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1-LA CONSERVATION DE LA BIODIVERSITE

La conservation de la nature apparaît comme une source de conflits importante dans un territoire qui connaît une forte dynamique, tant en terme économique que de population, ayant des impacts négatifs sur un patrimoine écologique exceptionnel.

Cette confrontation entre des usages de conservation de la nature et les usages productifs et résidentiels se manifeste notamment à travers les grands projets à l’origine des conflits phares dans l’estuaire (infrastructures portuaires et de transport d’électricité). Mais la mise en œuvre des politiques de protection de la nature est également une source de conflictualité importante dans ce territoire, notamment quant elle se heurte à des particularismes locaux. Les conflits liés à la gestion des niveaux d’eau du lac de Grand-Lieu et à la pêche et à la chasse en Brière, en offrent une bonne illustration. La mise en œuvre du réseau Natura 2000 est une autre source de conflits dont la presse locale se fait l’écho.

Les conflits en cette matière ont trait à la délimitation des périmètres des sites d’importance communautaires (SIC) sur l’estuaire de la Loire. Leur émergence mérite d’être resituée dans le contexte local et national.

Il convient, en effet, avant de revenir sur les implications de la décision du Conseil d’Etat datée du 22 juin 2001 qui a rejeté 534 sites français (sur les 1100 proposés à la Commission Européenne) au motif d’un manque de concertation au niveau local, d’évoquer rapidement les conflits, plus anciens, liés à l’application de la Directive « Oiseaux » dans l’estuaire de la Loire. Ces conflits, qui sont à l’origine des premiers recours contentieux engagés, par les associations écologistes, contre les projets d’extension du PANSN, ont duré pendant près de 10 ans et continuent de marquer fortement les esprits.

Afin de préserver les possibilités d’extension du PANSN, l’Etat Français, sous l’influence de la Direction des ports du Ministère de l’équipement, a retardé autant que possible la définition de la ZPS sur l’estuaire de la Loire (en application de la directive « oiseaux » qui date de 1979 et a été transcrite en droit français en 1981). Il a finit par proposer, en 1995, sous la pression de la Commission, un périmètre qui excluait les 3 sites potentiels envisagés pour l’aménagement portuaire141. Suite aux diverses plaintes déposées par les associations écologistes, la Commission a, le 10 janvier 1996, mis en demeure l’Etat Français pour non application de la directive. Mais face au violent mouvement d’opposition engendré en France par la mis en œuvre du réseau Natura 2000 (mouvement organisé par une coalition comprenant notamment les chasseurs, les agriculteurs et les propriétaires forestiers), le Premier Ministre A. Juppé a décidé, en juillet 1996, d’en geler l’application. L’affaire de la ZPS estuariennes a toutefois rebondi dès le mois suivant, la Commission avisant la France, en août 1996, d’un risque de poursuite si elle ne transmettait pas ses

141 En 1993 une plainte avait été déposée par un député vert européen auprès de la Commission Européenne, devant l’inertie des

pouvoirs publics français, la Commissaire Européenne à l’environnement a décidé de se déplacer sur le site de l’estuaire de la Loire en mars 1995. C’est suite à cet évènement qu’une proposition de périmètre, excluant les zones convoitées par le PANSN, a été adressée par la Ministre de l’environnement (C. Lepage) à Bruxelles.

167 intensions quant à la désignation des secteurs de Bonges-Est, de Mean et de Bilho en ZPS142. La procédure de délimitation du réseau Natura 2000 ayant été relancée par le ministère de l’environnement en avril 1997, processus accéléré par la nouvelle Ministre D. Voynet, la proposition de site transmise à la commission a finalement été élargie aux secteurs conflictuels. Les enjeux pour le PANSN se sont alors déplacés sur les mesures compensatoires qui conditionnaient désormais la réalisation du projet d’extension de ces aménagements portuaires sur la ZPS de l’estuaire de la Loire.

La décision du Conseil d’Etat rendue en juin 2001 concernait cinq sites de Loire-Atlantique qui doivent faire l’objet d’une nouvelle consultation. Le motif de ce rejet réside principalement dans le fait que les conseils municipaux concernés se sont majoritairement opposés aux périmètres proposés. Selon les articles de la presse locale, le manque d’information, l’insuffisante précision dans leur définition et le manque de concertation au niveau local, constituent les principaux éléments de justification avancés par les élus municipaux143. La menace d’une réglementation supplémentaire dans des espaces déjà largement soumis aux servitudes engendrées par la protection de l’environnement, ainsi que les entraves au développement économique, sont d’autres arguments des élus. Le sentiment d’atteinte à la propriété et les controverses scientifiques, dans un contexte où la légitimité de l’expertise scientifique est remise en cause au nom des valeurs et des savoir-faire traditionnels, sont également, dans l’estuaire de la Loire comme dans le reste de la France, l’un des ressorts de cette opposition.

