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ACCES AUX SOINS

C - ETUDE DU VIOL CHEZ LES ADOLESCENTS DANS L'ENQUETE DE L'INSERM

6. ACCES AUX SOINS

L'accès aux soins peut être mesuré par le fait d'avoir consulté au moins une fois un médecin dans l'année. De ce point de vue, on peut remarquer que 90% des victimes (au lieu de 80% des non-victimes) ont consulté un généraliste ou un psychiatre. Elles ne sont donc pas en général hors du système de soins et on peut même constater qu'elles consultent un psychiatre plus souvent que les non-victimes (24% au lieu de 4%, p<10-6). De la même façon, le recours à l'assistante sociale ou à l'infirmière scolaire est fréquent chez les victimes (63%) même si les non-victimes les consultent souvent aussi (47%, p<0.02).

Les troubles psychologiques que ces victimes présentent, ne sont pas passés inaperçus puisque dans l'année précédant l'enquête, les victimes ont plus souvent consommé des médicaments psychotropes prescrits par un médecin (45% au lieu de 18% des témoins, p<10-6). L'enquête nous a appris que les victimes avaient des préférences sur leur interlocuteur pour se confier à propos d'un problème de santé ou de sexualité. Pour la santé c'est plus souvent un adulte (65%, avec 12% qui ne se confient à personne), pour la sexualité c'est plus souvent un jeune de leur âge (49%, avec 18% qui ne se confient à personne). Ces résultats nous pointent des éléments en vue de prévenir les viols et leurs conséquences.

7. DISCUSSION

La présente étude sur le viol est la première enquête sur un échantillon issu de la population générale de France et représentatif des adolescents scolarisés. A ce titre, elle est la première tentative française pour approcher la prévalence et la morbidité du viol chez les jeunes scolarisés de cet âge.

La prévalence trouvée dans la présente étude signifie qu'il y a actuellement dans les établissements scolaires de France plusieurs dizaines de milliers de victimes de viol. De manière analogue, l'enquête de Breslau et al.

(1991) sur les événements traumatiques vécus par une population de jeunes adultes de Détroit recensait une prévalence du viol comparable. A titre de comparaison, on peut signaler que la prévalence du viol chez les adolescents est du même ordre de grandeur que la prévalence de la consommation d'héroïne dans la même tranche d'âge. Sa morbidité ne justifie pas moins de mesures de prévention et de soins. L'enquête confirme que le viol est un phénomène qui survient plus souvent dans les villes et, en particulier, dans les banlieues. Le viol semble donc s'inscrire préférentiellement parmi les phénomènes de violence urbaine, alors qu'il avait parfois été associé par des auteurs, notamment pour ce qui concerne l'inceste, à une vie rurale rétrograde. Les étrangers apparaissent plus souvent victimes de viol. Ce pourrait être lié à la précédente constatation. Des éléments affectant la vie de l'adolescent semblent favoriser la

maladie chronique.

Comme la présente étude est une étude transversale, il n'est pas possible d'apprécier le retentissement psychologique du viol mais simplement d'étudier si les jeunes qui ont été victimes de viol se plaignent plus d'un certain nombre de symptômes que les autres. De ce point de vue, avant même d'entrer en discussion sur des symptômes psychopathologiques précis, on constate qu'avoir été victime de viol est associé à des caractères généraux négatifs : être plus souvent hospitalisé dans l'année ; avoir eu plus de redoublements ; avoir un absentéisme scolaire plus important.

Les troubles psychologiques relevés chez les victimes de viol dans notre échantillon sont de deux ordres : des troubles qui semblent relativement spécifiques du stress traumatique induit par un traumatisme et des troubles mentaux moins spécifiques.

Il a pu être constaté le caractère très traumatique du viol dans des populations de patients psychiatriques (Darves-Bornoz et al. 1994b, 1995c) et dans les populations qui portent plainte ou cherchent de l'aide (Darves-Bornoz et al. 1996c). La question est de savoir si dans la population générale aussi, un traumatisme psychique comme le viol produit fréquemment un Syndrome Secondaire à un Stress Traumatique (PTSD), avec son cortège de reviviscence douloureuse du traumatisme en pensée, de conduites d'évitement et de retrait, et de symptômes témoignant d'une hypervigilance. Des manifestations secondaires à un stress traumatique chez les victimes de viol de la présente étude peuvent être repérées au moment de l'enquête, alors même que le viol peut être beaucoup plus ancien. Il s'agit en premier lieu, de phénomènes de répétition sous la forme de cauchemars fréquents. D'autres manifestations peuvent être comprises comme des conduites d'évitement : les victimes de viols ont moins de copains ; elles semblent souvent ne pas envisager l'avenir et se disent même souvent "désespérées par rapport à l'avenir" ; elles consomment plus fréquemment de l'alcool et de la drogue (héroïne comprise) ce qui a été repéré dans d'autres études comme un moyen utilisé par les victimes pour éviter de penser à l'agression. Enfin, on peut discerner chez les victimes de viol des manifestations actuelles attestant d'une hypervigilance : troubles du sommeil (en particulier sous forme de réveils nocturnes), accès de violence, nervosité.

