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Les élèves G. et S. se présentent à la consultation. Ce ne sont pas des cas extraor-dinaires, mais des types courants de trouble-fête, qui veulent se faire remarquer à tout prix et contre lesquels l'instituteur s'énerve inutilement et mène une lutte stérile.

L'un, que je voudrais présenter en premier lieu, est âgé de huit ans, l'autre a sept ans. Tous les deux fréquentent la deuxième classe, l'aîné ayant dû redoubler sa classe.

L'année dernière ils fréquentaient la même classe mais furent séparés, car ensemble ils auraient rendu tout enseignement impossible. Séparés, ils sont plus supportables, quoique leur absence se fasse ressentir d'une façon bienfaisante autant pour le person-nel enseignant que pour la classe. La cause du défaut caractériel est différente chez les deux garçons. G. est, d'après les renseignements de la mère, l'enfant d'un alcoo-lique. Le père est cocher, ainsi qu'un frère, âgé de 17 ans. Un frère, âgé de 16 ans, fait avec sa moto des courses pour un boulanger, un autre frère, âgé de 14 ans, est apprenti boulanger. En plus, il y a dans la famille un benjamin de cinq ans. Le garçon en question fréquente l'école tous les matins, l'après-midi le patronage. Il passe son temps libre à l'écurie où il accompagne les cochers bien connus de lui. La mère doit travailler ; elle sert précisément chez le boulanger où ses fils travaillent. Elle ne voit pas le garçon de toute la journée, car il est interdit à ce dernier de la voir, même pour

un renseignement, probablement parce que le patron craint ses tours. La maison paternelle est remplie de disputes et de querelles. La mère reconnaît, au moins en partie, les défauts du garçon, mais elle ne peut rien faire contre lui. Il est en effet le préféré du père et ce dernier le défend contre tout le monde. Les promesses et les récompenses d'argent sont utilisées dans la maison paternelle comme principal moyen d'éducation. A l'occasion des fêtes on y boit et les couplets les plus vulgaires jaillissent d'un phonographe, couplets qu'évidemment le garçon assimile avec le plus grand intérêt en guise de bien spirituel. Il paraît qu'on emmène aussi l'enfant à l'auberge où on lui sert des boissons alcoolisées, mais il est difficile d'établir ce fait d'une façon certaine, ce garçon faisant preuve, dans ce qu'il raconte, d'une grande imagination, alors que, d'autre part, les parents nient pareille conduite. L'enfant reçoit aussi de l'argent pour s'acheter des saucisses à l'auberge, pendant que les parents vont au cinéma ; c'est du moins de cette façon qu'il explique la provenance d'une pièce de 50 centimes qui se trouvait dans sa poche.

Ses aptitudes sont au-dessous de la moyenne, il n'est pas travailleur. Il rapporte rarement un devoir, oublie le cahier et ne trouve à l'étude aucun plaisir. A l'école il ne collabore volontairement qu'au dessin et, à la rigueur, à l'écriture. Il ne semble éprouver un réel intérêt que pour les chevaux. Pendant et après l'année scolaire il n'a jamais été sérieusement malade. Son attention est détournée par la moindre futilité.

On ne peut pas établir d'une façon certaine s'il ment volontairement ou s'il ne fait que débiter les produits de son imagination. Il raconte, par exemple, avoir été avec son père à tel ou tel endroit, avoir fréquenté en sa compagnie telle ou telle auberge, avoir passé la nuit chez sa tante, alors que, d'une façon certaine, on a pu établir qu'à ce moment-là il n'avait pas quitté son domicile. Ou encore il soutient avoir vu à la campagne qu'on déterrait les pommes de terre avec une charrue, simplement parce qu'un autre garçon l'avait raconté. Il manque totalement de sens critique. Il fait tou-jours ses travaux d'une façon désordonnée. Dans sa volonté, il est facilement influençable et il se décide vite.

A l'école il fait tout pour attirer l'attention sur sa personne il crie et se querelle pendant la récréation, mais aussi fréquemment pendant l'enseignement. Il bat ses camarades et avoue avoir cherché à les faire souffrir. Il ne tient pas compte des remontrances qu’on peut lui faire. Les fonctions dont on le charge sont utilisées pour se quereller et pour faire des bêtises ; fréquemment il tache volontairement les vête-ments de ses camarades. Quant aux siens, même neufs, il ne les ménage pas. Pendant un certain temps, il voulait les laver à l'école. Pendant la classe, il chante. Tout ce que disent les autres est critiqué à haute voix et il gêne ainsi l'enseignement. Il corrige volontiers les réponses exactes de ses camarades en se trompant d'ailleurs et il bat les élèves qui veulent répondre. Il se moque de l'instituteur, si celui-ci dit : « Je sais qui a fait cela », il crie : « Si seulement c'était vrai! » Dans la rue il singe cet homme ; il est brutal envers gens et bêtes.

