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La conflictualité dans le pays de Caux et en Seine-Maritime : les enseignements de la presse

Les tensions et conflits que le recensement de la PQR51 met en évidence dans le département couvrent

une gamme assez étendue de questions, dont l’importance (évaluée au regard du nombre d’articles et de

51 La source exploitée est le quotidien Paris-Normandie sur la période du 1er juin 2001 au 31 mai 2002. L’édition Caux du

96 leur place dans le journal –article, position dans l’édition, entrefilet) est cependant variable. A cet égard, si l’on exclut les conflits et tensions locales et ponctuelles (rave party, installation de gens du voyage, aménagement d’un chemin de randonnée pédestre), les questions récurrentes du département concernent (tableau 1) :

• les inondations et les phénomènes de ruissellement érosifs ; • les pollutions et risques industriels ;

• la chasse aux migrateurs dans l’estuaire de la Seine • les aménagements d’axes de circulation routière.

Tableau 1 – Les thématiques retenues par la PQR (Seine-Maritime)

Thématique Nombre

d’articles

%

Pollutions et risques industriels 66 31,6

Inondations, érosion, ruissellement 50 Dont

BV Austreberthe et Saffinbec : 18 BV Dun et Veules : 8

BV Durdent,St-Valéry, Veulettes : 18

24

Routes (extensions, réaménagement) 17 8,1

Chasse 35 Dont :

Extension port 2000 : 19 Protection des oiseaux : 11

16,7

Pollutions agricoles 4 2

Effondrement de marnières 18 8,6

Divers (gens du voyage, rave party…) 19 9

Total 209 100

La question des marnières, qui est couverte par 18 articles, est particulière dans la mesure où elle n’est pas traitée, dans la PQR, comme un phénomène conflictuel, mais comme un problème d’indemnisation des propriétaires d’immeubles devenus inhabitables suite à un effondrement de marnière.

1-LES TENSIONS ET CONFLITS RECURRENTS EN SEINE-MARITIME

La récurrence d’articles consacrés aux inondations, à l’érosion et au ruissellement, aux pollutions et à la sécurité industrielle, à la chasse et aux aménagements routiers est un indicateur de l’acuité des tensions et conflits qui touchent ces domaines.

a- Inondations, érosion, ruissellement

La PQR relate abondamment les conséquences des forts épisodes pluvieux dont la Haute-Normandie est victime depuis plusieurs années. 53 articles sont consacrés à ces événements sur les différents bassins versants étudiés. La tension est perceptible à de nombreuses occasions, à travers l'inquiétude des riverains, mais aucun conflit n'est ouvertement relaté. Des associations de victimes sont créées pour la lutte contre les inondations, des réunions d'information sont organisées. Les activités agricoles (10 articles sur 53) ne sont jamais montrées du doigt, mais au contraire sont pointées soit comme victimes des inondations, soit comme partenaires privilégiés de la lutte contre les inondations et contre l'érosion (via les opérations "cultures intermédiaires").

internet des éditions suivantes de Paris-Normandie : Rouen, Rouen rive gauche, Rouen rive droite, Dieppe, Elbeuf, Eu, Pays de Bray, Seine Austreberthe et Yvetot.

97 Trois ensembles de bassins versants apparaissent sensibles :

• Les bassins versants de l’Austreberthe et du Saffimbec (18 articles) : la presse relate l’action du syndicat de bassin versant sur les projets d’aménagements et les cultures intermédiaires. Les projets d’expropriation sont clairement signalés, ainsi que la situation des victimes d’une inondation à Saint-Paër. Dans ce dernier cas, la presse souligne une difficulté de prise en charge de leur dossier, le syndicat de bassin versant se déclarant compétent pour les problèmes de ruissellement, considèrant que le problème d’inondation doit être traité par le syndicat de rivière. • Les bassins versants du Dun et de Veules (8 articles) : la presse rend essentiellement compte de

l’action du syndicat de bassin versant, sous la forme de lancement de travaux et d’aménagements de lutte contre les inondations, et en direction des agriculteurs (ensemencements pour prévenir les ruissellements, cultures intermédiaires).

