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2. Instabilités de fonctionnement des MPS

2.2 Les instabilités hydrodynamiques

Différents mécanismes générateurs d’instabilités ont été mis en évidence lors des travaux ASSM/POP (Vuillot, 1998 ; Kuentzmann, 2001). Ces mécanismes, au nombre de trois, sont d'origine purement hydrodynamique :

- Un détachement tourbillonnaire d'angle ou Vortex8 Shedding d'Angle (VSA)

- Un détachement tourbillonnaire d'obstacle ou Vortex Shedding d'Obstacle (VSO) - Un détachement tourbillonnaire pariétal ou Vortex Shedding Pariétal (VSP)

Notons que le caractère hydrodynamique de ces mécanismes permet, contrairement aux instabilités de combustion (cf. paragraphe 1.3.3), de négliger l'aspect réactif de l'écoulement et donc de conduire des expérimentations sur des montages en gaz froid. Ces montages permettent une étude vaste et peu onéreuse des différents mécanismes générateurs d'instabilité. Leur fonctionnement à température ambiante (pour les maquettes spécifiques) permet en plus une instrumentalisation conséquente du moteur, donnant ainsi accès à des mesures plus précises du champ aérodynamique (par rapport aux tirs en gaz chaud qui ne fournissent que quelques mesures de pression9).

Ces trois modes de détachement tourbillonnaire ont été mis en évidence par des simulations numériques, des expériences en gaz froid et des essais au banc. Ils sont successivement présentés aux paragraphes suivants.

2.2.1 Le Vortex Shedding d'Angle (VSA)

Ce type de détachement se rencontre lorsque la géométrie du propergol présente un angle ou un élargissement brusque de la section de passage. C'est le cas par exemple dans un bloc cylindrique non inhibé aux bords : le propergol régressant sur ses côtés, on obtient une variation brutale de section en fin de bloc. L'angle du propergol crée une couche cisaillée avec un profil inflexionnel de vitesse axiale (cf. Figure 1- 13). Les structures tourbillonnaires se déplacent ensuite à vitesse constante depuis le point anguleux. Cette configuration est la plus simple à simuler.

En outre, l'expérience montre que ce type de profil inflexionnel est couramment instable, aussi l'instabilité d'angle a-t-elle été étudiée très tôt. Grâce à de vastes investigations, cette instabilité a pu

8 Les instabilités hydrodynamiques de l'écoulement sont organisées en structures cohérentes, appelées vortex.

9 Les défauts essentiels de ces montages en gaz froids sont d’avoir des amplitudes d’ODP très faibles, d’une part, et

être très largement démontrée, par de nombreux essais. On peut citer les tirs instrumentés de moteurs C1x (Dupays, 1996), les expériences réalisées sur la maquette 2D plan de l'ESPCI (Favray, 1999) ainsi que sur le montage en gaz froid VIOLETTE (Goncalves de Miranda, 2000).

Figure 1- 13 : Représentation schématique du détachement tourbillonnaire d’angle (VSA)

Le VSA a également été mis en évidence par la simulation numérique (Dupays, 1996 ; Lupoglazoff & Vuillot, 1998-a). C’est ce phénomène qui a permis d’expliquer le fonctionnement instable d’un étage de moteur stratégique (Ribéreau & Le Breton, 1995) de la défense française, alors que l’on cherchait vainement à l’imputer à une instabilité de combustion.

2.2.2 Le Vortex Shedding d'Obstacle (VSO)

Dans ce cas, il s’agit d’un obstacle présent dans l'écoulement et qui entraîne la formation d'une couche de cisaillement associée à un profil de vitesse inflexionnel. Ce profil de vitesse peut alors donner lieu à une instabilité hydrodynamique (cf. Figure 1- 14) : des tourbillons se forment à une fréquence fixée qui peut être obtenue par les théories de stabilité.

L'existence du VSO a également été démontrée sans ambiguïté par des essais et des simulations numériques. Un grand nombre de travaux expérimentaux a en effet été consacré au problème (Brown et al, 1981 ; Shu et al, 1986). On peut citer les résultats obtenus sur le montage MICAT1 de l'ENSMA (Couton et al, 1996 ; Vetel, 2001), le montage du VKI (Anthoine, 2000), et les séries de tirs LP3 et LP6, réalisées avec des protections thermiques (PT) dont le matériau, la forme et l'em- placement peuvent varier (Prévost et al, 2000-a ; Traineau et al, 1997).

