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LA PERSONNALITE LIMITE

D - DISCUSSION A PROPOS DU SYNDROME TRAUMATIQUE DE TYPE LIMITE

1. LA PERSONNALITE LIMITE

Les états limites sont une catégorie nosologique qui a été repérée dès les années trente pour des particularités que ces patients présentaient dans une cure psychanalytique. En effet, ces cas limites ont pour particularité de

s'attaquer au cadre analytique et de présenter dans la cure, des régressions temporaires d'allure psychotique. Les descriptions des patients à pathologie limite indiquent la présence de troubles dans cinq secteurs principaux de fonctionnement : la régulation des affects, le contrôle des impulsions, le sens de la réalité, les relations interpersonnelles, et la formation de l'identité.

Depuis, beaucoup a été écrit sur ce qu'on appelle maintenant les personnalités limites. En particulier, Kernberg (1967) s'est attaché à décrire le fonctionnement psychopathologique de ces patients. Il a placé le mécanisme de clivage au centre de ce fonctionnement. Ce mécanisme, décrit par Mélanie Klein, est d'abord un clivage de l'objet en bon objet et mauvais objet, mais aussi un clivage de l'identité. Le clivage apparaît comme un mécanisme pour assurer une survie psychique à une identité incapable d'intégrer des états fragmentés du soi, et un certain nombre d'identifications et d'introjections ambivalentes et conflictuelles. Le clivage serait consécutif et étroitement lié à d'autres mécanismes de défense : l'idéalisation et la volonté de toute-puissance qui permettent de préserver les bons objets et le bon soi comme tels, mais aussi, à l'inverse, la dévalorisation qui est un moyen de prévenir la transformation de l'objet en persécuteur ; la projection et l'identification projective qui gèrent la haine et la rage en les rendant externes, tout comme elles rendent externes le mauvais moi et les mauvaises images internes ; le déni qui assure la coexistence des états fragmentés du soi clivé. Le recours à ces mécanismes est très coûteux pour la délimitation d'une identité. Il explique la survenue des symptômes dans ces états limites que Kernberg conçoit comme un trouble de la modulation des affects, une difficulté à éprouver de vrais sentiments dépressifs, et une mauvaise intégration du surmoi.

De nombreuses études récentes, répétées et concordantes, ont exploré les antécédents traumatiques des patients présentant une personnalité limite (abus sexuels, agressions physiques et autres traumatismes). Celles concernant les abus sexuels dans l'enfance sont rassemblées dans le tableau 14 tiré de la revue de Perry (1993) et de celle de Paris (1994c). La prévalence des abus sexuels dans l'enfance chez les personnalités limites est dans toutes les études, significativement plus élevée que dans les groupes témoins de patients psychiatriques d'un autre type. De plus, cette prévalence est de l'ordre de 70%

dans les études les plus fiables sur le plan méthodologique. Par ailleurs il apparaît dans ces études que la sévérité de l'abus sexuel - avec le viol comme pôle extrême - est corrélée positivement à la sévérité du trouble de personnalité limite. Malgré des différences dans les méthodologies et les résultats des études sur les antécédents traumatiques des états-limites, le

Tableau 14. - Résumé des études de prévalence des abus sexuels dans l'enfance chez les personnalités limites (d'après Perry (1993) ; Paris (1994c))

Etude Echantillon Méthodes Prévalence

Herman et al. 55 sujets entretiens systématiques limite : 67%

(1989) et prospectifs en aveugle non-limite : 26%

Zanarini et al. 50 : limite, 29 : antisocial entretiens systématiques limite : 26%

(1989) 26 : autres personnalités en aveugle antisocial : 7%

(patients ambulatoires) autres personnalités : 4%

Ogata et al. 24 : limite, 18 : dépression entretiens systématiques limite : 71%

(1990) (patients hospitalisés) en aveugle déprimé : 22%

Paris et al. femmes, 150 : limite, entretiens limite : 71% (pour viol 30%) (1994b) 48 : autres personnalités en aveugle autres : 46% (pour viol 6%)

Paris et al. hommes, 61 : limite, entretiens limite : 48%

(1994a) 60 : autres personnalités en aveugle autres : 25%

Bryer et al. 66 femmes hospitalisées questionnaire limite : 86%

(1987)

Brière et Zaidi 50 femmes : revue de dossiers : abusées vs non abusées : (1989) 35 abusées sexuellement données systématiques 37% vs 7% avaient un sur les abus sexuels vs 15 non abuséesdiagnostic d'état limite

Goodwin et al. 20 femmes hospitalisées questionnaires, parmi les abusées,

(1990) victimes d'incesterevue de dossiers 95% avaient un état limite

Ludolph et al. jeunes hospitalisées; entretien diagnostique, limite : 52%

(1990) 27 limite vs 23 non-limite revue des dossiers non limite : 19%

Swett et al. 125 hommes adultes questionnaires, contact 16 abusés vs 18 non abusés : (1990) suivis en consultation avec le thérapeute : n=34 diagnostic limite : 25% vs 6%

Stone 181 : limite, rétrospectif, pour l'inceste seulement :

(1990) 104 : autres patientes, étude des dossiers, limite : 19%

hospitalisées souvenirs des cliniciens autres : 14%

traumatisme et en particulier le viol sont maintenant reconnus comme un facteur étiologique dans la genèse des états limites (Gunderson et Sabo 1993).

Nous-mêmes présentons au chapitre VIII une étude systématique de quatre-vingt-dix patientes psychiatriques présentant différents types de diagnostics principaux. Nous avions présenté les premiers résultats de cette étude devant la Société Médico-Psychologique (Darves-Bornoz et al. 1995c).

Nous avons pu noter sur cet échantillon que les victimes de viol présentaient significativement plus souvent un ensemble de troubles psychologiques et comportementaux proches de ce qu'on dénomme personnalité limite et ce, quel que soit le diagnostic principal des patients. Une autre étude présentée au chapitre VIII concernant soixante-quatre femmes schizophrènes (Darves-Bornoz et al. 1995a) a montré aussi que les victimes d'abus sexuels présentaient des traits qui marquent un déficit du contrôle des impulsions plus souvent que celles qui n'avaient pas été victimes d'abus sexuels. Après ces deux études, l'état limite nous est apparu, dès lors, comme le pôle extrême d'une dimension liée étroitement à la présence d'un antécédent de traumatisme, en particulier de viol, et d'une dimension applicable à tous les patients quel que soit leur diagnostic principal. D'une manière plus générale, il ressort de l'ensemble de ces études que la personnalité peut changer sous l'effet de certains événements et que ces événements sont de nature traumatique, avec au premier rang le viol.

2. LES CHANGEMENTS DURABLES DE LA PERSONNALITE