Il convient de souligner que la mise en œuvre de Natura 2000 ne se heurte pas partout à des oppositions dans notre terrain d’étude. En effet, certaines communes du site de l’estuaire trouvent que le périmètre Natura 2000 est, au contraire, trop restreint et elles expriment, par voie de presse, leur souhait qu’il soit élargi. La mise en œuvre très consensuelle de Natura 2000 sur le site du marais de Goulaine (sur ce site pilote le document d’objectif a été élaboré) est également mentionnée dans la presse et par nos interlocuteurs.

2–LES GRANDS PROJETS D’AMENAGEMENT ET LES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT

L’affirmation du rôle de Nantes/Saint-Nazaire comme métropole européenne du Grand-Ouest est l’un des objectifs poursuivis par l’Etat (via la DTA) et partagé par les collectivités territoriales. Les grandes infrastructures de transports et les aménagements industrialo-portuaires figurent parmi les dispositifs nécessaires pour parvenir à réaliser cette ambition. Or, ces grands aménagements, dans un contexte de concurrence spatiale avivée et de dégradation écologique de l’estuaire sont, comme nous l’avons vu, à l’origine de conflits majeurs sur ce territoire.

Outre les grands projets très conflictuels dont nous avons rendus compte dans les paragraphes précédents, les projets d’infrastructures routières et ferroviaires sont également sources de tensions et de conflits diffus et récurrents dans l’estuaire de la Loire. Cet usage de l’espace pour les infrastructures s’oppose le plus souvent à des usages résidentiels et de conservation de la nature. La PQR se fait ainsi l’écho de la demande de l’association « Objectif Montoir » qui réclame que le tracé de doublement de la RD 100 soit reculé vers la Loire, afin de protéger la zone verte et le village de Gron. La création d’une association de riverains « SOS-rocade », mise en place suite à l’annonce du plan de déviation de la D 26 à Treillères, et dont le tracé fait peser des menaces sur l’écosystème local, est également évoquée.

142 La lettre de la Commission était accompagnée d’une copie de l’arrêt de la Cour de Justice Européenne sur l’affaire du « Lappel

Bank ». En décembre 1993, le Royaume Uni décida, en effet, de classer l’estuaire de Medway comme ZPS sur 4 681 ha sans y inclure la zone du « Lappel Bank », d’une superficie de 22 ha, destinée à recevoir une extension portuaire. A la suite d’une plainte des mouvements écologistes, Le R.U. fut condamné dans un arrêt (du 11 juillet 1996) qui insiste sur la supériorité des intérêts écologiques par rapport aux intérêts économiques dans les directives « oiseaux » et « Habitats ». L’arrêt rappelle le principe essentiel suivant lequel il est impossible de tenir compte des intérêts économiques, même s’ils sont considérés comme majeurs, lors de la délimitation de la ZPS. Une fois cette désignation effective, les Etats peuvent, par contre, engager une procédure d’exclusion, au titre de l’article 6 de la Directive « Habitats », pour des intérêts économiques considérés comme des intérêts publics majeurs.

143 Outre ces avis négatifs rendus par les Conseils Municipaux, les manifestations de ces conflits rapportés par le presse, consistent

dans l’envoi d’une lettre des maires du Pays de Retz aux autres élus les invitant à une solidarité contre le projet périmètre, dans la demande d’annulation de la Directive déposée par le député européen CPNT du canton de Saint-Philbert de Grand-Lieu, ainsi que dans l’organisation d’une Conférence Européenne intitulée « la vérité sur Natura 2000 » et organisée par le CPNT.

168 Dans le domaine des infrastructures ferroviaires, un article se fait l’écho des inquiétudes, exprimées par les habitants de Saint-Sébastien à l’occasion de l’enquête publique, devant les nuisances sonores qui seront provoquées par la future ligne Nantes-Vertou. Les habitants redoutent également que l’électrification de la ligne soit le prélude à l’arrivée du TGV.