Ne présentant pas de délit de vol, il cache toutefois les objets trouvés. Il a été impossible de le garder dans la classe avec son ami S. Si on devait les faire travailler dans le bureau ou s'ils devaient se joindre à une autre classe lorsque j'avais à rem-placer un collègue, ils se conduisaient gentiment, parce qu'il leur manquait la connaissance du climat de cette classe, ou du moins la connaissance de ses éléments.

De toute façon, les garçons isolés se conduisent d'une autre manière que lorsqu'ils sont ensemble et se renforcent mutuellement. Je propose donc de les observer ensemble et isolés. Depuis un mois les deux amis sont séparés et G. se trouve dans une autre classe, où il est le fardeau d'un autre instituteur. Là il dessine pendant que

les autres traitent un sujet, ou il émet des remarques superflues qui font rire toute la classe ; il emploie des mots très vulgaires. Dès que l'instituteur tourne le dos il quitte sa place et commence à se quereller. Pendant la récréation il faut l'isoler, sans quoi il bat ses camarades et il les piétine. Dans la salle de gymnastique, il grimpe rapidement sur les agrès et hurle en même temps. En ce qui concerne la soirée actuelle il remarque, évidemment sans qu'on lui en pose la question (en argot) : « je sais bien que le directeur demandera si je suis gentil ou si je suis méchant. Je dirai gentil. Je m'en moque. Je vais me cacher à cinq heures et à six heures et demie personne ne pourra me trouver. Je dormirai, ils peuvent toujours essayer de me réveiller. Ma mère travaille jusqu'à neuf heures du soir » !

Le cas S. s'explique autrement. Sa mère est atteinte d'une néphrite grave et elle a reçu avant la naissance de l'enfant de nombreuses injections. A l'âge de cinq ans, le garçon s'est laissé glisser sur la rampe de l'escalier du deuxième étage jusqu'au premier et de là il est tombé. Il a été emmené sans connaissance à l'hôpital où il est resté quelque temps en observation sans qu'on ait pu constater quelque chose. Jusqu'à son entrée à l'école - nous dit la mère - le père était entiché de lui ; le garçon était très méchant, ne rentrait que tard dans la soirée et la mère ne pouvait rien contre lui. Il demandait souvent : « Quand vas-tu mourir? quand iras-tu à l'hôpital? » Après les premières plaintes à l'école, le père devint particulièrement sévère envers son fils, mais sans résultat. Le père était agent de police, actuellement il reste à la maison.

L'année dernière est née une petite sœur et cet événement provoqua la jalousie du garçon. La même année on lui enleva les amygdales et il fut très malade. Il demanda :

« Pourquoi me vaccine-t-on et m'opère-t-on moi, et non pas la petite sœur? » Si la mère le menace de le mettre en pension, il dit qu'il aime bien mieux être en pension que chez lui. Ses rapports avec un oncle et une tante qu'il aime plus que sa mère, ne sont pas très clairs. Il ne dissimule pas cette préférence qu'il accorde à son oncle et à sa tante. Il n'est pas exclu que l'aversion vis-à-vis de sa mère y trouve ses racines.

Pendant l'été toutes les classes passèrent leurs récréations au jardin et il s'exprima ainsi au sujet d'une fillette très soignée : « J'aimerais bien l'embrasser. » Je l'ai pris à part et lui ai demandé d'une façon amicale pourquoi il désirait cela, et si, d'une façon générale, il aimait embrasser les autres. Finalement, je lui conseillai d'embrasser sa mère, ce qu'il refusa violemment. En ce qui concerne cette histoire de baiser, banale en elle-même, je crois avoir compris que ce garçon semble manquer fortement d'amour chez lui. Je fis venir la mère et je lui suggérai d'essayer de redresser la situation par un baiser et bien souvent par de l'amour, plutôt que par les coups qu'elle lui donne actuellement. Mais là je me heurtai à une résistance farouche : « Chez eux, cela ne se faisait pas. »

Du reste le garçon est physiquement très bien entretenu, mais il ne fait pas plus attention à ses affaires qu'à ses fournitures d'école. Les parents veillent sévèrement à ce qu'il fasse ses devoirs. Ses aptitudes sont au-dessus de la moyenne, son attention facile à détourner. Lui aussi est un travailleur et il voudrait tout faire lui-même. D'une façon générale sa volonté est facile à influencer et il se décide vite. Pendant la classe il interrompt l'instituteur, n'écoute pas les remontrances, frappe, sans aucun motif, des élèves assis loin de sa place, leur jette sa serviette, ou les blesse au visage avec ses sandales de gymnastique. Il se couche aussi sur le pupitre, jette des châtaignes dans la salle, siffle et chante, fait des remarques sur chaque mot de l'instituteur et de ses camarades. Il substitue des crayons de couleurs et soutient que ce sont les siens.

