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L'institutrice nous expose le cas suivant :

« M. est âgée de neuf ans et fréquente la quatrième classe. Elle est la plus jeune de cinq enfants. Ses frères et sœurs sont respectivement âgés de 25, 23, 15 et 14 ans.

L'aînée, déjà mariée, a un enfant âgé de quelques semaines. En tant que benjamine, jolie et agréable, M. fut particulièrement gâtée par ses parents et par ses frères et sœurs. Son éducation et sa surveillance furent confiées avant tout à ses frères et sœurs car les parents travaillaient toute la journée. Le père est employé dans une maison de commerce et il est absent de la maison de sept heures du matin à six heures du soir.

La mère est corsetière et elle est également occupée toute la journée. A son entrée à l'école, l'enfant se fit remarquer dans sa classe d'une façon désagréable par ses bavardages, par sa vivacité exagérée, son attitude arrogante, son insensibilité, ses tendances à se quereller et sa sauvagerie. L'institutrice de la première classe la cite souvent comme « une enfant terrible », mais très intelligente, et, selon son humeur, tantôt très travailleuse, tantôt très paresseuse.

« Moi qui connais l'enfant depuis la seconde classe, je ne peux pas parler de fainéantise. Au contraire, elle travaille d'une façon parfaite, est assez forte en rédac-tion, son imagination est vive, elle s'exprime bien, récite bien, présente une belle

écriture et insiste sur la propreté, résultat de sa coquetterie il faut bien le dire. Elle aime beaucoup se faire admirer. Lorsqu'elle aura particulièrement réussi un devoir, elle viendra certainement avant la classe me montrer son cahier et remarquera avec fierté : « Voilà, c'est moi qui ai écrit ça. » Elle se réjouit lorsqu'on la loue. Elle s'attaque au travail d'une façon habile et courageuse, en gymnastique, elle est très bonne et pleine de bravoure. Elle a appris elle-même à aller à bicyclette et à nager;

elle désire actuellement des patins pour apprendre, cette année, le patinage. Telles sont ses qualités.

« Mais sa tendance à la valorisation et particulièrement forte, elle exige sans cesse qu'on la remarque, chose impossible dans une collectivité de trente enfants. Elle gêne alors l'enseignement en coupant la parole aux autres, sans pouvoir se dominer, quoiqu'à plusieurs reprises elle ait été réprimandée à ce sujet. Elle ne peut pas davantage maîtriser sa curiosité. Lorsque je signale à une autre élève une faute dans son cahier, elle quitte sa place pour prendre connaissance, elle aussi, de la faute de sa compagne. Ce qui est interdit l'attire particulièrement. L'année dernière la directrice s'opposa à tout déguisement avant le mardi gras car les enfants de la première classe, voisine de celle-ci, auraient pu s'effrayer. Le lendemain, pendant la récréation, M. alla aux W.-C. et quelques minutes plus tard se précipita dans la classe, déguisée en diable, brandissant une verge, bousculant les enfants en hurlant. Je la réprimandai et lui demandai si elle n'était pas au courant de l'interdiction de se déguiser : je n'obtins pas de réponse. Elle agit toujours de cette façon lorsqu'on l'interroge. Il est à remarquer qu'elle ne peut jamais regarder quelqu'un droit dans les yeux. Elle laisse apparaître les signes d'une grande inquiétude si, pendant le cours, je la regarde un certain temps. Alors elle détourne les yeux d'une façon gênée, jetant par moments un regard timide dans ma direction pour savoir si je la regarde encore. Disons en passant qu'elle n'est pas malhonnête. La mère dit aussi que l'enfant ne ment jamais. Son besoin de valorisation se manifesta d'une façon frappante par l'événement suivant : L'année dernière l'inspectrice assista à un cours de chant que suivait ma classe. A plusieurs reprises déjà, par mesure disciplinaire, M. avait été exclue de ce cours à cause de son bavardage et de ses éternelles interruptions. Cette fois-ci elle fut de nouveau admise. N'ayant pas été soumise au même entraînement que les autres, elle ne pouvait évidemment pas briller. Mais, se trouver simplement dans le rang, faire comme les autres, sans se faire remarquer, lui était insupportable. Pendant la récréa-tion elle s'approcha de l'inspectrice qui conversait avec l'institutrice et fit une pirouette, car la gymnastique est son fort. Elle aime faire des farces. Ainsi elle me raconta qu'un jour elle a laissé s'échapper l'oiseau d'une cage que le propriétaire avait placée dans la cour. Elle se réjouit de voir que le propriétaire ne trouvait pas l'auteur de cette farce. Elle prétend avoir eu pitié de cet oiseau qui piaillait. Au cours des vacances, s'amusant dans la rue, elle tira complètement le rideau de fer d'une boucherie située en face de chez elle. Lorsque la bouchère sortit et corrigea M., sa mère sortit à son tour de son magasin et administra un soufflet à la bouchère, ce qui lui valut un procès et une amende de 10 francs. La mère me pria d'être très sévère avec la petite qui, à la maison, l'exténuait. Elle est têtue et lorsque sa mère lui commande quelque chose elle répond : « Je ne veux pas y aller! » et ne cède généra-lement qu'à la force. Si cette femme avait disposé des moyens nécessaires, elle aurait confié l'enfant à des étrangers qui lui auraient donné une éducation correcte, car les parents, avec leur commerce, ne peuvent pas suffisamment s'en occuper. Quant aux frères et sœurs, elle les repousse, bien qu'ils l'aiment beaucoup et soient très doux avec elle. A l'école, elle se conduit d'une façon identique. Il ne se passe pas de jour sans qu'on la voie battre une camarade ou la jeter à terre sans motif. A deux reprises déjà, deux fillettes ont été sérieusement blessées, poussées contre le mur ou contre