3–LES EXTERNALITES NEGATIVES DE L’ACTIVITE AGRICOLE

Les enquêtes publiques préalables à la délivrance des autorisations administratives dans le cadre des installations agricoles classées pour la protection de l'environnement déclenchent des conflits. Ceux-ci opposent usages agricoles et usages résidentiels de l'espace dans les communes péri urbaines de l'estuaire. Deux cas de conflit fortement médiatisés méritent d’être évoqués.

Dans le premier cas, le plus conflictuel si l’on considère le nombre d’articles dans la PQR consacrés à un conflit comme un bon indicateur de son intensité (6 articles sur la durée de notre dépouillement), est situé sur la commune d’Héric. L’élément déclencheur du conflit est la consultation des communes par le préfet, dans le cadre de l’examen d’une demande d’autorisation par une exploitation agricole classée. Les opposants à cette extension (le Conseil Municipal et les riverains constitués en associations) évoquent les risques de pollution des eaux et des sols et de nuisances olfactives. La crainte d’une dynamique conduisant à l’importation du modèle breton d’élevage intensif, le manque de surfaces d’épandage (concurrence avec les boues d’épuration), ainsi que le principe de précaution, figurent également parmi les arguments mobilisés. Ces riverains se heurtent aux dirigeants de l’exploitation soutenus par la chambre d’agriculture (dirigée par la Confédération Paysanne en Loire Atlantique). Le conflit se traduit par l’expression d’un refus des conseils municipaux concernés, la prise à partie des élus locaux, l’organisation de manifestations et la production de signes (panneaux de protestation implantés en bordure de voie rapide). Suite à la décision favorable du Conseil Départemental d’Hygiène, les associations de riverains fustigent l’attitude des élus, qui se sont abstenus, et de celle de l’administration, qui a donné son accord. Dans une volonté d’apaisement, les exploitants agricoles, rencontrent le conseil municipal pour discuter de l’avenir de l’agriculture sur la commune. A l’issue de cette réunion, un consensus se dégage pour organiser une « information objective » auprès de la population concernée.

Le second cas de conflit mentionné dans la presse est localisé sur la commune d’Herbignac. Un renouvellement d’autorisation à exploiter, qui s’inscrit dans une histoire locale faite de tensions entre la Chambre d’Agriculture et des associations de riverains autour de cette activité, est à l’origine de la mobilisation. Les opposants à ce renouvellement de l’autorisation administrative, appuyés par l’Association de Défense de l’Eau de l’Environnement et de la Vilaine (ADEEV), invoquent des nuisances olfactives, ainsi que la pollution des eaux souterraines et maritimes (algues vertes) et tentent de rallier les producteurs de sel. Une demande d’annulation en justice est déposée et des lettres sont envoyées au préfet. Celui-ci répond que l’exploitation est aux normes et utilise un désodorisant pour lisier. La Chambre Administrative d’Appel a confirmé la décision du préfet le 28 juin 2002.

Section 5 – Les manifestations des conflits

L’entrée dans le conflit et son déroulement s’effectuent sous des formes assez diversifiées. La violence collective en constitue l’une des modalités.

1–VIOLENCES COLLECTIVES

Dans deux cas de conflit recensés en lien avec les usages de conservation de la nature, le premier en Brière et le second sur le Lac de Grand-Lieu, les oppositions se traduisent par diverses voies de fait violentes : l’incendie de bâtiments symboliques et le massacre d’animaux protégés dans le premier cas, une séquestration dans le second. Des menaces de mort sont proférées publiquement dans les deux cas. La puissance du sentiment identitaire qui caractérise ces territoires -l’un de nos interlocuteurs parle à leur endroit de tropisme insulaire voire de syndrome corse- mérite d’être posée en regard de ces phénomènes de violence collective qu’elle semble favoriser.

169 Alors qu’en Brière il est affirmé publiquement que « la LPO est interdite de territoire », dans le cas de Grand- Lieu la violence collective s’est focalisée sur le directeur de la réserve naturelle. Celui-ci a progressivement cristallisé sur sa personne l’ensemble du ressentiment et du conflit. Dans un tel contexte, son éviction aurait été le gage de la paix retrouvée et de la possibilité d’un dialogue et d’une concertation en vue de sortir du conflit. Un tel état de fait n’est pas sans inquiéter certains de nos interlocuteurs. Ils y voient un précédent dramatique dont ils craignent la reproduction sur d’autres sites conflictuels.

