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Les conflits qui concernent l'estuaire de la Seine touchent quatre questions : a) l'opération Port 2000, b) la création d'une réserve naturelle dans les zones humides de l'estuaire, c) la mise en œuvre de la directive Natura 2000, d) la chasse au gibier d'eau.

1-L'OPERATION "PORT 2000"

Ce projet d'extension du port est depuis longtemps en réflexion mais les conflits ont été focalisés plutôt sur la construction du pont de Normandie (annoncée en 1987), pour lequel beaucoup de discussions ont été nécessaires. Les opposants étaient les usagers locaux : chasseurs, pêcheurs, coupeurs de roseaux, agriculteurs, défenseurs de l'environnement et ceux sont eux que l'on retrouve dans l'opposition à l'extension du port58, engagée en 1998.

Dans la région, le monde industriel a un poids très important. La DIREN, les pêcheurs et les chasseurs se sont "regroupés" dans le camp d'opposition au port. Si les collectivités (Conseil Général, Conseil Régional, communes) ne sont pas très impliquées dans ce débat, les autres parties, comme les chasseurs, les ornithologues ou les agriculteurs et à l'opposé, les industriels ont fait un fort jeu de lobbying. Le conflit est remonté au niveau européen. Les associations de protection du milieu ont écrit et même déposé des plaintes auprès des différentes instances européennes,... En 1999, soit juste un an après l'annonce du projet Port 2000, l'Etat français est condamné par la cour de justice européenne pour insuffisance de protection et de gestion de l'Estuaire de la Seine au titre de la directive Oiseaux. De plus, la Communauté Européenne accepte de financer le projet de Port 2000 uniquement si des mesures compensatoires pour l'environnement sont prévues. Même si certains s'interrogent sur le financement à long terme de ces mesures, la pression des associations de protection de la nature, via l'Europe, a abouti à l'extension de la Réserve Naturelle, ainsi qu'à des travaux de reconstruction de reposoir pour les limicoles, etc.

Les associations continuent à suivre l'évolution des travaux du Port, ainsi que la mise en place des mesures compensatoires, dont beaucoup déplorent le retard et pour certaines, comme le reposoir sur dune, le manque de fonctionnalité. Ces associations maintiennent une pression qui rend plus prudent les décideurs du Port Autonome. Ainsi, un de nos interlocuteurs de la Maison de l'Estuaire – gestionnaire de la Réserve Naturelle – nous expliquait que tous les ans, les travaux devaient stopper car des couples d'oiseaux d'espèces protégées (Avocette élégante notamment) nichaient dans la zone de travaux.

2-LA RESERVE NATURELLE :

Créée en 1985, à l'initiative des associations de protection de la nature (SOS Estuaire, Groupement Ornithologique Normand), la Réserve Naturelle, alors Réserve Conventionnelle, comptait 3400 ha. Par la suite, sous la pression de l'Europe, alertée par ces associations, l'Etat français décrète la création d'une Réserve Naturelle de 3768 ha (1997). Avec les mesures compensatoires liées à l'extension du Port du Havre et imposées par l'Europe, la superficie de la Réserve atteint aujourd'hui 8520 ha. Les espaces récupérés sont constitués par du milieu marin, des bancs sablo-vaseux et près de 900 ha de terres agricoles. Située majoritairement dans la partie nord de l'Estuaire de la Seine, la Réserve est constituée de différents milieux : vasières, roselières, prairies humides,… Elle présente une grande richesse avifaunistique (Spatule blanche, Butor étoilé, Râle des genêts,...), notamment parce qu'elle se trouve sur une grande voie migratoire. Ce territoire coincé au milieu d'un vaste ensemble industriel (900 entreprises dont 15 sites

58 Nous devons signaler ici que le poids de l'industrie et la partialité de la presse dans ce domaine se retrouvent de manière

flagrante lorsqu'on s'intéresse plus précisément au projet de Port 2000. Les porteurs du projet Port 2000 communiquent sur des aspects économiques, de concertation, des mesures en faveur de l'environnement, etc. Les conflits existants, comme ceux autour de l'efficacité des mesures compensatoires, mis en avant par d'autres sources (entretiens, revue de la Ligue pour la Protection des Oiseaux), ne sont pas rapportés par la presse quotidienne régionale. Cette partialité de la presse en faveur du port 2000 se concrétise d'ailleurs dans le fait que celle-ci s'était félicitée de la concertation (qu'elle présentait comme efficace et sans conflits) qui avait eu lieu en amont au sujet de la suppression des gabions, dont on verra plus loin qu'elle mérite quelques nuances.

