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4.4 Prise de risques et droit à l’erreur ?

Prendre des risques n’entraîne pas nécessairement de sanctions, dès lors qu’il s’agit de création artis- tique. Contrairement à l’école où la notion de faute supplante celle d’erreur, où la faute est dès lors sanctionnée, il n’y aurait dans la création artistique ni faute ni erreur. Il nous faut adopter une autre perspective : celle de tentative.

YOANN : Dans le travail de création, un prof participait à côté des élèves et puis il était inter- venu devant les idées débridées des jeunes : « Allez, soyez un peu sérieux, quoi ! ». Ca, c’est quelqu’un qui est victime du système.

JFG : Qui est un prof, quoi.

YOANN : Non. Non. Je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas d’accord.

JFG : Je parle ici des essais et des erreurs. On a le droit d’essayer, donc on peut se tromper. On a le droit de commettre des erreurs.

73 JFG : Oui ? Ce n’est pas une faute à l’école ? YOANN : Non. Pourquoi ?

JFG : Moi qui forme des profs, je trouve qu’on passe vite de l’erreur à la faute, et qu’on oublie que c’est avec les erreurs qu’on peut travailler…

YOANN : Exactement ! C’est en se cassant la figure qu’on apprend ! JFG : Mais ça, ce n’est pas une idée très répandue dans le monde scolaire.

YOANN : Mais c’est ça qu’il faut changer ! Parce que c’est un peu la même chose… une de mes collègues qui travaille au PSE (promotion de la santé à l’école) est allée dans l’école. Heureusement qu’on avait, pour une fois, un sous-directeur qui est metteur en scène dans ses temps perdus, qui croit en la culture, dans le sport. Mais quand on a été pour rencontrer des profs, les profs attendaient quoi ? Qu’on coupe des têtes, hein ! On renvoie, on renvoie,… Pose problème ? On renvoie…

(…)

JFG : Donc dans l’animation qu’on fait, ce n’est pas de l’école… YOANN : Il y a du pédagogique.

JFG : Si on essaye, on a le droit de se planter ?

CHARLES : Complètement. Alors ça fait partie du processus. J’y arrive pas, je retiens pas un texte. Ah ! On va essayer de trouver un moyen, ensemble, pour que ton texte soit su… autre- ment… on va faire autrement, ne te tracasse pas. Bien sûr.

JFG : Et dans les expériences dont nous avons parlé, est-ce que les jeunes comprenaient qu’ils avaient le droit de se planter ? Et que parfois même il valait mieux se planter quand on es- saye… Est-ce que c’est une idée dont ils étaient proches ou bien est-ce qu’ils se freinent, parce qu’ils n’ont pas envie…

CHARLES : Ils ont peur, de se planter. Mais se planter, c’est en toute sécurité. On va travail- ler uniquement sur ce qu’ils produisent de positif. Si un jeune me produit 1% de bon, je vais mettre mon énergie sur 1%, parce que c’est comme la tache d’huile sur l’eau… ça fera très deux, trois, quatre, très vite… mais très vite. « Moi, j’ai raté ça, j’ai raté ça, j’ai raté ça ». « Oui. C’est vrai. Mais ça ? Si on en parlait un peu ? ». « Oui, mais je ne l’ai pas fait exprès ». « Deux fois de suite ? Alors, là, tu es doué ! ». Un peu d’humour… « Bon, ça te dirait de rées- sayer ce coup-là, parce que moi, ça m’intéresse ». On va travailler au départ de ce qui a mar- ché. Et ils disent oui. Ils disent oui.

JFG : Nous avons évoqué la prise de risques, et les « conneries » que l’on peut être amené à faire. Est-ce que dans le travail de création artistique, on a le droit de faire des conneries ? Et est-ce que l’animateur va faciliter le constat : « Ah, vous voyez, c’était une connerie… » ? OCTAVE : Là, on est de nouveau sur un fil.

JFG : Ici, ce dont il est question, c’est du statut de l’erreur. A l’école, l’erreur n’est pas vrai- ment admise. Il s’agit plutôt de fautes…

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OCTAVE : Oui, oui… mais je vais dire qu’en création artistique, l’erreur… je ne parlerai pas d’erreur, mais de tentative de faire quelque chose et que l’artiste, il va chaque fois rebondir sur ce qu’il a en face de lui. Il rebondit. Il fait rebondir le jeune. On ne peut pas se satisfaire… mais là aussi, il y a une manière de faire… Moi, je ne suis pas peintre, mais enfin quand je dois travailler en peinture, je peux le faire. Parce que je regarde et je me fais raconter. Quand on m’a raconté, je dis : « Tiens, pour moi, je trouve que… ». Le jeune va trouver que… Si ce qu’il me dit qu’il a comme impression n’est pas ce que je vois, je lui dis : « Tu poses le défi toi-même par rapport à ce que tu fais. Est-ce que tu ne ferais pas ce que tu viens de dire ? ». S’il ne dit rien et qu’il est content comme ça, je vais voir avec lui, on va lancer des idées ou avec les autres : « Tiens. Regardez un peu ce qu’il a dessiné. Qu’est-ce que vous en pensez ? Qu’est-ce qu’on pourrait… ». Donc il y a tout le temps dans la création artistique une manière de mettre les gens en demeure d’aller au-delà. Mais ensemble aussi ?

