• Aucun résultat trouvé

Une dernière expérience est celle qu’un de nos interlocuteurs, actif dans un mouvement d’éducation permanente, a vécue à Andenne, dans une cité sociale où une fontaine y a été créée.

JOSEPH : J’ai vécu sept ans là, quand je suis arrivé à Andenne. Et on a créé une fontaine avec les enfants, dans le quartier de Peu d’Eau, une cité sociale. Parce que la ville ici était très four- nisseuse en terre cuite, il y a eu quelques fontaines extraordinaires qui ont été faites par un ar- tiste. Et on s’est inspiré de Craco, cet artiste, pour se dire qu’on allait faire la même chose. Il y avait encore une usine métallique, donc on a utilisé un support métallique en faisant travailler une usine du coin et on a travaillé avec une usine… ce qu’on appelait « la piperie » parce qu’ils faisaient des pipes en terre, maintenant c’est un fabricant de panneaux solaires… ils tra- vaillaient la terre cuite et ils faisaient autre chose, ils vendaient autre chose que des pipes parce qu’effectivement… on disait même à Andenne que Clinton serait venu se faire enterrer à puisqu’on faisait même des pipes en terre… mais ça n’a rien à voir ! Mais on a travaillé avec les enfants, ça a pris plusieurs années… et on est constitué en CEC depuis près de 20 ans, au départ d’une bibliothèque de rue… l’idée, c’est qu’on a construit ça et avec la commune, on a pu faire plein de choses. Et notamment par exemple, moi j’habitais le building là… c’est une grande cité…

IRENE : Et ça grandit, ça s’agrandit encore…

JOSEPH : Je ne sais pas combien d’habitants… et ça reconstruit encore. Et là, il y a une dalle en béton, en macadam. Quand on est arrivé là, les enfants n’avaient pas du tout de place. On avait fait avec eux un livre, un bête livre qui… donc ça c’est il y a 25 ans… simplement, ou l’ouvrait et il y avait quelques pages et les enfants avaient dessiné la cité telle qu’on la voit, la cité telle qu’on la voudrait et la cité telle qu’on la rêve. Et là dedans, il y avait de la place pour les enfants. Tu vois, d’abord ce qu’on avait, c’est des bagnoles qui roulent dans tous les sens, des motos qui vont dans tous les sens et puis nous les enfants qui courent, qui se sauvent, qui ne peuvent pas sortir. Et puis tout doucement quand on ouvrait les pages, on avait autre chose,

51

tu vois. Et en fait, avec la commune, on a fait des expos, etc. et on a pu avoir un support de la Fondation Roi Baudouin pour faire une dalle multisports et en même temps une plaine de jeux à côté. Et la commune a été d’accord d’investir aussi. Et la cité aussi, puisqu’à cette époque-là, les cités et les communes étaient un peu plus jumelées qu’aujourd’hui. Et donc c’était l’échevin des affaires sociales qui s’occupait de la cité. Et à partir de là, dans la ville d’Andenne, le bourgmestre avait trouvé l’idée intéressante, et à partir de là, il a fait plein d’espaces multisports un peu partout, en disant que c’était fichtrement important qu’il y ait des espaces pour les jeunes, pour les enfants. Et en fait, c’est parti d’un constat de gamins de 6-7 ans ou de 10 ans de la cité qui ont construit ensemble quelque chose pour dire : « On veut ça ». JFG : Il y a un point de départ. Le point de départ, c’est le fait que vous soyez présents.

JOSEPH : Bien évidemment. Evidemment, sinon ça ne se serait pas fait.

JFG : Et quand je dis « présent », ce n’était pas simplement là, il y avait autre chose.

JOSEPH : Il y avait une organisation : les enfants se rassemblaient. Donc l’idée, c’est le ras- semblement. Pour nous, ce qui est fondamental… donc demander à quelqu’un… d’ailleurs, nous, on est en colère en permanence contre… mais tu le sais mieux que moi, c’est ton boulot, j’imagine…

JFG : D’être en colère (rires) ?

