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Les conflits relatifs à l'eau dans le pays de Caux se répartissent en trois catégories : 1) les conflits autours des eaux superficielles, 2) les conflits autour de l'eau potable, 3) ceux qui concernent l'eau des rivières.

1-LES CONFLITS AUTOUR DES EAUX SUPERFICIELLES

Comme nous l'avons expliqué plus haut, la conjonction de plusieurs paramètres avec une forte pluviométrie est à l'origine du risque majeur en Pays de Caux que sont les inondations. Les paramètres géologiques (calcaire) et pédologiques (sols limoneux) associés à des caractéristiques d'occupation humaine des sols (forte urbanisation, pratiques agricoles source d'érosion,…) favorise les inondations par coulée de boue. Les débordements de rivière ou les remontées de nappe sont beaucoup moins fréquents.

Ces inondations causent des dégâts matériels en endommageant des habitations, des industries,… Elles sont aussi synonymes d'érosion des sols agricoles et de turbidité de l'eau potable. Mais ce qui fait le plus réagir les acteurs locaux, ce sont les morts provoquées par ces épisodes de coulée de boue.

Après avoir diminuée dans les années 60-70, où l'on a le plus construit en zone inondable, la conscience du risque par les différents acteurs a amené les pouvoirs publics à mettre en place des mesures de lutte. D'une part, les Plans de Prévention des Risques d'Inondations doivent, entre autres, définir les zones inondables et par là même, les zones constructibles ou non. La majorité des ces plans sont en cours d'élaboration. D'autre part, en 2000, suite à une inondation dramatique, le Préfet a ordonné la constitution de Syndicats de Bassin Versant. Ces structures intercommunales ont pour objectif de lutter contre les inondations par coulée de boue à l'échelle d'un bassin versant. Pour cela, elles sont chargées de mener des études, de réaliser des travaux de lutte, d'entretenir les ouvrages construits, de communiquer et de sensibiliser les acteurs locaux (agriculteurs, communes,…),…

Plusieurs types de confits se manifestent autour du problème des inondations, dont la prise en compte a évolué suite à la création des Syndicats de Bassin Versant.

a- Les conflits existant avant la création des Syndicats de Bassin Versant.

Les conflits étaient au départ de différents types : sur l'origine du phénomène et sur ses conséquences. En ce qui concerne l'origine du ruissellement, les conflits opposaient deux groupes d'acteurs. D'un côté, les élus pointaient du doigt les pratiques des agriculteurs, tandis que, de l'autre, ces derniers accusaient l'urbanisation. Chacun se renvoyait la balle.

Il existait aussi des conflits après des épisodes d'inondations. Il pouvait s'agir de conflits entre voisins ou entre administrés et maire. Dans le premier cas, les acteurs pouvaient être des agriculteurs ou non. Ces conflits de voisinage étaient souvent portés jusque devant les tribunaux. Dans le deuxième cas, il est arrivé que des riverains se retournent contre le maire, suite à une coulée de boue dans leur village. Il est intéressant de noter que dans certains cas, des associations de sinistrés se sont constituées. Aujourd'hui, il existe une fédération de ces associations (FASIR), qui regroupent plutôt des urbains. Selon certains interlocuteurs des Syndicats de Bassin Versant, ces associations n'auraient pas une vision d'intérêt général et feraient ressortir l'antagonisme rural/urbain en mettant en avant la responsabilité des agriculteurs dans le phénomène. Ces groupements constituent néanmoins une force de pression, ainsi un Plan de Prévention des Risques d'Inondations a été mis en route par le Préfet suite aux pressions d'une association de victimes, relayée par la FASIR.

b- Les tensions et conflits ayant émergé avec la création des Syndicats de Bassin Versant

La situation s'est modifiée avec la création des Syndicats de Bassin Versant. Certains conflits se sont atténués, notamment ceux entre voisins, car les populations ont vu dans les Syndicats la solution à tous les problèmes. Aujourd'hui, les Syndicats de Bassin Versant sont un interlocuteur sollicité par nombre d'acteurs confrontés à un désagrément ou autre (même si les compétences des Syndicat ne leur permettent pas de répondre à toutes les attentes).

Les conflits ne se sont pas seulement modifiés par un effet d'annonce, mais aussi parce que les Syndicats ont réalisé un travail à différents niveaux. D'un côté, ils ont œuvré pour faire reconnaître aux différents

104 acteurs (urbains, agriculteurs et communes) leur part de responsabilité, ce qui a favorisé une décroissance des conflits sur ce sujet. Il est cependant nécessaire de nuancer cette image très positive, car il est arrivé qu'au cours des entretiens, nos interlocuteurs, plutôt impliqués dans des aspects d'urbanisme, mettent fortement l'accent sur le rôle de l'agriculture dans les problèmes de ruissellement. Malgré tout, il semble que la majorité des acteurs aient redirigé leur énergie vers la lutte contre le phénomène plutôt que dans les conflits sur les responsabilités de chacun.