• Les bassins versants Durdent, Saint-Valéry, Veulettes, dans le pays de Caux (18 articles). Dans cette zone sensible au regard des phénomènes de ruissellement érosif et des inondations, la presse régionale met l’accent sur l’avancement de l’action des collectivités locales et du syndicat mixte de bassin versant dans la réalisation d’aménagements de prévention des inondations, et sur la situation des victimes. La presse mentionne fréquemment la politique d’acquisition foncière de communauté de communes en vue d’aménagements de lutte contre les inondations, avec demande de subventions au conseil général. Dans d’autres cas l’action est engagée par le syndicat mixte de bassins versants (Grainville-la-Teinturière) qui conduit à l’évacuation de maisons construites en zone inondable, ou encore à Ouville-l’Abbaye, où le syndicat de BV annonce l’engagement de travaux à court terme, mais précise que le problème des inondations dans la commune ne saurait être réglé à long terme sans accord avec la chambre d’agriculture et les agriculteurs.

Dans cette dernière zone, six articles sur 18 sont consacrés à la commune de Saint-Valéry-en-Caux, qui a subi d’importantes inondations, et relatent l’inquiétude et l’impasse du comité de défense des habitants d’un quartier particulièrement touché par une coulée boueuse qui s’y est constitué (association ‘place de la croix’).

b- Les pollutions et risques industriels

La presse relate très largement les débats qui ont eu lieu autour du risque industriel suite à l'accident de l’usine AZF à Toulouse du 21 septembre 2001. Une soixantaine d'articles sont publiés à propos de ce débat sur la période étudiée, des dossiers entiers y sont consacrés dans les pages régionales du Paris- Normandie.

Toutefois, si les cellules de travaux, les réunions d'informations sont très nombreuses et médiatisées, ce débat ne fait pas de place à la polémique et semble au contraire, selon la presse, organisé dans un cadre consensuel malgré les très fortes inquiétudes qui règnent dans ce département très fortement industrialisé. La presse est attentive aux problèmes de sécurité des installations et aux pollutions industrielles. Elle se fait le relais de l’expression des Verts demandant la mise en œuvre d’un ‘plan ozone’ en Haute- Normandie, des mesures du préfet prises suite à l’émission d’un nuage toxique, du traitement par le tribunal administratif d’une entreprise ayant pollué les eaux du port de Rouen par des rejets d’hydrocarbures, et de l’interruption de l’activité d’un silo à Yverville. Dans ce dernier cas, la demande de l’entreprise de construire un nouveau silo à l’extérieur de la commune, mais à proximité d’un groupe scolaire, est particulièrement suivie.

Par ailleurs, la presse fait état de nombreuses et graves autres pollutions (industrielles et agricoles: "La Seine saturée de pesticides") mais sans que des conflits soient relatés.

c – La chasse aux migrateurs dans l'estuaire de la Seine

La pratique de la chasse aux migrateurs dans l’estuaire de la Seine renvoie à une tension importante avec le projet d’extension du Port autonome du Havre (Port 2000). La presse signale que le projet s'accompagne de mesures compensatoires dont le doublement de la surface de la réserve naturelle en baie de Seine, mais que la suppression de 4 gabions de chasse provoque la colère de chasseurs (11 articles leur sont consacrés).

98 Cette tension dégénère en conflit ouvert, parfois violent : perturbation du trafic portuaire par occupations répétées d'une écluse au Havre, manifestation devant la préfecture de Rouen, occupation des gabions, "fermeture" du marais, échauffourée avec les garde-chasse. L’annonce de l'occupation des gabions provoque une réaction très ferme du préfet, qui prévient d'une absence totale d'indulgence en cas d'infractions et rappelle que les chasseurs ont été associés à la concertation. L'occupation et la "fermeture" du marais donne lieu à une intervention des forces de l'ordre, qui débouche sur une bagarre générale avec les gardes-chasse et la dégradation de véhicules de fonctionnaires. La poursuite de trois chasseurs au tribunal correctionnel met fin au mouvement. Les chasseurs sont condamnés à un an de suspension de permis de chasse et six mois de suspension de permis de conduire.

Les Verts déclarent leur soutien aux gardes-chasse.

