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Comme présenté dans l'introduction générale de ce document, le moteur à propergol solide en fonction sur le lanceur Ariane 5 contient 230 tonnes de propergol, d'où son nom de MPS P230 ou P230 (Scippa et al, 1996). Le fonctionnement de ce moteur est évidemment régi, en première approximation, par les lois génériques présentées aux paragraphes précédents. Néanmoins son architecture est légèrement plus complexe que le cas théorique étudié jusqu'à présent…

1.3.1 Description

Le P230 est composé comme tout MPS d'une structure protégée par une protection thermique interne, d'une tuyère, d'un chargement de propergol et d'un mécanisme d'allumage (cf. Figure 1- 7). Le propergol utilisé dans les P230 d’Ariane 5 se nomme Butalane® 68/18 (Biagioni & Austruy, 1996). Elle est composée à 68% d’une charge oxydante, le perchlorate d’ammonium (PA) et à 14% d’un liant réducteur polymérisé, le polybutadiène (PBHT) qui assure la cohésion du mélange. Les 18% (en masse) restant sont ajoutés sous forme de poudre d’aluminium micrométrique (réducteur) dont l’intérêt énergétique a été décrit au paragraphe précédent. Précisons que le choix de l’aluminium répond à des contraintes énergétiques et financières. Son efficacité énergétique, sa faible toxicité4 et son coût limité en font le métal le plus employé en propulsion solide.

Ce propergol vient des applications stratégiques et utilise des formulations de propergol relativement anciennes qui ont fait leurs preuves en termes de sécurité, de propriétés mécaniques, de taux de combustion et d'énergie produite (Doriath & d'Andrea, 1996).

La Butalane® est malaxée dans des cuves, puis coulée sous vide dans la structure et moulée autour des noyaux. Cependant, pour des raisons technologiques, les dimensions du P230 interdisent la coulée du propergol en un seul bloc. Le P230 est donc un moteur segmenté, qui présente trois blocs de propergol (cf. Figure 1- 7). De plus, pour répondre aux spécificités demandées par la mission, des géométries particulières sont choisies pour ces trois blocs. Le premier segment a une

4 Le béryllium est plus énergétique mais très toxique (Tavernier et al, 1970).

temps pression

forme étoilée5 à 15 branches pour assurer la poussée initiale nécessaire. Les autres segments ont une

forme cylindro-conique qui assure une queue de combustion suffisamment longue.

Figure 1- 7 : Coupe d'un EAP, source SNPE

De plus, entre deux blocs de propergol une protection thermique de face (PTF) est employée pour éviter une combustion des blocs par la face amont (cf. Figure 1- 8).

L'architecture du P230 présente une autre spécificité : sa tuyère intégrée (cf. Figure 1- 8) qui est un héritage des technologies utilisées en propulsion stratégique (M45) (Faure et al, 1996). Cela permet en effet un gain de place, point non négligeable lorsque le propulseur est dédié à une utilisation depuis un sous-marin, et présente aussi des avantages technologiques liés aux angles de braquage.

Figure 1- 8 : Schéma représentatif du P230

Le MPS P230 est utilisé sur Ariane 5 depuis son premier vol qualificatif en 1996. Depuis, plus d’une vingtaine de tirs a été effectuée, attestant de la fiabilité de ce moteur. Néanmoins, lors des tirs des vibrations sont régulièrement enregistrées au cours du fonctionnement du P230. Cette instabilité fait l'objet du paragraphe suivant.

1.3.2 Instabilité du P230

Les MPS P230 sont équipés de capteurs de pression qui permettent d'accéder à la pression instan- tanée régnant dans le moteur6. Ces observations expérimentales sur tir réel permettent de mettre en

évidence un comportement instable du P230 à différents moments de son fonctionnement (Join- Lambert et al, 1996 ; Ballereau et al, 2003). Ce comportement instable se traduit par l'apparition d'oscillations de pression, d'une amplitude pouvant atteindre 200 millibars (cf. Figure 1- 9).

Figure 1- 9 : Résultats typiques du P230, d'après Prévost et al (2001); à gauche : évolutions temporelles des pressions complète (---) et instationnaire (---); à droite : évolutions temporelles des amplitudes sur les trois premiers modes propres longitudinaux. Ces oscillations sont indésirables car elles entraînent des oscillations de poussée et par suite des vibrations du moteur, qui sont transmises à tout le lanceur et peuvent donc être néfastes pour la charge utile embarquée par celui-ci.

Les ODP du P230 sont visibles sur les trois premiers modes longitudinaux, avec une nette prédo- minance du premier mode (dont la fréquence est d'environ 20Hz). L'étude de la courbe de pression sur les 120s du tir met en évidence 4 bouffées d'instabilités sur le mode 1L (Ballereau et al, 2003). Elles se présentent assez régulièrement aux mêmes instants de tir : à environ 66s, 95s, 107s et 117s. Leurs amplitudes sont en revanche très variables. De nombreuses études ont été réalisées afin d'expliquer, puis de prédire, les variations d'amplitude de ces ODP.

En réalité, la stabilité de fonctionnement du P230 est devenue un thème de recherche prioritaire bien avant le premier tir de qualification. L'origine de cette préoccupation est liée à l'expérience américaine. En effet, les moteurs américains du lanceur Titan et de la navette étaient sujets à des oscillations de pression de basses fréquences, autour des fréquences de leurs premiers modes longitudinaux. Ces oscillations avaient un caractère et une signature fréquentielle systématiques, qui ont intrigué les chercheurs américains.