Lorsque la classe réalise des jeux de construction et qu'on les accroche au mur, il en enlève des éléments pour les faire disparaître dans son cartable. Il jette fréquemment à terre les nécessaires de travail et lorsqu'il les ramasse, il en retire les ciseaux.

Les fonctions honorifiques dont on le charge pour l'améliorer seront mal exécu-tées et ne seront pour lui que l'occasion de faire des bêtises ou de se quereller. Il asperge les murs et les images avec une éponge. Il croit cette conduite héroïque. Il fanfaronne, par exemple en racontant qu'à l'hôpital il a échappé à l'injection en se sauvant. Son ami G. écoute ses histoires bouche bée. Si on accuse S. de quelque délit, il nie violemment et en impute éventuellement la faute à G. Des discussions et des dénonciations mutuelles sont des procédés ordinaires chez ces deux garçons. S.

accuse aussi certains camarades de défauts imaginaires. La décision de ses parents de l'amener aujourd'hui à la consultation l'a d'abord outré, surtout lorsqu'il s'est rendu compte qu'il ne s'agissait pas d'une visite générale.

A l'école on avait déjà tout essayé, avec des résultats inégaux d'ailleurs, pour changer ces deux garçons. Tous ces moyens éducatifs restèrent sans suite. Exhor-tations bienveillantes, promesses d'exaucer un désir, charges honorifiques, appel au sentiment de l'honneur, perspective de l'avenir, éveil de la compréhension, explica-tions leur montrant combien il serait pénible pour eux si d'autres agissaient de la même façon, exclusion d'un cours qu'ils aiment, travail individuel à la direction, etc.

Rien n'y fit. On peut raisonner S. de temps en temps, mais G. n'a qu'un sourire pour tout cela. Le moyen le plus efficace jusqu'à présent était un « véritable regard de dompteur », mais on ne peut évidemment pas en user constamment.

Dr A : Il n'est certes pas difficile d'arriver à une conclusion d'ensemble au sujet de la description présentée de ces deux garçons réunis, qu'il faudra considérer, non seulement du point de vue de la psychologie individuelle, mais aussi du point de vue de la psychologie sociale. Ils paraissent différents lorsqu'ils se trouvent ailleurs mais ils sont toujours les mêmes. Il faudrait éloigner ces garçons de chez eux et les placer comme pensionnaires, pour un ou deux mois. Ce placement me parait un devoir envers l'avenir de ces enfants. De même, des cas particulièrement difficiles doivent être placés dans de semblables institutions qu'on pourrait qualifier de maisons de convalescence, où les garçons seraient bien traités, mais où on pourrait les étudier à fond et éclairer les enfants eux-mêmes sur les causes de leurs défauts. C'est notre devoir de trouver ces éclaircissements et je veux essayer de vous représenter le type de ces deux garçons sous un aspect simplifié.

Le premier cas est un garçon de huit ans que caractérise surtout le fait qu'il a dû redoubler sa classe, il se trouve au-dessous de la moyenne et s'intéresse particu-lièrement aux chevaux.

Ce garçon ne collabore pas à l'école. si nous laissons de côté les faits et si nous regardons comment ce garçon se comporte, se meut et quelle attitude il prend vis-à-vis des exigences de l'école, nous pourrons dire qu'il est en train d'exclure et de refuser toutes ces exigences. La cause se trouve dans son opinion, car il croit ne pou-voir rien réussir à l'école. Cette cause me semble suffisante, car si je devais m'iden-tifier avec ce garçon et me représenter que je ne pourrais rien réussir, si on m'obli-geait malgré tout à fréquenter l'école, je me considérerais de la même façon que lui le fait. Or si nous pouvions brusquement éveiller l'attention de ce garçon et lui expliquer qu'il pourrait très bien réussir car il a tort de croire qu'il n'est doué que pour l'écurie et pas du tout pour l'école, il serait possible d'éveiller son intérêt pour cette dernière. Il faudrait évidemment essayer de lui apporter une aide personnelle et de lui rendre facile, au bout d'un certain temps, une réussite dans une matière de l'enseignement.