L’opposition des chasseurs de Seine-Maritime à la date de fermeture de la chasse au gibier d'eau et aux migrateurs se voit consacrer 14 articles ; la presse situe cette opposition dans le climat tendu lié à l’affaire de la fermeture de gabions. Elle signale le recours en justice de l'association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) contre l'arrêt préfectoral fixant la date de la chasse au-delà de la date conforme à la directive oiseaux de 1979. De même, la presse mentionne la pluralité des acteurs engagés dans ce conflit : chasseurs (Fédération des chasseurs 76, ACDPM, UNFDC), Etat (préfet), associations de protection de l'environnement (ASPAS et Ligue pour la protection des oiseaux - LPO)

Plusieurs décisions de justice convergent vers une anticipation des dates prévues de fermeture de la chasse. Les chasseurs jugent les propositions ministérielles irrecevables, dénoncent un simulacre de négociation, un manque de dialogue, une bureaucratie incompétente (au niveau scientifique et humain) qui ne tient pas compte du rôle de conservation des milieux naturels par la chasse et de sa dimension culturelle.

Dans cette affaire, l’ASPAS saisit le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de l’arrêté préfectoral fixant des dates de chasse jugées excessives par les protecteurs de la faune sauvage. Des négociations entre les représentants des chasseurs et le ministère de l’environnement se tiennent en vain, sur une éventuelle dérogation aux directives européennes relatives à la chasse aux migrateurs. La presse signale l’organisation de manifestations (blocage du Pont de Normandie, opération péage gratuit), la politisation du discours52 et

le fait que les chasseurs décident de passer outre la décision de justice en pratiquant la chasse hors période. Sur le plan national, la presse évoque le recours au conseil d'Etat des deux parties opposées : d’une part, de la LPO et d’autres associations pour contester la loi chasse du 1er août 2000, jugée trop laxiste sur le gibier d'eau; d’autre part, de l'UNFDC (union nationale des chasseurs), pour contester la même loi chasse trop restrictive selon eux.

Le Conseil d'Etat donne raison aux protecteurs de la faune en annulant partiellement la loi chasse de 2000. Ceci provoque une forte politisation du débat: CPNT promet une riposte sur le terrain politique; les Verts se félicitent de la "courageuse" décision du gouvernement. Malgré le discours apaisant de la fédération de chasse notamment dans la presse (prône le dialogue avec les autres usagers de la nature et avec l'administration), les chasseurs de l'ACDPM passent outre la décision de justice et continuent de chasser après la date de fermeture légale.

On notera à ce sujet une forte mobilisation de la presse consultée et de manière pas franchement impartiale (seule la voix des chasseurs est représentée)

d – Les aménagements de voies de circulation routière

La presse relate deux zone de tensions causées par des projets d’aménagements de toutes : la liaison Yvetot-Barentin (RN15), à laquelle 12 articles sont consacrés ; le réaménagement de la RN29 (3 articles). L'aménagement de l'axe Yvetot-Barentin est très attendu depuis longtemps. Les deux municipalité déposent des motions pour accélérer le dossier et sensibiliser les décideurs La dangerosité de la RN15 n'est contestée par personne, mais la concrétisation de la dernière section autoroutière est retardée depuis la déclaration d'utilité publique en 1998, faute de consensus politique sur son financement et son tracé. Devant les réticences (contestation de la DUP par une requête devant le tribunal administratif) la préfecture a fait réaliser des études complémentaires, désormais publiques. L’élément déclencheur étant la proposition de trois tracés par le Préfet, le doublement de la route nationale voit s’affronter le Conseil

52 Cette politisation s'exprime dans les discours considérant que la chasse du marais est la chasse du pauvre : les chasseurs de

99 général, favorable à cette solution, et la commune de Barentin qui juge l'option trop dangereuse, coûteuse et nuisible au cadre de vie des Barentinois (paysage). Le conseil municipal de Barentin réclame une réunion d'information. Les Verts, selon l'avis de la DDE, préconisent une autoroute mais insistent sur la fragilité du milieu et s'opposent à un péage "dissuasif". Le conseil général fait alors réaliser sa propre étude pour défendre la thèse d'un dédoublement de la RN15. Le nouveau scénario est plutôt bien accueilli, mais les riverains tiennent à rester vigilants sur l'habitat, les nuisances sonores et les contraintes agricoles. Le réaménagement de la RN 29 à Yerville est présenté comme justifié par des questions de sécurité et de nuisances sonores. Cependant, certaines manifestent vivement leur inquiétude face à ce projet: stationnement, sécurité des piétons, vitesse excessive, vibrations, pistes cyclables, rehaussement de la route, ruissellement des eaux pluviales. Un article évoque les effets des travaux sur l’accessibilité des commerces et leur chiffre d’affaire.

