• Aucun résultat trouvé

Les activités proposées aux jeunes, y compris ceux qui vivent dans des milieux défavorisés, doivent- elles être choisies, ou laissées à l’initiative des jeunes eux-mêmes ?

Dans le cadre du Centre culturel, l’offre d’activités est centrée sur des ateliers et des stages.

WERNER : Les différents axes de travail du Centre culturel, ce sont les ateliers et les stages, où nous visons les 3-12 ans, en sachant que plus on monte dans les âges, plus on en perd. Parce que quand les enfants sont petits, ce sont les parents qui décident. C’est un peu la garde- rie malgré tout, bien que nous sommes attachés au contenu, et pas au gardiennage. Mais plus on monte en âge, plus les enfants sont autonomes et peuvent rester chez eux tout seuls. Ils ont aussi plus de répondants à l’égard des parents et peuvent décider tout seuls. Au-dessus de 12 ans, nous avons organisé des ateliers avec énormément de difficultés, pourtant avec des activi- tés très riches, très denses, bien encadrées, avec des contenus très originaux. Par exemple, on va travailler avec des GPS, des appareils photo numériques, de la géolocalisation en faisant des balades en VTT dans la forêt d’Anlier pour baliser des chemins, les retoucher sur ordina- teur. Donc, des choses assez élaborées. Ou alors, créer une émission de radio en apprenant les

41

techniques de reportage, avec du matériel de reportage, en se connectant directement à l’ordinateur de la RTBF pour avoir tous les fils de l’actualité via Reuter, AFP,… des trucs ba- lèzes. Mais les 12-18, ils sont très autonomes et en ce qui concerne, nous Centre Culturel, d’eux-mêmes ils n’ont pas l’envie ni le réflexe d’aller vers quelque chose que nous organi- sons. Peut-être que nous les touchons pas par nos moyens de communication. Peut-être qu’ils sont vraiment très autonomes, qu’ils n’ont pas besoin de …, qu’ils veulent faire autre chose, qu’ils sont un peu en conflit avec tout ce qui est organisé… Le Centre Culturel, ça fait peut- être peur, trop sérieux…

A côté des stages et ateliers de vacances qui s’adressent surtout aux 3-12 ans, il y a des ateliers ouverts à l’année, où il n’y a pas de limitation d’âge. Ça va de l’adolescent à 3x20, 4x20. Avec des activités peinture, théâtre, langues. Nous avons quelques inscrits en-dessous de 20 ans, as- sez peu. Certains viennent avec leurs parents pour suivre un cours de langue ; d’autres vien- nent seuls pour un atelier de peinture. Et puis, il y a tout ce qui est indirect, via l’Académie d’Arlon qui fait des cours ici. Mais ça s’arrête au-dessus de 14 ans. Dans tout ce qui touche à la citoyenneté, aux mouvements citoyens, généralement on a peu de jeunes. Ou quand ils viennent, c’est ponctuel, en accompagnant un adulte. Dans tout ce qui relève du théâtre- diffusion ou de la musique, nous visons tous les publics mais nous nous rendons compte qu’en fréquentation, à part des choses spécifiques comme l’impro ou certains types de concerts, il y a peu de jeunes. Et quand il s’agit de prêt de matériel, ne se tournent vers nous que les orga- nismes un peu structurés, comme les scouts et les patros. Et nous les aidons, pour la logistique et la planification, les assurances, les courriers à envoyer,…

Oui mais… avec les stages, ne restons-nous pas rivés à une référence scolaire ? Le format convient-il à des initiatives visant la participation citoyenne ? Ne faut-il pas nécessairement quitter les murs, voir autre chose ? Un coup d’œil sur d’autres initiatives peut nous permettre de dégager certaines des conditions requises pour que « ça marche »…

Pour l’un de nos interlocuteurs, qui connaît bien l’école puisqu’il est détaché pédagogique, il n’y a pas de doute : il faut « casser la structure », et plus spécifiquement, mettre à distance la référence scolaire.

CÉLESTIN : Ne pas hésiter non plus à casser « la structure ». A l’école, quand on déplace les bancs, les gosses sont déjà partants à ce moment-là. Ils savent qu’on va faire autre chose et sont donc prêts à y aller. Mais je pense que l’école n’est pas encore prête à casser son modèle qu’elle tire depuis deux siècles, et c’est en s’ouvrant à des associations comme la nôtre qu’on peut créer des fêlures dans ce système scolaire en Belgique et d’autres pays. On est dans un modèle où on produit des bons élèves pour la rentabilité : est-ce qu’on ne va pas dans le mur pour ça ? Ça ne veut pas dire que les bons élèves, il faut les mettre de côté. Je parle de ceux qui ne se retrouvent pas dans le modèle scolaire et qui ont aussi plein de choses à dire. Une école ne leur permet pas de s’exprimer.

