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Les activités menées au sein des ateliers et des projets ont aussi pour objectif de poser les bases d’une reconnaissance de la valeur des productions et de l’engagement des jeunes. L’atelier rock or- ganisé dans une Maison de jeunes de l’Arrondissement d’Arlon lui paraît répondre à cette finalité.

FLORENCE : Surtout que le travail soit reconnu, et ça c’est notre boulot au sein de l’équipe, de les valoriser et les faire connaitre. On a un groupe de formation rock qui est à la base juste en train de jouer dans leur garage et sortait pas de leur groupe restreint, et on voulait que leur travail soit reconnu. Ca leur prouve qu’ils ne font pas du travail pour rien.

Le passage par la scène publique s’avérerait parfois salvateur pour ces jeunes.

SB : Penses-tu que c’est important pour une Maison de Jeunes que le public voit ce qu’il s’y fait, que ce qu’il s’y fait soit mis sur une scène publique ?

OLIVIER : Moi je retournerais la question : est-ce que c’est important pour les jeunes qu’on les montre publiquement ? Histoire de montrer ce qu’ils sont capables de faire. Je prends le point de vue du jeune : le jeune a besoin de valorisation, il a besoin qu’on lui reconnaisse des compétences et même d’être aimé ! Ils sont demandeurs, et si on est amené à jouer père-mère de substitution, c’est parce qu’il y a un manque de ce côté-là. Mais voilà, c’est ça les enjeux, de valorisation et leur faire rencontrer le monde des adultes de manière positives. Je retourne la question parce que je ne pense pas que les habitants ont besoin de voir les jeunes bien. La MJ en a plus besoin ... mais pour moi, la MJ est au service des jeunes, pas de son propre ser-

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vice. Si je conserve une image négative à cause du public que j’accueille, ce n’est pas grave, je continuerai quand même, c’est un choix institutionnel.

Plus modestement, le regard porté sur la contribution d’un jeune à une activité artistique peut être celui d’un pair. L’une de nos interlocutrices, après avoir souligné le poids des aprioris qui entourent l’art et la culture et la nécessité d’emprunter une entrée ludique, estime qu’il est déterminant que les productions ne restent pas à l’état « théorique ». De formation artistique, elle estime que l’entrée par l’art doit se faire de manière ludique, « pour ne pas leur faire peur ».

FLORENCE : Certains dès qu’ils entendent « art », ils sont : « Aaah noooon pas l’art ! Pein- ture noon » alors qu’ils sont bourrés de talent. Ça rebute certains (FLORENCE).

On essaye de leur faire peindre les portes intérieures de la MJ. On est en train de les peindre et chacun fait son petit projet. On évite le cours académique. Les trois quarts de nos activités se basent là-dessus. On ne fait pas un cours de dessin parce que, comme ça, il se disent : « Ah ! Si c’est pour s’amuser, je viens ». Mais d’autres attendent du formel. Je pense que ceux qui n’ont pas été poussés dès l’enfance, c’est une façon d’aborder l’art… Cette semaine, on a trois jours durant lesquels un professeur d’illustration BD vient : trois jeunes sont là pour faire du dessin et moi, en même temps, je peins les portes avec les autres. On essaye de satisfaire un peu tout le monde.

(…) Si ça reste théorique, ce n’est pas la peine. Comme je disais, ils auront quand même un produit fini qui sera valorisé en exposition. On n’est pas en académie mais c’est juste qu’un prof est là et leur explique les techniques, et certaines peuvent faire peur à des jeunes qui n’ont jamais fait ça et on les met dans quelque chose de plus ludique. Mais dans les deux cas, on au- ra un produit à valoriser. Je reviens avec mon histoire de porte : ben à chaque fois qu’ils vien- nent ils le montrent à leur copains et disent : « Regarde, ça c’est moi qui l’ai fait ». Disons que si c’était juste pour eux, ça ne les valoriseraient pas, dès que c’est le groupe c’est plus impor- tant.

La reconnaissance ne va pas de soi. L’un de nos interlocuteurs pointe les limites inhérentes à un envi- ronnement peu enclin à l’indulgence ou à la compréhension à l’égard du travail éducatif mené par la MJ.

OLIVIER : Souvent, la MJ n’a pas eu une bonne réputation notamment parce qu’on a un pu- blic précaire, des jeunes qui font des conneries à l’extérieur. C’est l’époque des pétards et s’ils lancent des pétards devant chez nous, on dit que c’est à cause de nous, même si au final, ce n’est pas parce qu’ils sont devant chez moi qu’ils viennent de chez moi. Il y aussi une fois où une dame avait été choquée parce qu’un jeune était sorti de la MJ par la fenêtre. Alors oui, d’accord, il est sorti par là, ça se fait pas mais voilà... est-ce que pour autant la MJ fait mal son travail ? L’image qu’on renvoie tient à quelques détails sur lesquels on n’a pas toujours prise... Si on résume mon travail par le fait que « mon » jeune sort par la fenêtre, ça ne va pas, ils n’ont rien compris... Voilà, c’est la MJ ils sont cons, ils ne savent pas gérer leurs jeunes et on aura ça sur notre façade, c’est des réactions qu’on a...