L'ensemble de ces éléments suggère la persistance de Syndromes Secondaires à un Stress Traumatique (PTSD) chez nombre de victimes de viol de la présente étude.

Si le viol d'une manière générale est un événement traumatique, le viol à l'adolescence est particulièrement traumatique parce que l'agresseur d'un adolescent est plus souvent une personne de la famille, et que les agressions sont plus souvent répétées. De ce fait, d'autres troubles psychologiques peuvent se faire jour comme les somatisations et les troubles dissociatifs (au sens de Pierre Janet) qu'autrefois la nosologie rattachait à la névrose hystérique, terme

abandonné depuis, pour la valeur stigmatisante qu'il comporte. Certains symptômes et certains comportements suggèrent l'existence d'une dissociation somato-psychique ou intra-psychique chez les victimes de la présente étude.

Ainsi, elles ont plus souvent des troubles somatoformes. On peut aussi évoquer la prévalence extrêmement importante des fugues chez ces victimes. En effet, il est vraisemblable qu'un nombre important de ces fugues est à rapporter au cadre des "fugues dissociatives" dans lesquelles le sujet perd à des degrés divers son sentiment d'identité et qui ont été décrites comme fréquentes chez les victimes de traumatisme.

La présence de certains comportements chez les victimes de viol de la présente étude, témoigne d'une véritable altération de leur identité et de leur personnalité en formation. Ces comportements comprennent tous une part d'impulsivité et une part de rupture de liens d'attachement, se manifestant en opposition et en violences sur les autres et sur soi-même (tentatives de suicide, accidents, violences, vol, fugue comme conduite d'opposition, consommations de toxiques). En effet, l'agression d'un enfant ou d'un adolescent par un adulte qui, en outre, est souvent un proche, est vécue comme une trahison par l'adolescent. De ce fait, des liens d'attachement se rompent dans la réalité mais aussi dans le psychisme. C'est cela qui permet de comprendre la perte d'attitudes favorisant le lien social et l'apparition d'attitudes antisociales notamment violentes.

A ces syndromes relativement spécifiques d'une origine traumatique qui viennent d'être décrits chez les victimes, s'ajoute une comorbidité importante de troubles, notamment la dépression. Ces dépressions revêtent des traits particuliers, notamment une hostilité, que certains auteurs ont déjà souligné (Féline 1991). Cependant, la présence de ces éléments dépressifs ne doit pas créer l'illusion que les troubles psychologiques des victimes sont avant tout une dépression, c'est-à-dire un trouble psychologique pour lequel il existe des recours thérapeutiques relativement efficaces, comme certaines psychothérapies et certains antidépresseurs. Chez l'adolescent, l'élément psychopathologique le plus inquiétant n'est pas la dépression ni même d'ailleurs les symptômes de Syndrome Secondaire à un Stress Traumatique (PTSD), pourtant si invalidants ; l'élément psychopathologique de plus grande gravité est avant tout, l'altération du développement de l'adolescent notamment des points de vue psychologique, cognitif, scolaire et social, car c'est cela qui grève le pronostic du stress traumatique.

On a vu que les victimes ne sont pas hors du système de soins, et qu'elles rencontrent des médecins et des travailleurs sociaux. Cependant, cela ne signifie pas que les soins qui leur sont prodigués sont adaptés. Il n'est pas rare que des médecins ou même des psychiatres apprennent le viol d'un de leurs patients de manière indirecte et après des années d'entretiens. De même, la prescription de psychotropes à ces victimes n'est pas nécessairement un élément rassurant car il peut s'agir d'une prescription à l'aveugle, en l'absence de

avaient des préférences sur leur interlocuteur pour se confier à propos d'un problème de santé ou de sexualité. Il s'agit parfois d'adultes et parfois de jeunes de leur âge. C'est dire l'intérêt qu'il pourrait y avoir à sensibiliser non seulement les adultes mais aussi les jeunes sur les possibilités qui s'offrent aux victimes en matière de soins.

8. CONCLUSION

L'étude de cet échantillon aléatoire de 8255 adolescents scolarisés de France permet de dire que le viol est un traumatisme qui touche de nombreux jeunes. En effet, 0.6% des garçons et 0.9% des filles ont rapporté avoir été victime d'un viol.

Parmi les résultats, on relève la forte association entre le viol et les comportements de fugue, de conduites violentes, de tentative de suicide, de consommation de drogue, d'alcool et de tabac, d'absentéisme scolaire et de vol.

On remarque aussi la forte association entre le viol et les idées suicidaires, les cauchemars, les idées dépressives et les plaintes somatiques. Les victimes de viol n'apparaissent pas, en outre, hors du système de soins ce qui ne préjuge pas du caractère adapté des traitements qu'elles reçoivent.

Les adolescents de la population générale qui rapportent un antécédent de viol, souffrent de troubles mentaux et du comportement sévères. Cela ne manque pas d'altérer leur vie sociale, en particulier leur vie scolaire. Cette lourde morbidité psychopathologique s'avère de même nature que celle observée dans les populations des centres médico-légaux d'accueil de victimes de viol, et dans les populations de patients psychiatriques.

CHAPITRE VII