Le deuxième axe des syndicats de Bassin Versant est la construction d'ouvrages qui diminuent les inondations et la proposition de solutions techniques aux communes ou aux agriculteurs. Ce travail, en association notamment avec l'AREAS56 (Association Régionale pour l'Etude et l'Amélioration des Sols), a

permis de réduire les tensions et les conflits liés au phénomène "inondations". Par exemple, un des agriculteurs que nous avons rencontrés nous a expliqué que son voisin (son oncle) avait une ravine et ne voulait rien faire. Lui s'est lancé dans l'interculture et il a proposé à son oncle (le voisin) de semer lui- même la parcelle en cause en interculture.

Si certains points conflictuels ont été apaisés par l'action des Syndicats de Bassin Versant, de nouvelles tensions ont aussi émergé avec la naissance de ces structures, qui s'articulent tous autour des travaux réalisés, mais selon différentes approches. Les tensions et conflits tournent autour de paramètres des ouvrages (la localisation, la taille, la nature) ou des compétences des Syndicats.

La question de la localisation des ouvrages se posent à deux échelles : la parcelle et la zone du bassin versant.

• Pour le premier niveau, des tensions se manifestent qui peuvent évoluer vers un conflit et qui sont issues de plusieurs paramètres. Le premier élément réside dans le fait que les ouvrages de lutte contre les inondations ont une emprise sur la terre et leur implantation est donc synonyme de perte d'espace. Lorsque les études ont définit la zone préférentielle d'implantation, le plus dur reste de convaincre les propriétaires des terrains. Certains interlocuteurs insistent sur le fait que les habitants, et même les agriculteurs, ont été tellement inondés qu'ils sont contents de voir des travaux et que par conséquent ils ne déclenchent pas de conflits. Malgré cela, tous nous ont parlé de tensions voire de conflits autour de l'implantation des ouvrages : un des animateurs de Syndicat de Bassin Versant expliquait qu'un projet avait été bloqué pendant deux ans. Dans ces cas là, il semble que tous les acteurs de Syndicats essaient d'éviter la déclaration d'utilité publique et l'expropriation associée. Ils optent pour le dialogue, surtout s'ils souhaitent ensuite avoir le concours d'un agriculteur pour entretenir l'ouvrage. La SAFER peut aussi être sollicitée pour échanger des terres. Selon l'Agence de l'eau, il existe toujours une solution, plus ou moins longue et plus ou moins coûteuse. Le deuxième paramètre qui explique l'émergence de conflits autour des sites d'implantation des ouvrages est la lenteur des démarches administratives. En effet, lorsque les terrains sont pris à leurs propriétaires, l'argument mis en avant par les aménageurs est le caractère prioritaire de l'ouvrage qui doit être réalisé sur leur parcelle. La lenteur des démarches administratives, nécessaire cependant à la maximisation des conditions de sécurité, provoque ensuite l'incompréhension des propriétaires qui ne voient pas de travaux engagés. Cette incompréhension qui peut se transformer en tension est d'autant plus forte si un nouvel épisode de coulée de boue se produit. Le dernier paramètre influençant l'émergence de conflit est la question de la responsabilité en cas de problème (rupture d'une digue,…). Un animateur de Syndicat de Bassin Versant nous expliquait qu'un dossier avait été bloqué car l'ouvrage s'appuyait sur une voie ferrée. Réseau Ferré de France s'opposait donc à la construction jusqu'à ce que le Syndicat de Bassin Versant assure qu'il assumait toutes les responsabilités en cas de problème.

• Le deuxième niveau de choix pour l'implantation d'ouvrages de lutte contre les inondations est celui de la zone sur le bassin versant. Ainsi, les Syndicats de bassin versant privilégie les travaux permettant de protéger les habitations en aval du bassin versant. En effet, ces communes, qui n'ont que peu de responsabilités sur le phénomène, sont les plus touchées par les inondations – phénomène de concentration de tous les apports de l'amont du bassin versant. Ces choix d'implantation donnent lieu à des tensions entre les communes d'un même Syndicat. Prenons l'exemple de la commune d'Yvetot où viennent en plus s'ajouter des aspects de compétences des Syndicats. Située en tête de deux bassins versants, elle cotise pour deux Syndicats de Bassin, dont celui de la Rançon Fontenelle. Au sein de ce Syndicat, c'est la commune qui cotise le plus. Le problème, c'est que le territoire de la commune est très