l'extrémité d'un banc. Sur le chemin de l'école, elle tire les cheveux de ses camarades ou, quand elles sont arrivées, les menace de les corriger à la sortie. A cause de tout cela on la craint et on ne l'aime pas dans sa classe. Si, pendant les cours, une voisine lui demande de se tenir tranquille, elle lui donne des coups de poing, la pince ou la frappe avec ses pieds, sous le banc. Les convocations des parents n'ont donné aucun résultat jusqu'à présent. C'est toujours la mère qui est venue et elle a rejeté la faute sur le père qui gâte trop cette enfant. Je n'ai jamais pu m'entretenir personnellement avec le père, mais la mère a promis de nous l'amener aujourd'hui. »

Dr A : Dans la description détaillée de cette enfant, le point central de son développement est souligné avec beaucoup de précision. Cette enfant présente une tendance particulièrement marquée à la valorisation mal dirigée. Nous entendons dire qu'il s'agit d'une benjamine et qu'elle a été gâtée; ceci paraît expliquer que sa tendance à la valorisation soit si grande. En tant que benjamine elle voudrait dépasser tous les autres. Mais à côté de son bon rendement, on constate une telle quantité de défauts qu'on en est étonné. Nous comprenons pourquoi la conduite de l'enfant va en s'aggravant. L'enfant se conduit comme dans une souricière, elle ne peut échapper à son sort, elle voudrait être le point de mire mais elle a déjà si mal agi qu'elle se heurte partout à une résistance et partout elle est incitée à continuer. Je voudrais rapidement répéter ce qui m'a frappé, dans cette excellente description, relativement à la ligne dynamique de l'enfant.

Elle montre la tendance à vouloir être plus que les autres à l'école. Elle n'a qu'un succès partiel et elle essaye de compléter la partie manquante par ses interruptions de l'enseignement, par ses attaques, par les difficultés qu'elle présente vis-à-vis de sa mère. Nous pouvons émettre l'idée que si elle était la première de sa classe, sa conduite changerait complètement. Ce n'est pas elle-même qui changerait, mais sa situation serait meilleure, sa tendance à la valorisation ne supporte pas la vie à la maison; à l'école, vis-à-vis de ses camarades, elle se trouve en lutte. Dans cette lutte elle voudrait être victorieuse. Il est impossible de détourner cette enfant de sa voie par des coups ou par des punitions. Car peut-être dans ce cas, n'osant plus agir au grand jour et nuire ouvertement aux autres, elle le ferait d'une façon cachée. Ce serait aussi inciter l'enfant à mentir. Je crois que le vrai motif pour lequel elle a laissé échapper l'oiseau n'est pas, comme elle le disait, la pitié, mais plutôt une certaine joie procurée par l'attaque du bien d'autrui. C'est pour la même raison qu'elle regarde les cahiers de ses camarades. Dans cette joie maligne que lui procurent les erreurs des autres, elle trouve sa supériorité et croit être plus et mieux que les autres. Si elle réussissait toujours à triompher cela ne préjugerait en rien de sa vie à venir. Elle ne trouvera certainement personne pour lui offrir constamment cette possibilité. Il faut intervenir pour saisir le mal à sa racine. Il faut rendre compréhensible à l'enfant l'erreur où elle vit. Il faut lui montrer qu'elle présente une tendance à se trouver toujours en tête et, n'y réussissant pas du côté utile, elle essaye alors de se faire valoir du côté nuisible (en molestant ou en tyrannisant les autres). Mais cette explication qu'il faut lui donner ne doit pas revêtir la forme d'un reproche, car là elle recommencerait à lutter. Une enfant de cette sorte présente, à la suite de pareille affirmation, un état d'esprit qui l'amènerait à penser : « Désormais je le ferai davantage. » Les enfants veulent démon-trer qu'ils sont quand même les plus forts. Je ne crois pas qu'on puisse éliminer ses défauts par une conversation. Un sujet étranger, ne dépendant absolument pas du cercle de ses relations, devrait un jour lui donner amicalement quelques indications et lui montrer ce qui se passe en elle. Elle sait que sa mère la défend et ne prend donc pas au sérieux ses menaces. Étant intelligente, elle connaît les limites qu'un instituteur ne peut pas dépasser et elle sait qu'on ne poussera pas les choses jusqu'au bout.