Figure 1- 14 : Représentation schématique du détachement tourbillonnaire d’obstacle (VSO)

En fait, cette instabilité a été largement étudiée car elle était considérée au début du programme ASSM comme le mode d'instabilité jugé prépondérant pour expliquer les oscillations observées dans les MPS de grande taille américains et européens. En effet, les chargements de propergol de ces gros moteurs sont divisés en plusieurs blocs ou segments (jusqu'à 7). Les protections thermi- ques situées sur la face amont des blocs de propergol au niveau des inter-segments se retrouvent donc à jouer le rôle de diaphragmes dans l’écoulement. Et c'est pourquoi la présence des PTF a rapidement été incriminée et considérée comme une source majeure d'instabilité du moteur.

Ce scénario a cependant été mis à mal par des essais à échelle réduite qui montrent que les PT ne sont pas une condition nécessaire à l'instabilité du moteur (Traineau et al, 1997). Ainsi, le montage

LP6 tir N° 7 a montré des niveaux d'oscillations maximum alors qu’il ne possède pas de protection thermique10 (Fabignon et al, 2003). Ce résultat a priori déconcertant a été confirmé par la simulation

numérique (Lupoglazoff & Vuillot, 1996-a), impliquant une remise en cause du scénario initial et l'investigation d'un nouveau mécanisme. Cette "nouvelle" instabilité est intrinsèque à l'écoulement de Taylor, précédemment introduit. Nous allons la détailler au paragraphe suivant.

2.2.3 Le Vortex Shedding Pariétal (VSP)

L'instabilité pariétale n'a pas pour origine une couche fortement cisaillée, mais seulement la courbure des lignes de courant. Elle a souvent été intuitée et considérée comme un mécanisme faible, à tort. Sa découverte remonte à 1969 (Varapaev & Yagodkin, 1969), mais elle provoque à l'époque assez peu de remous. Les premières simulations numériques faites dans le programme ASSM indiquent la présence d’un phénomène particulier aux parois débitantes. Ce phénomène récurrent peut être observé sur les résultats des simulations, effectuées par l'ONERA et SME, du MPS P230, du SSM111 et des maquettes à l'échelle 1/15ème du P230 (Godfroy & Tissier, 1993 et

1994 ; Lupoglazoff & Vuillot, 1993 ; Cagnon et al, 1997). Et en 1996, Lupoglazoff et Vuillot précisent ce phénomène de détachement tourbillonnaire pariétal, par simulation numérique (Lupoglazoff & Vuillot, 1996-a).

On comprend bien en voyant la Figure 1- 15 l'origine de l'appellation du VSP : la vorticité instation- naire s'organise en structures qui semblent émerger de la paroi lors des simulations.

Figure 1- 15 : Rotationnel du gaz, calcul CPS, LP6, particules de 20µm

Cette instabilité naturelle de l'écoulement de Taylor, (re)découverte au cours du programme ASSM, a fait l'objet de recherches théoriques actives. Des études fondamentales de stabilité linéaire ont permis de confirmer la présence d'une instabilité intrinsèque, de type hydrodynamique, de l'écou- lement présent dans le conduit. Dans certaines configurations, la confluence de l'écoulement global, axial, et de l'écoulement radial à la surface du propergol, issu des gaz de combustion, peut amener à une instabilité hydrodynamique de l'écoulement (Lupoglazoff & Vuillot, 1996-a). Cette instabilité crée du rotationnel à proximité de la paroi débitante et donne lieu pour certaines fréquences à de fortes amplifications. Ajoutons qu'elle concerne l'ensemble de l'écoulement : ce qui se passe à une abscisse donnée dépend des abscisses précédentes.

Sous l’impulsion de Grégoire Casalis,Griffond et al (2000) ont développé une théorie locale spatiale linéaire pour étudier la stabilité d'écoulement incompressible en canal avec injection radiale. Ils ont montré que, près du fond avant du canal, l'écoulement est linéairement stable. Ensuite, au-delà d'une position axiale critique *

x , l'écoulement devient naturellement instable, pour une gamme de

10 Ce tir a été réalisé avec une Butalite (sans particules) car les essais diphasiques ne permettaient pas d'obtenir des niveaux

d'oscillations significatifs.

fréquences qui augmente avec la distance par rapport au fond avant. Cette instabilité résulte de la formation de structures cohérentes au-delà de l'abscisse critique (cf. Figure 1- 16).