Nous savons que de par les conditions familiales, tout le milieu ne s'intéresse qu'aux chevaux, aux auberges et aux grivoiseries. Il ne faut pas compter que ce milieu éveille son intérêt pour l'école. Ce doit être quelqu'un d'autre, et on pourrait exiger ce rôle d'une maison comme celle dont j'ai parlé antérieurement. Cependant, étant donné que nous ne disposons pas pour l'enfant d'une pareille maison, une aide ne pourrait se réaliser que si nous pouvions lui donner quelqu'un qui s'occupât tout spécialement de lui. Je pense à la fonction d'un frère aîné bienveillant qui pourrait gagner la sympathie de ce garçon et le ramener sur le chemin du courage social. Tout ce qu'il fait à l'école est l'expression de sa lâcheté et je m'efforcerais de lui expliquer cela. Je voudrais aussi lui rendre compréhensible que c'est la raison pour laquelle nous ne le trouvons pas sur le côté utile de la vie, mais ailleurs, sur le côté inutile. J'attends beaucoup de cette explication. Il présente de grosses lacunes et il ne sera pas facile de le lui prou-ver. Il nous manque la base sur laquelle nous aurions pu bâtir. Il faut tenir compte du fait qu'il est le préféré du père. Cette famille semble présenter par ailleurs certains bons côtés, car, par exemple, les enfants n'y sont pas maltraités, ce qu'on ne pourrait pas dire avec certitude pour la famille du deuxième garçon. De ce milieu trop doux proviennent les enfants qui, lorsqu'ils se heurtent à une difficulté, s'esquivent immé-diatement. Ils ne supportent pas de se trouver dans une situation désavantageuse. Par tous les moyens ils jouent le rôle de celui qui paraît plus qu'il n'est. Vous constatez ici la tendance de ce garçon à la valorisation et son besoin de se pousser au premier plan.

Or il croit que, sur le côté utile de la vie, la route lui est barrée. Il nous incombe le devoir de confirmer ce que nous venons d'avancer. La mère pourrait nous indiquer si elle a gâté le garçon et dans quelles conditions ce dernier a grandi. Je voudrais souligner ceci : le garçon n'est pas courageux et il nous faut constater si ce manque de courage ne se manifeste pas dans d'autres circonstances. Peut-être la nuit réclame-t-il la présence de sa mère, peut-être crie-t-il pendant son sommeil? Si à l'école il se conduit d'une façon arrogante vis-à-vis de son instituteur, ce n'est pas du courage; il connaît les limites qui sont imposées à l'instituteur et il peut se conduire comme s'il était un héros.

Le deuxième cas est un type compliqué, plus gâté par le père que par la mère, ses rapports avec celle-ci sont tendus, car il n'a pas su gagner sa sympathie. D'après sa réponse concernant la suggestion de l'instituteur lui demandant de traiter l'enfant de préférence avec de l'amour, de l'embrasser de temps en temps au lieu de le frapper, on peut supposer que cette femme est dure et froide. Nous nous souvenons qu'elle avait répondu: « ce n'est pas l'habitude chez nous ». Pour que la mère se conduise de la sorte, il est probable que des choses plus graves ont dû se passer.

Ce garçon a une sœur cadette. Si vous entendez dire qu'un enfant est plus attaché à son père qu'à sa mère, vous pouvez supposer que c'est déjà la deuxième phase de l'évolution de cet enfant. Si la mère, d'une façon ou d'une autre, manque de contact avec l'enfant, alors le père passe au premier plan. Il faudra encore essayer de savoir si, avant notre garçon, la mère n'a pas eu un autre enfant qui aurait détourné sa tendresse. Peut-être le père, une tante, un oncle se sont-ils davantage occupés de lui, du fait que la mère ne le pouvait pas à cause de sa maladie. Nous ne savons pas si la maladie de sa mère a été un motif suffisant pour détourner l'enfant de celle-ci.

Il se pourrait qu'il ait quelques défauts organiques. Il est doué au-dessus de la moyenne. Il est probable que la cote d'intelligence de cet enfant, à l'occasion d'un examen par test, le montre supérieur à la moyenne, puisque son aptitude à établir des rapports entre les faits est très bonne. Son attitude à l'école s'explique d'un point de vue tout autre que celle de son ami. Il a besoin de tendresse. Il éprouve le besoin de

se faire gâter. Au début de son existence et pendant six ans, il était enfant unique et il a vécu au centre de l'attention des autres, cajolé par tous, comme toujours lorsque

se faire gâter. Au début de son existence et pendant six ans, il était enfant unique et il a vécu au centre de l'attention des autres, cajolé par tous, comme toujours lorsque