JFG : Mais est-ce qu’on est autorisé à déchirer la feuille ? A recommencer ? A faire demi- tour ?

OCTAVE : Oui. On pourrait démarrer avec un… Enfin, moi, j’ai ça plus d’une fois dans l’atelier. C’est assez marrant : il y a un atelier peinture et un atelier 3D, sculpture. Et un jour, en même temps, ils ouvrent la porte et ils sortent une œuvre qu’ils avaient réalisée. C’était la même. C’était un grand miroir, sur lequel avec des modules genre Duplo, Lego et petits bon- hommes en tout genre, ils avaient reconstitué une ville tout à fait loufoque, comme on peut en voir dans les dessins animés. Et je me souviens qu’elles sont restées dans le corridor l’une à côté de l’autre pendant des années. Parce que les enfants rêvaient devant ça… Mais, encore une fois, dans l’un comme dans l’autre, on n’a pas dit : « Ici c’est de la sculpture, ici c’est de la peinture ». Voilà, on est parti sur des choses… Je me souviens que de la ludothèque j’avais remonté des boîtes de jeu périmées, dont on ne se servait plus. Ca par exemple, c’est quelque chose, c’est le boulot de l’artiste, c’est mettre les gens en contact avec la matière, la richesse de la couleur, de la matière. Ou bien si c’est un artiste musicien, c’est les mettre en contact avec la richesse des sons. Je me souviens d’un de mes animateurs qui venait chaque fois avec un instrument de musique différent. Il le faisait entendre aux enfants, c’est tout. Il n’y a pas d’autre ambition que celle-là.

MILO : On a le droit d’essayer, de recommencer. Mais parfois aussi aboutir… parce qu’on ne peut pas se limiter à : « C’est moche. J’ai plus envie… ». Et l’imprévu, c’est parfois cela. Et il faut alors repartir : « Allez, on va jusqu’au bout ! On termine »…

JFG : Comment installer cette volonté ? Que faire avec ceux qui s’essoufflent en cours d’aventure ?

MILO : Comment parfois leur redonner un nouveau rôle, comment reprendre… tout le monde ne trouve pas toujours aussi facilement le travail à faire au sein d’un groupe. C’est comment lui attribuer, ou réfléchir pour qu’il puisse… ne pas quitter. Mais à la fois faire des éloigne- ments, ce n’est pas négatif non plus. Dans le projet, on peut faire des choses parallèles et puis revenir. L’échec n’est pas là parce que je me suis arrêté à un moment donné, que ce jour-là je n’avais pas envie de le faire. On peut faire un truc plus personnel, en se mettant à une table, et puis après réintégrer le groupe. C’est aussi cette fluidité-là qui est importante. Un groupe, c’est comme ça : ce n’est jamais tout clair. On peut faire en sorte qu’être sur le côté ne signifie pas être exclu du groupe.

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Les travailleurs de LST mettent l’accent sur les conditions requises pour que l’échec puisse déboucher sur un apprentissage.

JOSEPH : Tu ne peux pas oser rater avec quelqu’un en qui tu n’as pas confiance. Chez nous, les gens peuvent oser rater. Il se trouve qu’on a le droit à l’échec. Mais en même temps… je leur montre ce qu’on va faire, avant j’en fais un ou deux… Je le fais, avant et je dis que les carreaux, on peut les enlever. J’utilise la technique, je le fais. Et je leur dis : « Celui-là, c’est moi qui l’ai fait ». Et pour la fontaine, c’était la même chose. Quand j’arrive, j’ai toujours quelque chose…

IRENE : Et qu’on a testé avant…

JOSEPH : Et un truc où je montre mes propres limites, qu’il y a tels défauts… Je montre que j’ai fait ça à partir de ça…

(…) L’idée, c’est qu’il ne faut pas que les gens aient l’impression d’être face à un échec. Et par exemple, un jour ici dans les jeunes, il y a eu une grosse bagarre. Un gars a tapé sur une fille. Un coup de poing. C’était un gars assez violent. C’était dur. Et puis D m’a sonné, parce qu’elle était toute seule avec… Je viens… Et puis on est arrivé à ce que le gars puisse s’excuser et se remette autour de la table… C’est un gars que les flics sont venus chercher, donc c’est pas simple… C’est un gars hyper difficile, hyper violent. J’ai pu lui dire : « Mais, merde ! Sur une femme ! Tu veux taper sur moi, ça va… mais t’oserais pas, mais… »

IRENE : Et moi j’étais en train de dire : « Mais qu’est-ce qu’il lui raconte ? »

JOSEPH : Et c’était impressionnant, hein. Et de l’entendre regretter, vraiment. Et alors elle a été à l’hôpital, porter plainte. Tout a continué à fonctionner. Mais on arrive à ça… laisser la police, les flics fonctionner, mais on ne se mêle pas du tout de ça. Mais ce qui nous regarde, c’est ce qui se passe dans l’atelier chez nous et quand les gars viennent, il faut qu’on en redis- cute, quoi. Mais ici, on est quand même allé à l’hôpital avec la gamine… enfin, elle avait 20 ans… parce qu’elle avait rameuté toute la famille, le père, le beau-frère et tout ça… parce que je me disais : « Mais qu’est-ce que les parents vont lancer comme merdier là-dedans ! ». Il faut qu’on soit aux urgences avec elle.