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LES TROUBLES DISSOCIATIFS AU SENS DE PIERRE JANET

C - DISCUSSION A PROPOS DU SYNDROME TRAUMATIQUE DISSOCIATIF ET PHOBIQUE

1. LES TROUBLES DISSOCIATIFS AU SENS DE PIERRE JANET

Pour comprendre ce qui est en jeu avec le concept de dissociation, on peut se référer à celui d'inconscient qui a été beaucoup plus utilisé dans notre siècle. En effet, le concept de dissociation subsume celui d'inconscient et en fait un cas particulier. La construction de la première topique de la psycha-nalyse (système conscient - inconscient) s'est inscrite dans le courant qui s'atta-quait à l'idée reçue de l'unité du psychisme et qui proposait des modèles de dualité du psychisme. C'était le cas avec les travaux de Binet (1889-1890) qui traitait de ce sujet dans son ouvrage "Sur la double conscience". C'était aussi le point de vue qu'adoptait Pierre Janet dans "L'automatisme psychologique" (1889) quand il décrivait les "existences psychologiques successives" qui font suite à une

"désagrégation" de la personnalité. Freud, plus tard, avec sa deu-xième topique (moi - ça - surmoi) élabora, au fond, encore une nouvelle façon de se représenter la division du psychisme (Freud 1923). La dissociation de Janet est un phénomène déficitaire; la baisse de la tension psychologique, due à des facteurs constitutionnels, à des facteurs de stress ou à des traumatismes

Tableau 13. - Critères diagnostiques du trouble Identité Dissociative (ex-Personnalité Multiple) de l'Association Américaine de Psychiatrie (APA 1994).

A - La présence d'au moins deux identités ou états de personnalité distincts (chacun ayant son mode propre et relativement durable de perception, de pensée et de relation vis-à-vis de

l'environnement et de soi).

B - Au moins deux de ces identités ou états de personnalité prennent périodiquement le contrôle du comportement de la personne.

C - Incapacité de se rappeler des informations personnelles importantes qui est trop considérable pour être expliquée par un oubli ordinaire.

D - La perturbation n'est pas due aux effets physiologiques directs d'une substance (par exemple comportement chaotique ou trous de mémoire pendant une intoxication alcoolique) ou d'un trouble somatique (par exemple, crises épileptiques partielles complexes). Note : Chez les enfants, les symptômes ne sont pas attribuables à des compagnons imaginaires ou à d'autres jeux imaginaires.

conduit à la formation de fragments de personnalité, ou à une personnalité alternante si les fragments sont suffisamment cohérents. La dissociation de

Freud est une défense active ; des idées, des souvenirs, des désirs, des images sont refoulés par le moi et séparés du reste du psychisme. Une façon de figurer, en termes neuropsychologiques modernes, le refoulement freudien, est d'en faire un aiguillage qui interdit certains types de mémorisation (par exemple mémoire déclarative) tout en épargnant d'autres types de mémoire (par exemple mémoires procédurale ou non-déclarative). A dire vrai, la controverse sur le point de savoir si on a affaire à un déficit comme l'affirme Janet, ou à une défense comme le prétend Freud a moins d'utilité qu'il n'y paraît, car les deux modèles de dissociation sont opératoires. Si l'on prend l'exemple de la mémoire, ne pas penser à un événement conduira à une amnésie, que le défaut de pensée résulte d'une incapacité ou d'un interdit.

Dans la classification américaine des troubles mentaux (DSM-IV), cinq types de troubles dissociatifs sont distingués. Il s'agit de troubles affectant d'une manière ou d'un autre la mémoire, la conscience ou l'identité. Ils ont été repérés comme fréquents chez les victimes de violences sexuelles dans des études rétrospectives (Chu et Dill 1990). Ce sont principalement, l'amnésie dissociative (ou psychogène), la fugue dissociative (ou amnésique), la dépersonnalisation, et l'identité dissociative, précédemment dénommée personnalité multiple. L'amnésie dissociative est l'incapacité pour des raisons totalement psychogènes, de se rappeler un souvenir important. L'amnésie touche souvent une partie du traumatisme lui-même. La fugue dissociative implique un départ soudain du domicile ou du travail. Pendant la fugue, le sujet est incertain de son identité personnelle ou acquiert une nouvelle identité. Le trouble n'affecte pas vraiment l'orientation du sujet dans l'espace ou le temps.

