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LES TROUBLES SOMATOFORMES

C - DISCUSSION A PROPOS DU SYNDROME TRAUMATIQUE DISSOCIATIF ET PHOBIQUE

2. LES TROUBLES SOMATOFORMES

Les troubles somatoformes sont un ensemble de troubles comprenant des symptômes somatiques qui laissent penser que le sujet est atteint d'une maladie physique, mais pour lesquels aucune étiologie organique ne peut être trouvée. De ce fait, il y a une présomption forte que des mécanismes psychologiques soient à l'origine de ces troubles. Les troubles somatoformes regroupent dans les classifications américaines des troubles mentaux des troubles clairement délimités (somatisation, conversion et hypocondrie) mais aussi des troubles aux contours plus flous (trouble somatoforme douloureux, trouble somatoforme indifférencié, dysmorphophobie et trouble somatoforme non spécifié autrement). Le trouble Somatisation, avec son cortège de troubles physiques multiples sans substrat organique évident - dans les sphères gastro-intestinales, cardio-respiratoires, pseudo-neurologiques, gynécologiques, ou de l'appareil locomoteur - recouvre le syndrome que Briquet a décrit dans son Traité Clinique et Thérapeutique de l'Hystérie (1859) et qu'on appelle dorénavant "Syndrome de Briquet". La conversion, altération des capacités physiques sans substrat organique elle aussi, appartient au même champ que la somatisation mais se différencie d'elle par son caractère monosymptomatique et son plus grand symbolisme. La conversion se distingue des manifestations somatiques observées dans ce que Freud appelait les névroses actuelles, à cause du recours à une médiation psychologique. Cette distinction dénote la valeur symbolique du symptôme de conversion qui exprime le conflit sous-jacent.

Pour expliquer la formation des symptômes de conversion, des travaux récents mettent en valeur des mécanismes cognitifs dissociatifs proches de ceux mis en jeu dans l'hypnose (Hilgarg 1977). La catégorie "trouble somatoforme indifférencié" a été créée comme une catégorie résiduelle. Il s'agit de sujets qui présentent une somatisation persistante qui ne correspond pas aux critères du trouble somatisation. En effet le trouble somatisation requiert la présence de multiples symptômes. De son côté, le diagnostic de "trouble somatoforme douloureux" ne préjuge pas de l'origine psychogène ou organique de la douleur, mais résulte du fait que le niveau de la douleur est manifestement excessif au vu de ce que l'on a découvert sur le plan physique. L'hypocondrie et la dysmorphophobie apparaissent encore plus à part des autres troubles somatoformes notamment parce qu'ils sont plus une crainte qu'un ressenti, c'est-à-dire plus une phobie qu'un symptôme somatique. L'hypocondrie est plus la crainte d'avoir contracté une maladie - par exemple le SIDA chez nos victimes de viol - c'est-à-dire une phobie de maladie, que la plainte concernant la présence de symptômes somatiques - une douleur par exemple - comme il en existe dans le trouble Somatisation. Cela met déjà l'hypocondrie un peu en porte-à-faux parmi les troubles somatoformes, mais avec la dysmorphophobie on a affaire à un trouble auquel il est tout à fait difficile de trouver une place parmi eux. C'est dire l'hétérogénéité de ces manifestations qui ont trait au corps.

Que penser de cette catégorie "troubles somatoformes" qui s'étend de la dysmorphophobie et l'hypocondrie à la somatisation et à la conversion ?

Pendant longtemps, les manifestations somatoformes comme celles des troubles somatisation et conversion ont été considérées comme des symptômes de la névrose hystérique, mais ont été confondues avec un type de personnalité où la détresse est exagérée et amplifiée, la "personnalité hystérique". Des travaux ont montré que les symptômes hystériques, c'est-à-dire la "névrose hystérique", et la personnalité histrionique ne coïncidaient pas (Lempérière et al. 1965). C'est dans le même mouvement critique que les classifications américaines des troubles mentaux (DSM-III, DSM-III-R, DSM-IV) ont voulu démembrer, aussi, la névrose hystérique en distinguant radicalement les troubles selon qu'ils avaient une expression somatique, c'est-à-dire physique (conversion, somatisations), ou une expression psychique (états seconds, conscience hypnoïde et autres états dissociatifs). La classification de l'OMS, la CIM-10, amorce un mouvement inverse en regroupant plusieurs de ces troubles sous une même rubrique, "Troubles Névrotiques". Ce regroupement emporte l'adhésion de nombre de spécialistes américains du traumatisme psychique. Cette évolution à rebours est aussi en accord avec l'expérience clinique de nos anciens. Pour eux, le choix du symptôme, physique ou psychique, est très lié à des facteurs socioculturels et à des modes parfois épidémiques sur lesquels les patients souffrant de névrose hystérique se modèlent avec une grande plasticité.

Dans cette perspective, les troubles somatoformes doivent être conceptualisés comme des troubles dissociatifs exprimant une dissociation somato-psychique alors que les autres troubles dissociatifs sont des dissociations intra-psychiques.

L'appartenance de troubles mentaux à expression somatique au champ des troubles post-traumatiques apparaît avec de plus en plus d'évidence.

Somatisations et troubles psychosomatiques avaient été repérés comme quasiment universels chez des victimes de traumatismes sévères comme les survivants des camps de concentration nazis. Les troubles somatoformes ont été couramment observés chez des enfants peu après un abus sexuel, et chez des adultes longtemps après l'abus sexuel (Dixon et al. 1978 ; Meiselman 1978 ; Steele et Alexander 1981 ; Herman 1981 ; Adams-Tucker 1982 ; Goodwin 1982 ; Gelinas 1983 ; Browne et Finkelhor 1986 ; Finkelhor 1987a). Une étude de cinquante-sept patients présentant un symptôme de conversion diagnostiqué comme tel par psychiatres, internistes et neurologues d'un hôpital général a montré que 25% des patientes avaient des antécédents d'inceste (Lewis et Berman 1965). Des études de cas ont décrit, en particulier chez les filles à l'adolescence, un lien entre les pseudo-crises épileptiques hystériques et les antécédents de traumatismes sexuels, notamment de viols incestueux (Liske et Forster 1964 ; Standage 1975 ; Goodwin et al. 1979 ; Gross 1979 ; Labarbera et Dozier 1980). Dans un travail récent, soixante femmes souffrant d'un trouble Somatisation ont été comparées à trente et une femmes présentant un trouble affectif. Un nombre significativement plus important (55%) de somatisantes ont rapporté avoir été abusées sexuellement avant l'âge de dix-huit ans, que les témoins (16%) (Morrison 1989). Une autre évaluation clinique a été récemment

effectuée sur quatre-vingt-dix-neuf patientes psychiatriques qui ont eu des plaintes somatiques. Elle a porté sur le syndrome de Briquet, les troubles dissociatifs, l'abus sexuel dans l'enfance et à l'âge adulte, l'abus physique et l'abus émotionnel dans l'enfance. Le syndrome de Briquet, la dissociation et les abus étaient significativement associés (Pribor et al. 1993). Dans notre enquête prospective sur la cohorte des cent sujets violés de Tours, les troubles somatoformes sont présents après le viol chez près des deux tiers des victimes et sont des troubles significativement liés à la survenue d'un Syndrome Secondaire à un Stress Traumatique (PTSD) chronique. Ce résultat remet en valeur la fréquente origine traumatique des différentes formes de somatisations.