56 Créée en 1985, cette association réunit élus et agriculteurs pour discuter des problèmes d'érosion / ruissellement et trouver des

105 urbanisé et qu'elle produit plus de ruissellement qu'elle n'a de problèmes avec ce phénomène. Etant donné que les compétences des Syndicats de Bassin Versant concernent le "rural" et qu'ils réalisent en priorité des ouvrages dans les zones les plus touchées par les inondations, les travaux réalisés par le Syndicat n'ont aucune conséquence positive pour la commune. Celle-ci peut avoir de temps en temps des problèmes de ruissellement, mais les compétences des Syndicats et la priorité donnée aux travaux en faveur des communes aval obligent la commune à financer elle-même ses propres aménagements. Ceci a donné lieu à des tensions entre la commune et le reste du bassin versant de la Rançon Fontenelle, mais actuellement ces dernières ont diminué car le Préfet a réuni toutes les communes pour en discuter.

Nous venons donc de voir que la question de la localisation des ouvrages de lutte contre les inondations était source de tensions et de conflits. D'autres types de tension ont émergé avec la création des Syndicats de Bassin Versant comme les désaccords sur la nature des travaux à réaliser pour lutter efficacement contre les inondations. Un débat existe entre "hydraulique douce" (haies, talus, bandes enherbées, interculture,…) versus "hydraulique forte" (bassins d'orage, de retenue,…). D'un côté, la DIREN et l'Agence de l'eau souhaitent réaliser un travail en amont et aborder le problème de l'érosion avant celui des crues. De l'autre côté, les élus sont accusés de vouloir faire à tout prix de gros ouvrages pour contenter les électeurs ou les industriels qui constituent aussi une importante force de pression57. Selon un animateur

agricole de Syndicat de Bassin Versant, c'est une question de cohérence de l'action publique : les syndicats ne peuvent pas se permettre d'acheter des petites parcelles un peu partout donc ils vont mettre en place une action forte sur une zone donnée, tout en travaillant à la sensibilisation des personnes, agriculteurs notamment. Il s'agit de trouver un équilibre entre ce que les agriculteurs peuvent faire sur leurs parcelles et les ouvrages de rétention.

Les désaccords entre les structures sur la nature des mesures à mettre en œuvre sont aussi liés aux objectifs des différents organismes. En effet, si les Syndicats de Bassin Versant ont pour but de lutter contre les inondations, la Chambre d'Agriculture a elle pour principal objectif de développer l'agriculture. Cependant, ces organismes arrivent à coordonner leurs actions, notamment au travers d'un travail commun entre animateurs agricoles de Syndicat et conseiller technique de la Chambre. Les élus des communes représentent un autre type d'acteur qui n'a pas forcément le même objectif que les syndicats de Bassin Versant. La coordination a été plus longue; mais il semble que les élus fassent de plus en plus appel aux Syndicats pour prendre en compte les problèmes de ruissellement dans les projets des communes. L'origine du dernier type de conflit qui a émergé avec la création des Syndicats de Bassin Versant réside dans la définition des compétences des différents organismes. Nous avons vu précédemment avec l'exemple d'Yvetot que des conflits pouvaient naître parce que les Syndicats n'ont pas les compétences que certains voudraient. Mais le problème majeur soulevé par nombre de nos interlocuteurs de Syndicats est l'existence d'un certain flou dans la définition des compétences. Ceci aboutit parfois à des situations de double compétence, comme dans le cas d'un Syndicat qui avait pris la compétence rivière alors qu'il existait déjà une association syndicale qui gérait la rivière. Dans ce cas là, il n'y a pas eu de tensions, les deux structures ont mis en place des actions en coordination. La méconnaissance, réelle ou non, des compétences de chacun peut parfois aboutir à des conflits. C'est le cas entre un Syndicat et le maire d'une commune du bassin versant. Suite à une inondation par remontée de nappe, un maire a demandé à son Syndicat de Bassin Versant de réaliser des travaux, mais ce dernier a refusé car il a uniquement des compétences pour les inondations par ruissellement. Aujourd'hui, ce conflit est porté devant le tribunal administratif. Les animateurs de Syndicat de Bassin Versant nous ont fait part d'un dernier cas de conflit tournant autour des compétences des organismes. Un dossier d'ouvrage de lutte contre les inondations, porté par le Syndicat de Bassin Versant, a été bloqué pour des conflits entre financeurs. La construction de l'ouvrage en question nécessitait des travaux sur une route départementale. Les financeurs de l'ouvrage ont donc refusé de payer les travaux, de même que la DDE qui, elle, ne considérait pas qu'elle devait payer pour des travaux de lutte contre les inondations.