Cela semble être ce qu'autrefois des auteurs comme Charcot, Pitres et Régis désignaient sous le vocable "automatisme ambulatoire". Le trouble Dépersonnalisation implique un sentiment d'étrangeté du vécu de son propre corps et de son propre fonctionnement intellectuel. Il peut s'agir, par exemple, de l'impression de regarder son corps de l'extérieur ou encore, d'être spectateur de sa propre pensée. Il s'accompagne souvent d'un sentiment d'irréalité du monde. Le trouble Identité Dissociative ou Personnalité Multiple est le plus sévère des troubles dissociatifs. Il consiste en l'existence simultanée d'identités personnelles différentes qui contrôlent tour à tour le comportement du sujet.

Etant dans un des états d'identité, le patient peut être plus ou moins amnésique de l'autre identité. Ce paroxysme des troubles dissociatifs est plus fréquent en France qu'on ne le dit souvent, comme le montre l'étude de la cohorte de Tours (Darves-Bornoz et al. 1995b). D'autres symptômes dissociatifs c'est-à-dire marquant un détachement de la réalité, peuvent être observés. Il peut s'agir d'états de transe ou de possession, d'états crépusculaires, d'états seconds ou hypnoïdes ou de stupeurs dissociatives sans rapport avec une prise de toxiques.

On peut citer aussi dans ce cadre le syndrome de Ganser. Une catégorie résiduelle, les troubles dissociatifs non spécifiés autrement, permet de donner un cadre à ces états dissociatifs divers. Contrairement à la classification

américaine des troubles mentaux, un certain nombre de dissociations motrices (notamment les conversions) sont rassemblées sous la rubrique des troubles dissociatifs dans la classification de l'Organisation Mondiale de la Santé. Pour évaluer les troubles dissociatifs il existe quelques bons instruments. La Dissociative Expériences Scale (DES ; Bernstein et Putnam 1986) permet de mesurer à l'aide d'une échelle analogique à vingt-huit items l'intensité du phénomène dissociatif considéré comme une dimension. La structure factorielle de cette échelle comprend trois facteurs principaux : amnésie, dépersonnalisation et absorption. Le Structured Clinical Interview for DSM-IV Dissociative Disorders (SCID-D ; Steinberg 1985, 1993) permet de quantifier cinq dimensions de dissociation : amnésie, dépersonnalisation, déréalisation, confusion dans l'identité et altération de l'identité, puis de diagnostiquer les troubles dissociatifs. Un autre entretien structuré, le Dissociative Disorders Interview Schedule (DDIS ; Ross 1989a ; Ross et al. 1989b) permet aussi de diagnostiquer les troubles dissociatifs et en particulier les personnalités multiples avec une bonne validité et une bonne fidélité.

Dans un échantillon de mille cinquante-cinq sujets issus de la population générale de la ville de Winnipeg au Canada, une étude a utilisé la Dissociative Experiences Scale (DES) pour évaluer le degré de dissociation de ces sujets (Ross et al. 1990). Le score moyen à la DES est à dix environ, et la médiane se situe à sept. La proportion de sujets ayant un score au-dessus de vingt est de plus de 8%. Les sujets qui ont un score de plus de trente à la DES représentent 5%. Un prolongement de cette étude, a permis d'identifier à l'aide de la DDIS que plus de 10% de la population remplissent les critères d'un des troubles dissociatifs, et qu'environ 1% de la population présente un trouble personnalité multiple secondaire à un traumatisme, et cliniquement marqué c'est-à-dire nécessitant un traitement actif (Ross 1991). La liaison des troubles dissociatifs et d'un antécédent de traumatisme est très documentée (Kluft 1985).

Ainsi, Ensink (1992) a pu montrer sur une population de victimes d'abus sexuels dans l'enfance aux Pays Bas que 55% d'entre eux avaient, avec la DES, un score supérieur à vingt, et 38% un score supérieur à trente. Le National Institute of Mental Health américain (NIMH) a étudié cent cas de personnalité multiple, et a trouvé que 97% des ces cas rapportaient avoir subi un traumatisme important dans l'enfance (Putnam et al. 1986). L'inceste était le traumatisme le plus souvent rapporté (68%), mais d'autres types de traumatisme comme les abus physiques ou sexuels extra-familiaux, ainsi que certaines formes d'abus émotionnels étaient aussi évoqués (négligence extrême, être témoin de morts violentes, extrême pauvreté).