• Aucun résultat trouvé

A - ETUDE DES VIOLS INCESTUEUX DANS LA COHORTE DE TOURS

La survenue de viols dans l'enfance ou l'adolescence et le caractère incestueux du viol modifient les caractéristiques de l'agression pour de nombreuses raisons dont nous avons présenté quelques-unes plus haut. Il en résulte des conséquences psychopathologiques spécifiques pour les viols incestueux (Darves-Bornoz et al. 1995b ; Darves-Bornoz et al. 1995f).

Ce que nous souhaitons présenter dans ce chapitre est précisément l'impact spécifique du viol incestueux, c'est-à-dire les symptômes et les troubles mentaux qui surviennent plus souvent dans un viol incestueux que dans un viol non-incestueux. En effet, on a vu au chapitre IV que les viols, d'une manière générale, entraînent des séquelles psychopathologiques importantes et diverses.

Nous n'allons donc pas reprendre ce que nous avons déjà présenté ailleurs.

Nous avons étudié, sur la cohorte de Tours, les trente-neuf sujets violés dont l'agression avait été commise par une personne de la famille même de la victime. Ces sujets sont donc issus de l'enquête prospective des victimes de viol du Centre Médico-Légal de Tours présentée au chapitre IV. Nous les avons comparées aux soixante-trois victimes d'un viol non-incestueux de la même enquête.

Les victimes d'inceste étaient âgées de treize à vingt-quatre ans au moment de l'entretien. Il s'agissait de trente-six filles et trois garçons. Vingt-neuf (74%) étaient des étudiants ou des élèves et les dix autres (26%) travaillaient ou recherchaient un travail. Lors du premier viol qu'elles ont subi, les victimes d'inceste étaient âgées de cinq à dix-neuf ans, et 87% d'entre elles avaient moins de quinze ans. La différence d'âge entre la victime de l'inceste et l'agresseur allait de deux à cinquante-six ans. Elle était de plus de cinq ans dans 90% des cas. L'auteur de l'inceste était le père pour 33% des cas, le beau-père pour 28%, un oncle pour 21% , un frère pour 13%, un grand-père pour 3% et un arrière-grand-père pour 3%. On notera que dans notre étude, 85% des victimes d'inceste (au lieu de 61% des victimes de viol non-incestueux) avaient moins de vingt ans lors de l'enquête (différence significative, p=0.016). Chez les victimes d'inceste, 8% sont des garçons (au lieu de 11% chez les victimes de viol non-incestueux) ; cette différence n'est pas significative. Les deux groupes ne sont pas différents non plus pour ce qui concerne la catégorie socioprofessionnelle du père ; 29% étaient cadres chez les victimes d'inceste (au lieu de 25%), les autres pères appartenant à une catégorie socioprofessionnelle moins élevée.

Pour les victimes d'inceste, les viols ont été plus souvent répétés que chez les victimes de viols non-incestueux (85% au lieu de 39%, p<0.000 01). Ces viols ont été aussi chez les victimes d'inceste plus souvent répétés pendant une période prolongée (plusieurs mois) que chez les victimes de viol non-incestueux (64% au lieu de 13%, p<10-7). Quarante-neuf pour cent des victimes d'inceste (au lieu de 36%, différence Non Significative au risque 5%) avaient été battues en dehors des viols. Pour 46% des victimes d'inceste (au lieu de 63%, NS) il y a eu pendant les viols, outre la violence sexuelle, une violence physique additionnelle (violence exprimée, menace avec une arme ou un objet, menace d'être frappé). Cette proportion confirme ce que nous disions plus haut, à savoir que l'inceste survient souvent sans violence physique surajoutée.

Tableau 17. - Troubles différemment représentés chez les victimes de viols incestueux et non-incestueuxa de la cohorte de Tours

Cohorte de Tours viols incestueux

%

viols non-incestueux

%

différence _ p

ORb IC 95%

mauvaise estime de soi 68 37 8.96 0.003 3.92 [1.56 - 9.88]

sentiments de vide 76 56 4.16 0.041 2.91 [1.12 - 7.60]

PTSD 84 61 5.78 0.016 3.81 [1.28 - 11.3]

troubles dissociatifs 84 60 6.13 0.013 3.13 [1.08 - 9.13]

phobie sociale 62 38 5.10 0.024 NSc

troubles psychotiques ou bipolaires 3 16 Fisher exact : p = 0.045 NSc

a On considère les troubles ayant été présents pendant les six premiers mois de suivi

b Odds ratio (OR) et leurs intervalles de confiance à 95% (IC 95%) calculés par régression logistique portant sur la variable et intégrant dans le modèle l'âge de la victime et le caractère incestueux ou non du viol

c NS : non significatif après régression logistique incluant l'âge de la victime

Quand on compare l'inceste et les viols non-incestueux, presque tous les troubles survenant après les viols sont plus fréquents chez les victimes d'inceste, mais le plus souvent la différence n'est pas statistiquement significative au risque 5%. Nous présentons dans le tableau 17, les symptômes et les troubles significativement plus représentés chez les victimes d'inceste, ainsi que les troubles psychotiques et bipolaires qui sont significativement moins représentés chez elles.

Nous avons effectué des régressions logistiques sur les différents troubles et symptômes en incluant dans le modèle l'âge des victimes et le caractère incestueux ou non-incestueux des viols. De cette façon, apparaît la liaison des troubles à l'inceste, toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire à âge égal. Nous présentons dans le tableau 17, les odds ratios (qui approchent les risques relatifs) et leurs intervalles de confiance à 95%. La mauvaise estime de soi et les sentiments de vide sont très présents chez les victimes d'inceste. C'est là, sans doute, le témoin d'une dépression narcissique plus sévère chez elles et le témoin de l'identification à l'agresseur très forte qui se met en place. L'inceste apparaît comme un événement plus traumatique que les viols non-incestueux, puisque le Syndrome Secondaire à un Stress Traumatique (PTSD) a un odds ratio voisin de quatre. Les troubles dissociatifs dans leur ensemble (dépersonnalisation, amnésie dissociative, fugue dissociative, personnalité multiple et autres troubles dissociatifs) sont aussi plus fréquents chez les victimes d'inceste. Cela permet de comprendre par exemple que d'autres études, rétrospectives, trouvent souvent un antécédent d'inceste chez les personnalités multiples (Kluft 1985). Nous relevons 14% (n=5) de personnalités multiples chez les victimes d'inceste, résultat que nous avons présenté par ailleurs dans l'American Journal of Psychiatry (Darves-Bornoz et al. 1995b) La présence d'une phobie sociale et l'absence de troubles psychotiques et bipolaires, éventualités liées à l'âge, n'apparaissent plus en relation significative avec l'inceste après régression logistique.

B - EXISTE-T-IL UNE TRANSMISSION DE L'INCESTE