Figure 1- 16 : Représentation schématique du détachement tourbillonnaire pariétal (VSP)

Des études théoriques (Casalis et al, 1998 ; Griffond & Casalis, 2001) et numériques (Casalis et al, 2000) ont permis de mettre en lumière les conditions géométriques et d'écoulement nécessaires au développement du VSP. Ainsi, l'allongement12 du moteur (ratio l/h) est un paramètre essentiel.

On montre en effet qu’un détachement tourbillonnaire pariétal peut se produire si les configura- tions géométriques du moteur sont telles que :

8 * *, ≈ ≥ x x h l (1. 14)

Ainsi, le VSP a été mis en évidence par la simulation numérique et par la théorie. La validation expérimentale du phénomène a également été réalisée, sur différents montages (Guéry et al, 2000). Parmi ceux utilisés pour mettre en évidence le phénomène d'instabilité pariétale, on peut mention- ner :

- Le montage VECLA de l'ONERA, présentant un canal à section rectangulaire (Avalon et al, 1998).

- Le montage VALDO axisymétrique (Avalon & Lambert, 2000).

- Le montage VKI sans diaphragme, maquette à l'échelle 1/30ème du P230 (Anthoine, 2000).

Le montage en gaz froids VECLA, spécialement conçu pour étudier l'écoulement de Taylor, est le montage qui a permis la validation la plus poussée de la théorie de stabilité linéaire liée à l'instabilité pariétale. Il a fait l'objet d'une exploitation très complète, fournissant de nombreux résultats grâce aux multiples configurations de veine utilisables (Avalon et al, 1998 et 2000 ; Ugurtas et al, 2000 ; Griffond et al, 2000 ; Ugurtas, 2000). Ces résultats ont confirmé l'existence d'oscillations de l'écou- lement, induites par une instabilité naturelle de l'écoulement.

Une visualisation par méthode PLIF a été réalisée sur ce montage (Avalon et al, 2000). Ces visuali- sations montrent que les tourbillons, formés à l'aval du canal, sont convectés vers la sortie (cf. Figure 1- 17). L'allure globale de l'écoulement a été retrouvée par la simulation numérique (Avalon et al, 2000). De plus, pour certaines dimensions particulières de la veine, il a été observé que l'ampli- fication intrinsèque des perturbations de l'écoulement pouvait être à l'origine d'un mécanisme de couplage entre le VSP et l'acoustique du canal (Avalon et al, 1998 ; Lupoglazoff & Vuillot, 1996-a et 1998-b).

Figure 1- 17 : Visualisation par PLIF dans VECLA, d’après Avalon et al (2000)

12 Attention, il ne s'agit pas du rapport d'aspect impliquant la longueur totale du moteur, mais celui utilisant la longueur de

propergol en combustion, ou longueur sur poudre (Griffond, 2001). x*

Les résultats obtenus pour l’ensemble de ces montages sont probants. Ces installations d'essai, qui ont l'avantage d'être moins coûteuses et plus simples à concevoir qu'un système à haute tempé- rature, ne remplacent toutefois pas les études en gaz chauds, pour des raisons déjà évoquées. C’est pourquoi d'autres essais, couplés à des simulations numériques, ont été réalisés, permettant à leur tour de mettre en évidence le VSP. Ainsi, le LP9, maquette à l'échelle 1/35ème du P230, a été

spécialement conçu pour exhiber un phénomène de VSP (Prévost & Vuillot, 1998). Les résultats obtenus lors de ces essais en gaz chauds sont tout à fait concluants (Prévost et al, 2000-b). D'autres essais réalisés sur maquettes LP6 ont également permis de montrer que le VSP est un mécanisme très puissant de déstabilisation de l'écoulement.

Enfin, il faut noter qu’en pratique le VSP nécessite pour se développer une source génératrice d'instabilité. Le bruit de combustion du propergol pourrait être ce mécanisme déclencheur. De même une petite cavité à l'avant du moteur est tout à fait idoine pour cela. En effet, lorsque la géométrie de l'écoulement présente un obstacle ou une cavité, des tourbillons s'échappent de la couche de cisaillement (VSO ou VSA) et perturbent l'écoulement. Il est alors facile de mesurer tout l'impact qu'a la géométrie sur le développement du VSP : une petite particularité géométrique, ou une anomalie, est susceptible d'engendrer un VSP, qui est absent des géométries trop régulières. Sur le plan pratique il manque aujourd'hui la connaissance de tous les facteurs capables d'engendrer le VSP. Si l'on pressent bien l'influence essentielle de la géométrie, il est encore aujourd’hui difficile de savoir si le VSP va se déclencher ou non.