42

Synthèse

Nous reprenons quelques-unes des réflexions échangées lors de la formation du 1er juin 2015.

Le constat retenu :

Des jeunes issus de milieux défavorisés souffrent d’un manque de confiance en soi, d’estime de soi et de reconnaissance.

Leur vision du monde et des autres serait empreinte d’une « peur », sentiment dont l’expression paraît interdite au sein de leur groupe d’appartenance, sous peine de passer pour un « naze », pour un « faible », et qui laisse la place à la colère.

Cette peur serait elle-même liée au fonctionnement du groupe des pairs et renforcée par une socialisation familiale : il faut toujours s’affirmer pour exister. Sinon, on peut passer « pour un con ». Et dès lors être rejeté par le groupe. Or il paraît bien difficile pour ces jeunes d’être seuls, de faire quelque chose seuls.

Un autre sentiment est apparu à la lecture des entretiens réalisés : le mépris. La peur et le mépris sont intimement liés au regard des autres.

L’hypothèse soulevée :

Les parents, en tant qu’adultes, seraient les premiers « autres significatifs » (notion sociolo- gique qui désigne ceux qui médiatisent le monde aux yeux de l’enfant lors de la socialisation initiale, ceux qui lui transmettent une vision du monde et une vision de qui il est dans le monde, c’est-à-dire son identité).

Mais les parents peuvent être défaillants : nous avons notamment souligné qu’ils ne parve- naient pas toujours à mettre un « halte-là », à reconnaître ou à valoriser les réalisations de leur enfant (par exemple, les truites abandonnées dans un évier…).

Les enfants et les jeunes évolueraient donc dans un contexte générant une fragilité.

La référence à un parent supposerait la présence d’un adulte bienveillant et accompagnant. La bienveillance suppose une capacité ou une fonction de protection, de réflexion, d’écoute, de transmission, de partage et de cadre.

Le cadre fait ici référence aux normes de conduite et ces normes sont hiérarchisées, ce qui suppose qu’il faut apprendre à distinguer entre les petites bêtises et les grosses conneries.

L’accompagnement suppose un engagement effectif dans l’action, mais aussi une ca- pacité de soutenir le passage de l’intention à l’action.

La relation à l’adulte bienveillant et accompagnant se double de dimensions affec- tives et émotionnelles ; elle est aussi singulière, c’est-à-dire indexée sur les singulari- tés et les individualités.

43 Les questions posées :

Un projet de création artistique et culturelle, à dimension collective, peut-il contribuer à ins- taller en chacun des participants un sentiment de confiance en soi, d’estime de soi et de re- connaissance ?

Dans quelle mesure le « groupe » (nous avons distingué entre groupe, clan, bande et équipe) peut-il constituer une ressource pour chacune des individualités ?

Un projet qui vise à poser les bases non seulement d’un développement personnel mais aussi d’un engagement collectif et « citoyen », doit-il aboutir à « tranquilliser » les individus ou à mobiliser le groupe ?

Dès lors qu’il s’agit d’un projet collectif, axé sur la création, un « défi » se pose aux partici- pants. Et ce défi a une double dimension : il s’inscrit dans la durée et à ce titre a un caractère processuel ; il suppose une expérimentation constituée d’essais, d’échecs (il nous faudra en discuter…), d’apprentissage, de persévérance et débouchant, in fine, sur la possibilité d’un transfert des aptitudes acquises au cours du projet à d’autres sphères de l’existence.

Quel peut être le moteur de ce processus d’engagement collectif ?

Nous avons envisagé qu’un projet commun, c’est-à-dire partagé par tous, devait orienter l’action. Mais nous avons questionné les conditions requises pour que ce projet fonctionne, et notamment l’identification préalable des attentes, des besoins, des demandes et des po- tentialités des jeunes auxquels il s’adresse ou avec lesquels il est conçu et mené.

Mais compte tenu de la nature même du projet (création artistique et culturelle) et de la por- tée éducative de ce projet, il est apparu que la présence d’un animateur compétent est re- quise : il pourrait incarner au cœur même de ce projet la figure de l’adulte bienveillant et ac- compagnant.