• Aucun résultat trouvé

Dans l’exercice de son activité artistique, l’une de nos interlocutrices souligne l’importance d’assurer une mise à distance pour poser un bilan ou pour résoudre un problème. Ne pourrait-il pas en aller de même dans l’animation d’un groupe d’enfants ou de jeunes ?

REBECCA : Assurer la mise à distance, c’est difficile quand on est dans l’urgence des anima- tions. Mais ça, nous l’avons mis en place au sein de la Compagnie. Et donc comme on est dans une année de transition, on pouvait passer plus de temps à ça : prendre de la distance. Et c’est vrai qu’une difficulté pour nous c’est de recevoir tout le retour de ce travail en atelier et par- fois et ne pas arriver à voir, parce qu’on est trop dedans et parce qu’il n’y a pas que ces don- nées-là, qu’il y en a d’autres… A un moment donné, elle est importante cette mise à distance : revenir sur les enjeux de départ, voir où on en est à ce moment-là du travail. Mais c’est pas simple, surtout si tu es confronté à des nouvelles situations.

76 JFG : Tu travailles toute seule avec les groupes ?

REBECCA : Oui, et j’ai passé beaucoup de temps à travailler toute seule, à proposer des spec- tacles et donc, cette année, par exemple, j’ai travaillé avec d’autres animatrices mais la mise en relais, pour moi, n’est pas toujours simple.

Et pour trouver des réponses ensemble, il ne suffit pas de voter. Il faut s’accorder. Serait-ce là une ambition citoyenne ?

OCTAVE : Mais c’est la même chose pour une exposition : qu’est-ce qu’on va montrer ? On va montrer les 140 dessins qu’on a faits ou on va en montrer dix, en essayant qu’il y en ait au moins un de chacun, mais les plus beaux, pour faire plaisir, pour donner une idée de ce qu’on est et que les gens aient du plaisir à nous regarder. On va introduire des critères de relation à l’autre, des critères de choix.

Et je l’ai fait avec des responsables de centre culturel. Comment choisir ? « Oh, et bien on vote ». Je dis non. « Réfléchissons ». On a passé une matinée à établir 4-5 critères de choix pour justement des activités qui sortaient spontanément, qui ne venaient pas de gens à pro- blèmes : là, c’était des animateurs de centres et ils devaient choisir un travail à faire ensemble, mais ils n’arrivaient pas à établir des critères de choix… je dirais de gens mûrs, qui sont ca- pables d’aller au-delà du simple vote. Et donc on a réfléchi une matinée là-dessus ; en sont sortis des critères tout différents. Et je me souviens bien que le thème choisi était la décon- sommation, et ça avait été proposé par la seule personne du groupe qui était artiste. Les autres avaient proposé de faire de la vidéo, ou ceci ou cela… alors qu’ils mouraient d’envie de parler de choses… et la seule qui est venue avec un thème de société, c’est l’artiste. Donc moi j’ai toute confiance envers ces personnes qui vont entendre les jeunes.

Dans les activités de création culturelle organisées par LST Andenne, il s’agit plus de porter une pa- role collective dans l’espace public : plus que de trouver des réponses ensemble, il s’agit de s’accorder sur le contenu d’un témoignage collectif.

JOSEPH : Le montage qu’on a fait avec les marionnettes, que tu as vu, c’est vraiment enraciné dans notre histoire mais on s’est dit : « On va construire des marionnettes et puis on va jouer cette histoire pour que des gens le voient. Et pour qu’ils voient dans quoi on est, qu’ils com- prennent le processus dans lequel on est engagé ».

Parfois c’est encore autre chose. Actuellement on est engagé dans une vidéo sur le lien, par rapport à l’aide à la jeunesse. On a fait une recherche sur ce que les gens ont vécu par rapport à… mais ils ne peuvent le dire que parce qu’ils sont soutenus par un groupe.

JFG : Est-ce que la démarche a pour objectif de déboucher sur quelque chose qui devra néces- sairement être vu par d’autres ? Ou bien il y a des choses qu’on ne fait que pour soi ?

JOSEPH : Il y a les deux tout le temps. On aime bien, nous… Un jour j’ai été très surpris, il ya une toile qui trainait là et qui était signé je ne sais plus par qui. Et puis il y a une gamine qui vient à la bibliothèque de rue et qui dit : « Tiens ! C’est le même prénom que ma mère ». Je lui dis : « Mais c’est ta mère ». « C’est ma mère qui a fait ça ? Elle est capable de faire ça, ma mère ? ». Je lui dis : « Oui, elle est capable de faire ça, ta mère. Elle est capable de faire bien plus de choses ». Et puis il y a un gars, il n’arrive pas à repartir d’ici sans laisser quelque

77

chose : il faut toujours qu’il aille remontrer ce qu’il a fait à son père. Etre fier de ce qu’on a fait…

Pour d’autres de nos interlocuteurs, il faut accepter d’affronter le conflit susceptible de survenir entre l’animateur et son public. Les ajustements deviennent alors de précieuses opportunités d’apprentissages respectifs.

CLARISSE : Je devais travailler avec des femmes kurdes. On voulait faire une exposition pu- blique avec toutes les photos de leur vie. Moi j’avais imaginé de faire cela avec pleins de tis- sus, des objets récupérés. Et au fur et à mesure… elles le font, mais ça ne les intéresse pas. Alors, je me penche sur ce qu’est leur culture artistique : c’est du brillant, des plastiques diffé- rents. Alors que ce que je leur faisais faire, c’était presque faire les poubelles pour elles. Alors, je me suis dit qu’il fallait prendre compte leur culture, vu qu’elles sont toujours dans leurs ac- quis et pas encore dans la culture européenne. Donc là du coup, j’ai changé ma posture, ma vi- sion de ce que pouvait être une œuvre artistique. Je leur ai proposé de faire des cadres, en utili- sant des couleurs flashy et elles étaient heureuses comme pas possible.