Le cas des Syndicats de Bassin Versant du Pays de Caux montre qu'un outil permettant de gérer des risques et, par là même, des conflits ne peut permettre de les résoudre tous et peut également en déclencher de nouveaux. Une dernière observation vient appuyer encore cette analyse : les intercultures prônées par tous les Syndicats de Bassins Versants et financées par ces derniers risquent de poser problème. En théorie, les agriculteurs sont supposés broyer les plantes, mais de plus en plus, face au coût

106 en fuel d'une telle pratique, beaucoup préfèrent utiliser des pesticides… Il y a fort à parier que de telles pratiques risquent de poser des problèmes de pollution à l'avenir ou même, plus rapidement encore, une opposition de tous les acteurs préoccupés par la qualité de l'eau en Pays de Caux.

c- Les conflits liés à d'autres mesures

Dans le cadre de l'élaboration des Plan de Prévention des Risques d'Inondations, les zones inondables doivent être délimitées, ce qui est source de tensions. Le terme de "zone inondable" lui-même a des contours plutôt flous, en effet, on ne sait pas si l'on prend en compte les cures annuelles, décennales, centennales,… Ce flou, associé aux conséquences négatives d'un tel classement du point de vue du développement des communes, entraîne des tensions entre les décideurs (DDE, Préfecture) et les élus des communes, surtout au moment de leur délimitation sur les documents d'urbanisme. Il existe d'ailleurs un débat national sur ce sujet, puisque il existe une querelle juridique au niveau du Conseil d'Etat sur la légitimité des PPRI sur le plan de l'urbanisme. La position des maires est assez variable et pas clairement définie. D'un côté, des maires ont été attaqués car ils avaient permis la construction dans une zone qui avait déjà été inondée. Pour d'autres interlocuteurs, les maires ne se gênent pas pour construire en zone inondable car ils savent que la dernière responsabilité revient toujours finalement au Préfet. Ainsi, se mêle à la définition de ces zones inondables des questions de responsabilités devant les accidents.

2-LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU POTABLE

Le couple érosion / ruissellement entraîne des problèmes au niveau de l'eau potable. En effet, la nature du sol (réseau karstique, présence de bétoires, etc.) permet un transfert rapide des eaux de ruissellement et donc des matières en suspension. Le Pays de Caux connaît donc des phases de turbidité de l'eau qui rendent l'eau impropre à la consommation, provoquant le mécontentent les populations. Certains usagers se sont même regroupés en association de consommateurs et refusent de payer des factures d'eau correspondant à des phases de turbidité. Ces problèmes amènent les services d'eau à prendre des mesures comme creuser un nouveau forage dans une zone moins turbide afin de mélanger les deux sources et obtenir ainsi une eau qui rentre dans les normes. Certains ont aussi construit des usines de traitement de l'eau. Ces mesures ne génèrent pas de tensions, mais lorsque le syndicat d'eau souhaite mettre en place les périmètres de protection de captage d'eau, il se heurte à l'opposition des agriculteurs, qui rejettent les nouvelles contraintes associées à ces périmètres.

Dans ce domaine de l'eau potable, il existe aussi des tensions autour des compétences des organismes. Ainsi, selon certains Syndicats de Bassin Versant, l'Agence de l'eau voudrait qu'ils fassent des travaux qui, de leur point de vue, relèvent du domaine des Syndicats d'eau potable.

3-LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU DES RIVIERES

L'eau est aussi source de tensions et de conflits dans les rivières. Les problèmes tournent autour de trois aspects : a) l'entretien des rivières, b) la pollution et c) la libre circulation des poissons.

Actuellement, la Fédération de pêche est en conflit avec certains Syndicats de Bassin Versant et Syndicat de Rivière au sujet de travaux : la Fédération considère que ces travaux sont trop intensifs et détruisent le fond des cours d'eau. Le représentant de la fédération va même jusqu'à dire que "Les syndicats de rivière ne sont pas forcément les amis de la rivière, mais plutôt les amis des riverains."

La forte présence de l'industrie augmente les risques de pollution, comme par exemple une sucrerie sur le Dun. Certaines rivières, comme la Lézarde et le Commerce, sont très polluées. Les associations de pêche attaquent parfois les industriels pour des pollutions.

Des discussions existent actuellement autour du problème de la libre circulation du poisson. Les propriétaires d'ouvrage doivent faire des travaux (passe à poissons ou renaturation) pour permettre le passage des poissons. Mais ces travaux sont synonymes de coût (coût d'installation ou perte de profit) et, malgré les subventions proposées par la DIREN, l'Agence de l'eau et le Conseil Général, peu d'ouvrages ont été aménagés (10% au moment de l'entretien). Etant donné que la date butoir pour la réalisation des travaux approche, le Conseil Supérieur de la Pêche va commencer à dresser des procès verbaux.

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