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Ce serait aux animateurs d’une Maison de Jeunes de contribuer à la reconnaissance de la valeur des productions artistiques des jeunes, surtout à l’égard d’autres intervenants qui entretiennent parfois des relations plus conflictuelles avec eux.

MADY : Il y a eu un moment donné, des jeunes qui posaient des soucis… j’avais bien aimé faire ça d’ailleurs… ils étaient partis en IPPJ. Et en fait, les policiers étaient venus voir où ces jeunes étaient et ils étaient bien avec moi, et alors, j’en avais profité : « Mais, écoutez… » – avant j’avais un atelier écriture rap/slam, parce qu’avec eux, c’était la seule manière de s’exprimer et j’avais enregistré et je kiffais ça. Donc j’ai fait écouter ça aux policiers, et ils m’ont dit : « Oh, mais c’est bien ! ». Puis je leur dis : « Ben ouais, ils font pas que de la merde ! ».

Il s’agirait aussi de lutter contre la méconnaissance de l’action des Maisons de Jeunes dans le grand public : trop souvent, elles sont confondues avec les clubs de jeunes.

MADY : Mais en même temps, si tout le monde connaissait le monde de la MJ, je n’aurais plus aucune bataille et je me ferais chier… je ferais autre chose. C’est vrai que ça fait partie du boulot, d’aller à gauche et à droite, de défendre. C’est un peu du militantisme (MADY).

Notre interlocutrice aborde l’un des thèmes soulevés avec les intervenants du secteur culturel que nous avions rencontré : le processus est-il plus important que le résultat lui-même ?

MADY : Si on fait de la photo, c’est qu’on a avec nous quelqu’un qui s’y connait. Si cette per- sonne trouve que les photos ne sont pas bien, il faut permettre au jeune de revenir au projet, s’il veut les exposer. Mais ce n’est pas à nous de dire que c’est mauvais. Si les photos ne sont pas bonnes et si je lui dis qu’elles ne sont pas bien, qu’est-ce qu’il en pense ? Donc, tu vois, ça leur permet aussi d’avoir une ouverture à la critique. On ne dira pas : « On n’aime pas ce que tu as fait, on ne fait pas d’expo ». Ce serait vachement frustrant ! Ce n’est pas du scolaire. Dé- jà que le jeune vient de son plein gré. Alors, on ne va pas le frustrer dans les capacités qu’on veut lui faire développer. On renvoie alors la question : « Si les photos ne sont pas bien ou qu’il n’y a pas de photos à exposer, quid pour aujourd’hui ? Que voulez-vous faire et com- ment ? On n’est pas prêt pour l’expo ? On reporte d’un mois ? Si on le fait, qu’est-ce que ça implique ? ».

Dans les projets soutenus par la MJ, le processus semble tout aussi voire plus important que le résul- tat proprement dit. Dans la réussite comme dans l’échec du projet…

MADY : La cuisine aussi, ça pourrait être du consommatoire. « Vous venez vous inscrire et vous faites la cuisine ? Non non, vous gérez le budget, vous faites les courses ». Ce n’est pas faire de la cuisine uniquement. C’est le processus qui compte et la cuisine finalement, c’est l’aboutissement du processus et ce qui est primordial, c’est le processus.

Une année, les jeunes avaient demandé de partir en Espagne. Ca fonctionne fort au feeling et je savais que ça allait capoter. C’était un groupe de jeunes et pour le processus, ça n’allait pas aller, je le sentais : il y avait déjà beaucoup de frictions pour les jeunes. Quand on a commencé à mettre le processus en place, après 3-4 mois, on s’est rendu compte que ça n’allait pas aller. Mais c’est pas grave : au moins, on y a été. Ce n’est pas le résultat qui compte, c’est le proces-

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sus, et les frictions, les choses qui ne vont pas, ça permet de faire évoluer le jeune. Il y en avait qui n’avait pas du tout envie de travailler pour la collectivité. Donc ça aussi, ils se sont rendu compte de leurs propres limites et compétences. C’est quelque chose qui les renforce ; c’est bénéfique pour eux : il n’y a pas d’échecs. En fait, nous les MJ on est des laboratoires : essais- erreurs. On est là pour essayer que ça marche mieux ou si on a envie que ça marche mieux, de faire en sorte que ça marche.

L’apprentissage doit donc s’inscrire dans un processus pas trop lisse : « si tout coule et qu’on arrive au bout », rien n’aura été appris, et les choses susciteront de l’ennui… Le modèle scolaire n’est pas de mise : ni dans l’apprentissage ni dans le contrôle des règles fixées.

MADY : Les punitions, mois, ça ne m’a jamais parlé. Donc je suis plus du genre : sensibilisa- tion aux CRACS. Avons-nous envie que ça aille mieux ? C’est pas comme à l’école où j’ai la science et c’est à toi de la bouffer telle que je te l’ai donnée. Je permets au jeune de me dire : « Oh ! Stop, là ! Tu exagères » ou « Je ne me sens pas bien ». C’est super génial, pace que les jeunes savent comment tu es et ils ont confiance, ils savent comment tu peux réagir et t’aborder, et il est de même dans l’autre sens : pas les prendre pour des débiles qui ne savent rien. On fait quand même partie de l’éducation permanente. Par exemple, en musique ici, ils n’ont pas besoin d’avoir fait du solfège. On fait de la musique autrement.