JOSEPH : Non, non, la collecte d’informations. C’est clair que quand on fait un micro-trottoir, notamment avec quelqu’un qui est sans-abri, on a une parole qui est : « Foutez-moi la paix, je suis bien ici ». Quand on se trouve avec cinq sans-abri ou d’autres qui ont connu la rue, on dit : « Merde, c’est la merde ! Il faut qu’on arrête ce merdier. On ne peut plus vivre ça ». Ce n’est pas du tout la même parole, et ce n’est pas la même mobilisation. Parce que le gars qui est tout seul, il sait qu’il a en face de lui des gens qui vont le condamner et qui vont le mettre dans une situation pire, et il n’a pas confiance. Et tant qu’il est là, il est encore quelque part. S’il est fragilisé par la rencontre avec l’autre ou s’il a peur de l’autre, il va essayer de sauver sa peau. Et c’est normal. Son discours ne sera pas du tout le même. Et tandis que s’il a le temps, et c’est ça pour nous qui est fondamental… qui était déjà ce que je faisais avec ATD à Etalle et que je continue à faire ici, et qui se fait à plusieurs endroits… c’est de permettre à des gens de construire une parole ensemble, librement, en faisant des constats. Et en prenant le temps de constats. En faisant des analyses de leurs constats, en se demandant comment on pourrait faire. En invitant parfois un expert aussi.

JFG : Et les constats ici, vous étiez avec des enfants. JOSEPH : Là on était avec des enfants.

JFG : Donc tu n’es pas avec des adultes, tu es avec une parole d’enfants.

JOSEPH : Tu as quelques animateurs et des enfants mais c’est pareil, c’est la même chose. Tu as un groupe de jeunes qui se réunit, il y a un groupe de gamins qui se réunit, de 12-18 ans, à Namur, ici c’est plutôt des 18-25 ans. L’intérêt, c’est de se dire : « Tiens. Qu’est-ce qu’on constate ? ».

IRENE : Au départ de ce qu’on vit, quoi.

JOSEPH : De ce qu’on vit. Et qu’est-ce qu’on en pense ? Comment est-ce qu’on va analyser ça ? Avec qui on va pouvoir un peu avancer ? Comment est-ce qu’on va questionner ça ? Et alors, aller voir d’autres groupes. Mais d’abord on va devoir construire, se mettre ensemble, se rassembler.

52 IRENE : Se rassembler. Et là c’est un début.

JOSEPH : Parce que trop de choses divisent… Et pas se rassembler pour trier des couvertures ou pour aller chercher des sachets. Se rassembler avec comme seul intérêt d’être ensemble pour construire une parole.

(…) Ce qui est intéressant, c’est que la fontaine, elle est venue après dix ans. JFG : Donc, on s’inscrit dans la durée.

JOSEPH : Toujours, toujours. JFG : Et dans la permanence.

JOSEPH : Oui. Et alors dans une fidélité. Ca veut dire que même s’il n’y a plus personne, on est là avec des livres. Parce qu’à un moment donné, il peut arriver qu’il y ait une tension, qu’il y ait eu des bagarres. Mais nous, on reste là.

IRENE : On reste là. (…)

JOSEPH : Le premier jour que je suis arrivé dans le quartier, à Peu d’Eau, je me suis dit : « Mais merde, les pauvres, on les a mis où il n’y a pas d’eau. Il leur faut une fontaine ». JFG : Tu t’es dit cela le premier jour ?

JOSEPH : Oui, le premier jour. Dix ans après, il y a une fontaine… C’est moi qui y ai pensé, les enfants ils n’auraient jamais imaginé faire une fontaine. C’est clair…

JFG : C’est aussi toute une symbolique…

JOSEPH : Oui, mais une fontaine à Peu d’Eau, c’est dire merde au pouvoir ! (…) Mais ce n’est pas né du groupe. Ce qui est né… parce que les enfants n’ont jamais dessiné une fon- taine. Ce que les enfants voulaient, c’était des jeux, des terrains de sport, une maison chez eux où on ne les emmerde pas. Mais nous, on peut induire, si tu veux (…) En fait, tu touches la vie, tu touches l’eau, tu es tout le temps là-dedans. Et en plus l’eau jaillit du livre… Et c’est dans l’herbe… Non, moi je pense que j’ai vu « Peu d’Eau » et je me suis dit : « Il faut une fon- taine ». Et en plus dans la ville, il y a plein de fontaines : une de Charles Martel, et plein d’autres de Craco dans la ville.

53

2.- Analyse transversale