, est également interprétée, par d’autres, comme prémonitoire du retrait sur ce dossier d’un Etat impécunieux…

Le développement déséquilibré entre les rives Sud et Nord de l’estuaire est une source de tensions au sein de ce groupe d’acteurs. Celle-ci, comme nous l’avons évoqué, se manifeste tout particulièrement dans le cas du projet aéro-portuaire de Notre-Dame-des-Landes qui est perçu comme une menace par l’élue du canton d’implantation de l’actuel aéroport. L’enquête publique autour de la DTA a été l’occasion d’une autre manifestation de ce clivage. De nombreux élus des communes de la rive Sud se sont ainsi opposés au projet de rédaction qui leur était soumis au motif qu’il ne tiendrait pas suffisamment compte des enjeux de développement propre au Sud de la Loire, et contribuerait à renforcer sa « sanctuarisation »140. Le texte de la DTA, alors qu’il confirme clairement la nécessité de l’extension portuaire et du projet aéro-portuaire de Notre-Dame-des-Landes (tous deux localisés sur la rive Nord) est en effet moins précis sur le troisième franchissement de la Loire. Celui-ci simplement mentionné n’est pas précisément localisé. Or, les élus de la Rive Sud juge cette infrastructure comme prioritaire au nom du désenclavement.

Si elles les transcendent parfois, notamment dans le cas des tensions induites par la menace de fermeture de l’actuel aéroport, ces dissensions entre élus des rives Nord et Sud de la Loire sont marquées par des clivages politiques qui se sont renforcés sous l’effet de la dynamique de population. Conjuguée à la tradition ouvriériste et libertaire de la ville de Saint-Nazaire, la croissance de la population tend à favoriser les partis de gauche dans les deux aires urbaines principales de la rive Nord de l’estuaire. Les électeurs du reste du département, en particulier dans les cantons ruraux du Sud Loire, continuent de voter pour les partis conservateurs. L’importance du vote CPNT, bien qu’en perte de vitesse, dans les cantons ruraux de la rive Sud et en Brière mérite également d’être ici rappelée. Il apparaît à la fois comme un bon révélateur de l’importance des activités de chasse dans le département, et, dans une certaine mesure, de la déstabilisation des sociétés rurales de l’estuaire sous l’effet de la pression urbaine.

Le port de Nantes-Saint-Nazaire qui a accédé au statut de port autonome en 1966 est l’un des intervenants majeurs dans l’estuaire de la Loire. Longtemps maître absolu de l’espace, il a pu privilégier sa stratégie propre en se préoccupant très peu des effets induits par ses infrastructures sur les autres usages de l’estuaire. La montée des intérêts environnementaux, la constitution d’une opposition déterminée et l’affaiblissement relatif de son poids dans l’économie estuarienne, sont autant d’éléments qui ont contribué à fragiliser sa position. Il a ainsi été progressivement amené à composer avec les autres usagers de l’estuaire. Après avoir tenté quelques coups de force pour faire passer ses projets, il semble actuellement privilégier une posture de dialogue, indispensable pour préserver des marges de manœuvre considérablement réduites.

de-Bretagne et La Baule). Seule la commune de Paimboeuf située sur la rive Sud a voté à l’unanimité contre ce projet. Le Conseil municipal a estimé que « le développement du PANSN est un élément structurant de l’économie sur le secteur de l’estuaire et de la région, mais trop de facteurs vont à l’encontre des projets et de l’évolution environnementale prévue à Paimboeuf ». La délibération de la commune poursuivait en soulignant « que ce projet confirme que nous sommes au Sud-Loire, une nouvelle fois les oubliés de l’estuaire. Que l’impact des nuisance sonores et visuelles n’a pas été pris en compte lors de l’étude et condamne, entre autre, les ambitions touristiques de Paimboeuf. Que les mesures compensatoires ne nous paraissent pas à la hauteur des préjudices prévisibles ».

Selon l’un de nos interlocuteurs, très peu d’élus ont manifesté leur opposition lors du débat auquel la décision d’autorisation du préfet a donné lieu au sein du Conseil Général. L’écrasante majorité a ainsi voté en faveur d’une contribution du Conseil Général au financement des mesures compensatoire prévues par le port.

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4 – CAPACITE D’ORGANISATION COLLECTIVE DES PROPRIETAIRES RESIDENTS ET NEO- RURAUX

Comme nous l’avons souligné, l’intensité de la péri urbanisation dans l’estuaire de la Loire est une source non négligeable de conflits. Qu’il s’agisse de lutter contre des projets d’infrastructures, des installations industrielles ou agricoles à risque ou sources de pollutions et autres nuisances, la capacité d’organisation et d’action collectives des nouveaux résidents apparaît comme particulièrement marquée dans ce territoire. La défense de la qualité de la vie se traduit ainsi par l’émergence de multiples associations de circonstance ou de proximité qui rassemblent les riverains. Ces associations sont à l’origine de la grande diversité des manifestations, parfois originales, qui incarnent l’entrée et le déroulement des conflits. Dans certains cas, elles s’allient aux associations de protection de l’environnement dans un front uni d’opposition. Cette convergence débouche parfois sur des recours contentieux communs (en Brière notamment).

Section 4 – Les principales sources de la conflictualité dans l’estuaire de