Leur analyse a attribué l'origine de ces oscillations à un couplage entre une émission tourbillonnaire au sein de l'écoulement et les modes acoustiques longitudinaux de la chambre de combustion (Brown et al, 1981 ; Dunlap & Brown, 1981). L'existence de couches cisaillées, créatrices de tourbillons dans l'écoulement, devenait donc un facteur à risque. Or, le P230 est, comme ces moteurs américains, un moteur de grande taille segmenté. Aussi crée-t-il naturellement de telles couches cisaillées, au niveau des inter-segments. En effet, les inter-segments impliquent soit la présence de cavité, soit l’émergence des protections thermiques dans l’écoulement car ces dernières régressent plus lentement que la surface du propergol (cf. Figure 1- 8). Le P230 pouvait donc être supposé instable, par analogie avec les moteurs américains.

Cette analyse a motivé la mise en place d'un vaste programme de recherche financé par le CNES et coordonné par l'ONERA : le programme ASSM. Lancé en 1990, soit 3 ans avant le premier essai au banc (M1) et 6 ans avant le premier lancement d'Ariane 5 (Vol 501), ce programme avait pour objectifs principaux la compréhension et la simulation des phénomènes liés au fonctionnement d'un MPS. Un axe de recherche plus particulièrement dédié aux oscillations de poussée a également été initié (programme POP), dans le but de comprendre les mécanismes physiques à l'origine du comportement oscillant potentiel du P230. Le lecteur aura compris que les tirs réels ont par la suite confirmé l’exactitude de cette analyse initiale : l’écoulement dans le MPS P230 est bien instable (Scippa et al, 1994).

1.3.3 Instabilités de combustion et instabilités hydrodynamiques

Le terme d'instabilité est souvent associé à une notion d'instabilité de combustion, liée à la réponse du propergol en combustion aux fluctuations de pression. Il existe en effet un couplage entre l’acoustique de la chambre du moteur et la possibilité qu’a la combustion d’amplifier préférentiellement certaines fréquences (voir par exemple Kuentzmann, 1991 ; Gossant, 1993 ; Vuillot & Lupoglazoff, 1996).

La modélisation des instabilités de combustion passe par la définition de la fonction de transfert, la « réponse » du propergol, fonction qui dépend de la fréquence d’excitation. Pour des fréquences basses, comme celles du MPS P230, de l’ordre de quelques dizaines de Hz, la réponse s’identifie à l’exposant de pression de la loi Paul Vieille (1. 3).

Il est possible d’appréhender les instabilités de combustion par des méthodes relativement simples, fondées sur la technique du bilan acoustique linéaire (Hart & Mc Clure, 1965 ; Culick, 1966-a). Après avoir déterminé l’acoustique de la chambre, différentes contributions (amortissement dû à la tuyère ou aux particules, amplification due à la combustion) sont sommées pour déterminer le caractère stable ou instable d’un moteur (Gossant, 1993 ; Vuillot et al, 1996). Cette méthode ne donne cependant pas d’information sur les amplitudes des instabilités potentielles.

Dans le MPS P230, la problématique est différente. Les instabilités de combustion sont improbables, du fait de la très faible valeur de la réponse du propergol. En revanche, il se développe un autre type d’instabilités, liées au caractère instable de l’écoulement aérodynamique. Ces instabilités sont préférentiellement des instabilités de pression sur des modes acoustiques longitudinaux, à des fréquences modérées. Il s'agit donc plutôt d'instabilités dites de fonctionnement, liées à des paramètres géométriques du moteur et plus généralement à son mode de fonctionnement (Gallier et al, 2002).

Il faut savoir que le fonctionnement d'un moteur à propergol solide n'est jamais strictement stationnaire. Tout d’abord, la géométrie est en constante évolution. D’autre part, l'écoulement qui règne dans la chambre présente constamment de petites perturbations autour des valeurs moyennes. Ces perturbations peuvent provenir de la combustion du propergol composite, hétérogène par nature, mais pas seulement. Dans les années 80, un autre facteur déstabilisant a été mis en évidence (Brown et al, 1981) : le détachement tourbillonnaire. Ce phénomène est d'origine purement hydrodynamique, c'est-à-dire indépendant des caractéristiques thermiques, chimiques ou multiphasiques de l'écoulement7. Il a fait l'objet de nombreuses recherches aux Etats-Unis (Flandro

& Jacobs, 1973 ; Culick & Magiawala, 1979) puis en France (Lupoglazoff & Vuillot, 1996-a ; Vuillot & Casalis, 2000 ; Ribéreau et al, 2000) sous l'égide du CNES dans le programme ASSM.

Au début du programme ASSM/POP, il n'existait aucune expérience européenne sur les moteurs segmentés pour lanceurs spatiaux, et aucun outil numérique capable de prendre en compte tous les phénomènes dimensionnants des mécanismes liés aux oscillations de pression et de poussée.

7 Mais attention, cela ne signifie pas que l'étude quantitative des instabilités en question soit indépendante de ces

Depuis, la situation a largement évolué. Les études réalisées successivement dans le cadre du programme ASSM/POP, qui a duré 10 ans, puis en R&T CNES, ont permis d'accroître les connaissances de la communauté scientifique européenne dans le domaine des mécanismes liés à la stabilité d'un MPS.

Un certain nombre de phénomènes physiques mis en évidence au cours de ces travaux sont purement hydrodynamiques. Ils sont présentés au paragraphe 2, dans un cadre très général : les écoulements considérés sont monophasiques (phase gazeuse seule) et non réactifs (l'aspect combustion n'est pas prépondérant).