e – Le cas particulier de l’extension du Port autonome du Havre

L’extension du port autonome du Havre dans le cadre de l’opération ‘Port 2000’ n’apparaît pas, dans la PQR, comme source de conflits ouverts, ce qui différencie nettement ce cas de celui du port autonome de Saint Nazaire.

La présence du projet ‘Port 2000’ dans la presse s’organise dans deux perspectives :

• d’une part, le projet est présenté sous l’angle de ses aspects économiques mais également du travail de concertation et des actions de protection de la faune sauvage et le suivi scientifique assuré (5 articles). Un seul conflit porté devant le Conseil d’Etat est évoqué : il s’agit d’un recours exercé en référé devant le Conseil d’Etat par l'association écologiste Robin des bois, contre les modalités prévues du déminage du site avant le commencement des travaux (juillet 2001, 1 article). Le déminage, anticipé par le port autonome, est suspendu provisoirement ;

• d’autre part, l’extension du port est traitée sous l’angle de ses conséquences sur la destruction de gabions de chasse, comme nous l’avons vu précédemment.

2-LES TENSIONS ET CONFLITS PONCTUELS

Les tensions et conflits non récurrents que l’exploitation de la PQR fait apparaître sont relativement hétérogènes. Ils concernent des situations telles que :

- le mécontentement de la commune de Roumare du fait de l’annonce de l'extension d'un magasin Castorama sur une zone commerciale limitrophe avec la commune de Barentin. La première dénonce un manque de concertation (habitations limitrophes) ;

- le mécontentement de riverains qui subissent de mauvaises odeurs à la station d'Ancrétieville- Saint-Victor, relayé par le maire qui s'en fait l'écho auprès du syndicat des eaux de Yerville ; - le mécontentement du maire et des habitants de Pissy-Pôville (2 articles), où une décision de

justice prévoyant l'expulsion de gens du voyage installés sur la zone artisanale, était restée inappliquée.

Des graffitis et dégradations matérielles d’une usine suite à la tenue d’une rave party à Villers-Ecalle, et l’incendie de 600 balles de paille lors d’une manifestation identique à Bolbec.

Par ailleurs, la presse fait état de nombreux "problèmes" liés à l'agriculture (érosion, destruction de haies, remembrements) mais aucun conflit n'est relaté. Cependant, la question de la pression foncière apparaît indirectement, par le biais d’articles relayant la communication de la confédération paysanne et l'union syndicale agricole (FNSEA - CDJA) sur l'augmentation incessante de la pression foncière (réunions, forums, visites d'exploitations).

Une comparaison des conflits identifiés par le recours à la PQR et par les décisions de justice administrative (chapitre 6) montre que certains types de conflits sont présents dans la presse, mais ne font pas l’objet d’actions devant les tribunaux (tableau 2).

100 Tableau 2 – Comparaison des conflits selon deux sources

PQR Arrêts de la cour administrative d’appel ou du Conseil d’Etat Inondations, érosion, ruissellement XX

Pollutions et risque industriels XX XX

Chasse XX X

Aménagements routiers X XX

X : présence - XX : forte présence

Les phénomènes d’inondation et de ruissellement érosifs ne sont pas présents sur le territoire des juridictions administratives étudiées (voir le chapitre 6). Par ailleurs, les conflits liés aux aménagements routiers ont une couverture par la PQR relativement moins que proportionnelle aux conflits portés devant les juridictions administratives.

L'analyse de la presse quotidienne régionale met en évidence que le recours au tribunal, ainsi que les manifestations sont des méthodes fréquemment utilisées, notamment dans les conflits autour de la protection de l'environnement (chasse et port 2000). Cette judiciarisation des conflits tient sans doute aussi au fait que les désaccords portent sur des questions avec une portée plus grande que le seul Pays de