108 classés SEVESO) concentre toutes les activités directement liées au milieu naturel : agriculteurs (150), chasseurs (2000 pour 217 gabions59), pêcheurs professionnels (200), exploitants de roseaux (7),…

La gestion de la Réserve a été confiée à la maison de l'Estuaire, qui est une association initialement créée pour être un centre de Culture Scientifique et Technique (CST). Nos interlocuteurs de la maison de l'Estuaire nous ont expliqué qu'il n'est pas possible d'avoir une vision uniquement naturaliste de l'Estuaire, il faut prendre en compte les différents enjeux économiques. Il est d'ailleurs intéressant de noter que si la protection du milieu est inscrite ne premier lieu dans le décret de création de la Réserve, celui-ci rappelle que les activités socio-économiques doivent être prises en compte. Ceci n'est pas sans poser de problèmes de conciliation entre les intérêts concurrentiels.

Les conflits les plus importants dans l'Estuaire de la Seine opposent les industriels à l'ensemble des autres usagers de l'espace (chasseurs, agriculteurs, protecteurs de la nature,…), mais ce dernier groupe connaît des tensions et conflits internes tournant autour de la gestion de l'espace que l'industrie a bien voulu leur céder. Actuellement, il existe diverses sources de tensions au sein de la Réserve. La plus importante est la gestion des niveaux d'eau dans les marais. Sur ce sujet, les enjeux sont contradictoires : les chasseurs veulent beaucoup d'eau pour les canards ; les exploitants des roseaux n'en veulent pas trop, afin de passer avec leurs engins ; les agriculteurs ne veulent pas d'eau, pour pouvoir cultiver ; les naturalistes veulent un fonctionnement le plus "naturel" possible (laisser la marée remonter,…). Ces intérêts divergents rendent le cahier des charges hydraulique, pourtant issu de deux ans de discussions entre l'ensemble des usagers, encore difficile à appliquer et maintient une certaine tension.

D'autres tensions existent, liées à des pratiques associées à certains usages. Les gestionnaires de la Réserve Naturelle ont dû parfois attaquer au tribunal des chasseurs qui avaient fait agrandir leur mare de chasse alors que cela est interdit. Des discussions ont débuté sur la définition de zones de non chasse dans la Réserve, mais devant l'absence de soutien de l'Etat, les démarches ont cessé. Un autre problème résulte de quelques cas d'incendies dans la Réserve Naturelle : il est arrivé que des feux de roseaux se déclarent sans que leur origine soit clairement définie (débroussaillage par les chasseurs, écobuage par les exploitants de roseaux,…). Le gestionnaire de la Réserve a donc du repréciser les conditions dans lesquelles un feu était toléré – c'est normalement totalement interdit dans une Réserve Naturelle.

La présence de ces différents usagers conduit l'association gestionnaire de la Réserve a privilégier la concertation dans toutes les démarches. En collaboration avec les acteurs locaux (chasseurs, agriculteurs, roseliers, ornithologues), un gros travail (2 ans) a été réalisé dans le cadre de l'élaboration du plan de gestion de la Réserve Naturelle. Il s'agissait de définir ce qui est compatible ou non avec la protection de l'écosystème dans la réserve : par exemple, un travail est mené par les salariés de la Maison de l'Estuaire pour faire passer l'ensemble des prairies en gestion extensive (à l'heure actuelle, des parcelles sont toujours cultivées en maïs) ou pour réfléchir avec les agriculteurs sur les dates de fauche en lien avec la présence du Râle des genêts (mise en place d'un CTE collectif). Il fallait également définir le cahier des charges hydraulique dont nous avons parlé précédemment. Cependant, malgré le travail de concertation, certains se sont abstenus au moment du vote final et d'autres, comme les chasseurs et les ornithologues, ont même voté contre le plan. Les premiers s'opposaient à de trop hauts niveaux d'eau, tandis que les protecteurs de la nature ont considéré que le plan de gestion n'était pas optimal du point de vue biologique. Notre interlocuteur de la Maison de l'Estuaire nous expliquait que ces positions extrêmes étaient nécessaires pour faire progresser la situation et que les mentalités avaient énormément évolué grâce à ce travail de concertation. Il soulignait que les différents acteurs se rendent compte que sans la Réserve Naturelle, leur activité ne pourrait pas survivre, notamment face au développement industriel dans l'Estuaire.

Un autre type de conflit existe qui tourne autour de la propriété foncière. Il est important de savoir que la quasi-totalité des terrains de la Réserve Naturelle appartiennent au Port Autonome. En effet, dans le cadre de la Directive de l'aménagement du territoire de 1973, les ports de Rouen et du Havre se sont vu attribuer par l'Etat la propriété des terrains de l'Estuaire. Le port perçoit une grande partie des revenus liés à la location des parcelles aux agriculteurs, aux coupeurs de roseaux et aux chasseurs. Si cette source de revenu est dérisoire pour le Port, elle pourrait par contre permettre de financer les structures investies dans la protection du milieu. Cette mainmise du port sur les terrains est également synonyme de droit de regard sur tout ce qui se passe dans l'Estuaire. Même si le conservatoire du littoral essaie d'acquérir des

109 terrains encore privés, le transfert de propriété au conservatoire, souhaité notamment par la Maison de l'Estuaire, ne semble pas d'actualité.

