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5. Conclusion

1.2 Un peu de turbulence

Jusqu’à présent, nous avons peu évoqué la turbulence de l’écoulement gazeux, ce qui peut sembler un peu surprenant pour qui n’est pas versé dans le domaine de la simulation des MPS… Les écoulements dans les propulseurs seraient-ils laminaires ? Certainement pas. Mais la turbulence des écoulements dans les propulseurs est très particulière, d’une part, et mal connue, d’autre part. D’abord, l’environnement très défavorable des écoulements en chambre de combustion ne permet pas de disposer de données expérimentales précises et en nombre suffisant pour pouvoir appréhen- der le comportement turbulent du gaz. En effet, l’environnement à l’intérieur du propulseur est particulièrement agressif : température et pression élevées (respectivement de l’ordre de 3400K et 5MPa), produits très réactifs et particules en combustion. De ce fait, les seules mesures disponibles sont des mesures globales de pression qui, il faut l’avouer, représentent très mal les fluctuations de vitesse d’un écoulement turbulent, d'autant que cette grandeur résulte de l'interaction de plusieurs phénomènes distincts mais couplés.

Malgré cette difficulté, plusieurs éléments sur la turbulence sont connus.

Les essais en gaz froids réalisés pour étudier la transition vers l'instabilité de l'écoulement de Taylor (cf. chapitre 1) ont par exemple permis de mettre en évidence une transition laminaire/turbulent de l’écoulement (Anthoine, 2000) à partir d’une abscisse particulière, variable selon les dimensions du montage. Il faut toutefois être prudent car le matériau poreux qui permet d’injecter le gaz ne représente pas du tout le comportement du propergol vis-à-vis de la turbulence.

Cette transition d'un état laminaire vers un état turbulent de l’écoulement semble logique. Le bon sens nous dit en effet que l’écoulement à l’avant du propulseur doit être plutôt "laminaire". Les profils de vitesse y sont certainement correctement prédits par les équations de Navier-Stokes, et principalement dépendants des conditions limites (combustion du chargement). Au contraire, à l’arrière du moteur, il semble plus plausible que l’écoulement soit turbulent et qu’il interagisse avec la géométrie du chargement (obstacle, PT, tuyère etc.).

Des essais en gaz chaud ont confirmé l'existence de cette abscisse critique de transition vers la turbulence (Griffond, 2001). Elle est basée sur le rapport d'aspect l/h du moteur et est telle que :

15 ≈ =

h xT l

On remarquera que cette valeur de xT est inférieure à 2x* (x*≈8, cf. chapitre 1). C'est pourquoi

les maquettes utilisées pour l'étude de l'instabilité de Taylor4, de rapport 2x*, permettent de

visualiser une transition vers la turbulence en fin de propulseur (cf. Figure 2- 1).

Figure 2- 1 : Transition laminaire/turbulent d’un écoulement de Taylor

Rappelons que pour un propulseur réel, la longueur l considérée correspond à la longueur débi- tante sur une méridienne (longueur sur poudre) et le rayon h est défini comme la distance mini-

male de l'axe à la paroi débitante (Griffond, 2001).

Or, durant le fonctionnement d'un moteur à propergol solide, le chargement brûle au fur et à mesure. Le rapport d'aspect est donc variable. En supposant que la longueur sur poudre reste relativement constante5, ce rapport est entièrement défini par la hauteur du canal (partie laissée libre

par le propergol).

Ainsi, dans le cas du MPS P230, le rapport d'aspect l/h en début de tir est élevé (typiquement supérieur à 30) car le propulseur est long et le canal d'écoulement des gaz encore réduit. L'écoulement dans la chambre a donc tendance à être très turbulent au-delà de l’abscisse de transition.

En fin de tir, le ratio l/h du moteur est faible, et la transition vers la turbulence est alors moins probable. En l’absence d’effets turbulents, l'instabilité naturelle de l'écoulement de Taylor se développe pleinement, conduisant ainsi au phénomène de VSP. Globalement, l’écoulement n’est alors plus dépendant de la turbulence, à cause de la couche limite soufflée latéralement, qui vient empêcher son développement.