2–MOBILISATIONS DEMONSTRATIVES ET MEDIATISATION

La capacité d’organisation collective des acteurs locaux semble favoriser la création de collectifs d’opposants. Outre les manifestations et rassemblements, ces derniers mobilisent également d’autres voies pour protester : mobilisation des élus concernés, courriers de protestation en préfecture, pétitions, réunions d’information, création de bulletins d’information …Les enquêtes publiques et, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, la CPDP, constituent des tribunes qui sont utilisées par les opposants pour faire entendre leur voix à défaut de peser sur l’avis rendu. Comme nous avons été amenées à le souligner, les outils Internet constituent également une ressource, de plus en plus mobilisée, pour la protestation. Nous mentionnerons également, bien qu’elle ait été réalisée antérieurement au pas de temps de notre étude, l’initiative originale de la ville de Bouguenais qui s’inscrivait dans la lutte qui l’oppose au PANSN depuis le début des années 90. Un colloque a ainsi été organisé par le maire, le 11 avril 1992, sur le thème de l’environnement dans l’estuaire de la Loire et les activités portuaires. La qualité du débat qui a eu lieu et du document constitué à partir des actes du colloque -que la ville continue de diffuser sur demande- nous a été, à plusieurs reprises, citée en exemple.

La médiatisation, par voie de presse, apparaît également comme un mode de manifestation des conflits quasiment systématique dans l’estuaire de la Loire. La rubrique du courrier des lecteurs du quotidien Ouest-France, particulièrement abondante, joue à cet égard un rôle important qu’il convient de souligner. Elle est mobilisée, à la fois comme une tribune par les opposants et comme un mode d’échange entre parties opposées.

3–MOBILISATION DU CONTENTIEUX

Menace ou effectif, le recours contentieux est un moyen d’action mobilisé par les acteurs locaux en conflit dans l’estuaire de la Loire. Il est particulièrement mobilisé par les associations de protection de l’environnement dans leur lutte contre les grands projets d’aménagement exerçant une menace pour la conservation du patrimoine écologique de l’estuaire.

Le cas du projet d’extension du PANSN est à cet égard assez exemplaire. Outre le recours contentieux devant les juridictions nationales et européennes pour non respect de la législation européenne en matière de conservation de la biodiversité, des actions en justice sur le plan de l’urbanisme ont été menées. Le recours contentieux engagé par « Estuaire Ecologie » et la SEPNB concernant la modification du POS de Donges a été gagné au tribunal administratif en 1996. Le T A a en effet annulé cette révision du POS de Donges au motif principal de « l’insuffisance du rapport de présentation du POS sur l’impact sur l’environnement de l’urbanisation du site de Donges-Est et l’extension du PANSN sur ce site ». En cette matière, le PANSN qui souhaitait préserver ses possibilités d’extensions futures plus en amont de la Loire, a également affronté la commune de Bouguenais. Cette dernière s’étaient en effet engagée dans une révision du POS, à la faveur de laquelle elle entendait classer une zone, convoitée par le PANSN, en zone réservée à des activités commerciales, artisanales et économiques légères liées au fleuve, des activités de sport de loisir, un port de plaisance, un plan d’eau de loisir. Le recours intenté devant le Conseil d’Etat par le PANSN débouté par le Tribunal Administratif, a été rejeté en juillet 2000.

Selon l’un de nos interlocuteurs, cette action en justice menée par la commune de Bouguenais aurait joué un rôle important dans la dynamique des conflits liés aux activités et aux aménagements portuaires dans l’estuaire. Elle aurait en effet constitué l’un des leviers de la remise en question de la toute puissance du PANSN en accélérant sa prise de conscience du fait « qu’il n’était plus possible de faire comme avant ». Ce changement de positionnement se serait tout particulièrement incarné dans l’évolution de la politique de communication du port qui aurait alors commencé à intégrer la dimension de l’environnement. Les supports de communication du PANSN se seraient alors également couverts d’oiseaux !

170 Le recours contentieux est également mobilisé par les « associations de proximité » que les riverains constituent pour lutter contre certains projets perçus comme menaçant pour la qualité de leur cadre de vie et de leur environnement immédiat. C’est notamment le cas dans les conflits liés aux porcheries et aux nuisances causés par les autres installations industrielles. Les conflits engendrés par l’occupation du sol et les dommages provoqués par les aménagements d’infrastructures routières apparaissent également comme une source de contentieux, mais il est alors moins souvent porté de manière collective.

Section 6 – Modes de gestion et de prévention des tensions et des