L'autre source de tension liée au foncier découle de l'extension de la Réserve Naturelle (mesure compensatoire de Port 2000). En effet, une part de l'espace récupéré est constituée de terres agricoles, ce qui n'est pas sans poser de problèmes. Les agriculteurs ainsi intégrés à la Réserve Naturelle vont devoir accepter les contraintes liées à l'objectif de protection de l'environnement, comme par exemple la gestion extensive des prairies humides…

3-LA DIRECTIVE NATURA 2000

Selon la DIREN, Natura 2000 n'est actuellement pas synonyme de conflits en Pays de Caux. En effet, les discussions autour des documents d'objectifs n'ont pas encore débuté et comme les zones concernées sont sur le littoral, dans le domaine intertidal60, les activités économiques ne seront pas directement perturbées.

Avec l'importance du port, qui gère la plaine alluviale, et le projet de Port 2000, qui conduit à l'extension des quais, Natura 2000 est soumis à de fortes pressions : ce n'est pas la priorité de la Région. Cependant, sous la contrainte de l'Europe, qui a condamné la France en 1999, des Zones de Protection Spéciale ont été désignées et des Sites d'Intérêt Communautaire ont été proposés. La DIREN a missionné la Maison de l'Estuaire pour assurer la mise en place de contrats Natura 2000. Contrairement à ce qui a pu être observé dans de nombreux sites en France, Natura 2000 n'est pas actuellement source de conflits dans l'Estuaire de la Seine. Malgré tout, la fédération de chasse a montré une opposition à Natura 2000 dans l'Estuaire.

4-LES CONFLITS AUTOUR DE LA CHASSE

Les conflits autour de la chasse, notamment celle au gibier d'eau, provoquent une forte mobilisation de la presse consultée. Deux principaux conflits sont recensés autour de l'activité cynégétique : avec l'extension de la Réserve Naturelle –une des mesures compensatoires du projet Port 2000- des gabions (cabanes de chasse) vont être supprimés (événement 1), ce qui provoque la colère des chasseurs et crée un climat de tensions, favorable à l'exacerbation des oppositions aux modifications des dates de chasse (événement 2). Ces articles font ressortir l'opposition entre chasseurs et association de protection de la nature. Ces conflits ont une forte résonance au niveau national (le débat sur les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse a lieu au niveau national), ce qui explique sans doute la mobilisation importante des associations de chasseurs et de la fédération nationale, mais aussi des Verts ou des associations de protection de la nature Alors que la presse régionale tend à mettre sans cesse en avant les oppositions entre monde de la chasse et protection de la nature, nos entretiens ont montré que même si des conflits ou des tensions existent, les mentalités évoluent et les différents acteurs parviennent de plus en plus à travailler ensemble, notamment au sein de la Réserve Naturelle. Nous avons déjà expliqué plus haut que des tensions existaient, liées par exemple à l'entretien des mares et de leur bordure. Il apparaît également que des désaccords existent au sujet de la fermeture de certaines cabanes de chasse. Ainsi, trois gabions ont été réouverts par le Préfet alors qu'il était prévu de les supprimer car ils étaient situés à proximité du reposoir sur dune (une des mesures compensatoires phare). La Maison de l'Estuaire a donc proposé de réaliser une étude afin d'évaluer le potentiel perturbateur de ces cabanes sur les Oiseaux présents sur le reposoir61. Mis à part ces

conflits de gestion de la Réserve, des associations, pas présentes normalement sur le territoire (Ligue de Protection des Oiseaux et France Nature Environnement), ont aussi manifesté pour exprimer leur incompréhension devant le maintien d'une activité comme la chasse dans une zone protégée. Il existe donc des conflits entre protection des milieux et chasse, opposition fortement médiatisée (cf. analyse de la PQR), malgré tout, le Groupement Ornithologique Normand et l'Association de Chasse sur la Domaine Public Maritime savent s'unir contre les industriels comme par exemple en rédigeant une lettre commune à l'Europe et au ministère de l'Ecologie.

Ce qui est notable, c'est la manifestation dans la Réserve de conflits qui touchent un niveau national. Ainsi la question des dates d'ouverture et surtout de fermeture de la chasse fait l'objet d'un vif débat au niveau

60 Domaine du littoral correspondant à la zone de balancement des marées (entre la limite de basse mer et celle de haute mer). 61 La campagne de l'année précédente avait été réalisée en invitant des chasseurs pour assister. Aucun tir n'avait pu être observé…

Cette année, une nouvelle campagne est lancée où l'ONCFS sera le garant des intérêts des chasseurs qui ne seront pas prévenus des dates d'observation.

110 national et même européen. Ce désaccord se manifeste dans la Réserve où ces périodes – d'ouverture et de fermeture – ont été des moments de regain de tensions. Si ce problème a donné lieu à des manifestations, parfois dures (brutalités sur des gardes de l'ONCFS), il semble que les consciences s'apaisent et que les dates de chasse soient davantage respectées.