Puisque les expériences ne permettent pas de visualiser l'écoulement en propulseur, il semble naturel de se tourner vers la simulation numérique. Or, d'un point de vue numérique, la simulation de la turbulence dans les propulseurs à propergol solide est une tâche difficile. L'expérience montre en effet qu'il s'agit d'une turbulence bien spécifique, fortement influencée par l'injection pariétale du gaz issu de la combustion du propergol. L'écoulement dans un propulseur est différent de celui en canal, essentiellement conditionné par les frottements visqueux aux parois.

Cette spécificité de l'écoulement en propulseur limite fortement l'utilisation de techniques rodées pour les écoulements turbulents en canal standard. Les modèles de turbulence classiques doivent être adaptés au cas particulier d'une forte injection pariétale de débit massique (Chaouat, 1994). Les lois d'amortissement de la turbulence près des parois débitantes, ainsi développées, ont été validées en partie à l'aide de la DNS (Nicoud, 1995 ; Gailliegue, 1998) et des expériences menées sur des maquettes en gaz froid ont permis de tester ces modèles. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que ce type de montage ne représente que moyennement l’écoulement dans un propulseur. D’abord le gaz utilisé est non réactif et froid (T~300K), ensuite il est injecté radialement à la chambre axi- symétrique à travers un matériau poreux (le poral). Or il se trouve que l’injection produite par ce matériau n’est pas représentative de celle créée par un propergol, ni d’un point de vue turbulence, ni d’un point de vue acoustique6.

De plus, ces études expérimentales ont aussi montré que l'injection de turbulence en paroi a un effet très important sur les champs aérodynamiques obtenus (Gailliegue, 1998). Puisqu'il n'existe pas de données expérimentales disponibles spécifiquement pour la turbulence dans les propulseurs réels (LP6, LP9, P230) les simulations numériques restent hasardeuses si on ne les recale pas au moins sur des grandeurs globales. La définition a priori des conditions limites d'injection "réelle" de la turbulence ne peut se baser sur aucune mesure expérimentale. Elle suppose des paramétrages et les résultats sont donc relativement peu fiables.

Enfin, la turbulence dans un propulseur peut être significativement affectée par la géométrie du chargement et notamment par la présence de cavités (Gallier et al, 2004). La protection thermique de face (située entre les segments S2 et S3) qui émerge dans l'écoulement après une certaine durée de combustion du propergol peut également interagir avec la turbulence en créant une couche limite d’une part, en battant dans l'écoulement et en pulsant cette couche limite d’autre part. L'effet

5 Ce n'est pas tout à fait le cas pour le P230 car la disparition du premier segment, au fond avant, modifie d'environ 15%

cette dimension ; la conicité des blocs S2 et S3 joue également.

6 Le poral, en injectant du gaz par petits jets, crée une turbulence de grille fortement différente de celle créée dans un

propulseur par la combustion du propergol. D’un point de vue acoustique, le propergol a tendance à répondre à une onde de pression, en l’amplifiant, alors que le poral amortit tout.

de la turbulence et de son couplage possible avec les ODP reste largement méconnu, bien que l’on suppose qu’elle ait plutôt un rôle atténuateur. Ainsi, Avalon et al (1998) montre que l'écoulement dans la maquette VECLA pour une hauteur de veine minimale (et donc une longueur relative l/h

maximale) transite vers la turbulence dans la seconde moitié de la veine, ce qui empêche toute possibilité de couplage aéro-acoustique. En effet, pour qu'un tel couplage puisse avoir lieu, on peut penser que les ondes hydrodynamiques doivent garder une certaine cohérence fréquentielle, avec des amplitudes suffisantes, jusqu'au point d'émission de l'onde de retour.

Dans le cadre de cette thèse, nous avons concentré nos efforts sur l'influence de la phase dispersée sur les ODP. Or, ces ODP ont tendance à être très faibles en début de tir lorsque l'écoulement est le plus sujet à la turbulence (ratio l/h >15) et maximales à des instants de tir où l'écoulement est principalement piloté par le VSP. Les instants de tir étudiés dans la thèse sont donc tels que l'écoulement gazeux peut être estimé peu turbulent.

En conclusion, il est justifié de ne pas tenir explicitement compte de la turbulence du fluide dans nos travaux. Néanmoins, cette approximation n'est valable qu'en première approche. En effet, un outil prédictif efficient des instabilités d'un moteur devra pouvoir prédire sous quels critères les effets turbulents deviennent suffisamment faibles pour laisser les ODP se développer.