Nous entendons dire que ses parents, comme ses frères et sœurs, l'aiment, et malgré tout elle les torture, elle est peu aimable avec eux. Elle essaye de subjuguer les autres, mais cela ne réussit pas entièrement chez ses frères et sœurs, d'où son besoin de les attaquer. Partout nous retrouvons le même rythme et la même structure.

Les menaces de la mère sont complètement inutiles et en la rudoyant on n'arrivera à aucun résultat chez cette enfant. Elle sait que le père, en toute circonstance, sera de son côté. Il est probable d'ailleurs qu'il ne porte pas toute la responsabilité dans l'éducation erronée de l'enfant, car les membres de la famille se rejettent cette responsabilité l'un sur l'autre. Il est nécessaire qu'on donne des indications aux parents, qu'on leur fasse comprendre que, dans le fond, cette enfant n'est pas respon-sable puisque, jusqu'alors, elle n'avait eu qu'à suivre un style de vie établi dès sa première enfance. On ne saurait s'attendre à un changement tant qu'elle maintiendra son but erroné, à savoir être toujours la première et se trouver toujours au centre de l'attention.

Le moyen le meilleur pour éclairer l'enfant en même temps que la mère, serait de faire comprendre à cette dernière qu'on constate très souvent chez les benjamins cette tendance à vouloir toujours se trouver au premier plan.

Dr A (s'adressant aux parents) : Il ne faut pas lutter avec un enfant car souvent on perd; les enfants sont toujours les plus forts. Il faut lui parler d'une façon aimable et lui dire que si elle recommence à vouloir dominer les autres, ce qu'on trouve souvent chez les benjamins, cela ne présente rien de particulier. Il faudrait faire comprendre à l'enfant d'où vient chez elle ce besoin qu'elle ne comprend pas elle-même, de se trouver toujours au centre de l'attention.

Conseil à l'institutrice: Considérer les rechutes éventuelles avec un sourire compréhensif et attirer l'attention de l'enfant en lui disant : « Je crois que tu voudrais de nouveau te trouver au centre de l'attention. »

Dr A (s'adressant à l'enfant qui pleure sans cesse) : Voudrais-tu être la meilleure élève et réussir déjà beaucoup de choses? Tu es une enfant intelligente. Il faut seulement que tu perdes l'habitude de forcer les autres à s'occuper constamment de toi. Tu es la benjamine et tu veux toujours montrer que tu es la maîtresse. On voit souvent cela chez les benjamins, tu n'en es pas responsable, nous le reconnaissons.

Regarde, tu écris bien, tu es forte en gymnastique, dois-tu constamment ennuyer les autres petites filles? Tu as un bon père et une bonne mère; tu pourrais être contente;

as-tu vraiment toujours besoin de te pousser au premier rang? Je t'assure que tes larmes sont tout à fait superflues, tu n'es pas ici pour être punie, mais pour qu'on t'explique où se trouve ton erreur. Tu veux toujours démontrer que tu es la maîtresse à la maison, cela n'est pas nécessaire. Tu en sais autant que les autres. Il faudrait aussi regarder les gens dans les yeux et leur démontrer que tu as une bonne conscience.

Dis-toi : je ne veux pas dominer, je ne veux pas être désagréable, je ne veux pas donner de travail supplémentaire à ma mère pour qu'elle soit toujours obligée de s'occuper de moi. Essaie de lui faire plaisir, tu y parviendras et tu te diras : je suis peut-être la benjamine, mais tout le monde m'aime. Qu'en penses-tu, crois-tu que tu y arriveras ou veux-tu continuer à te conduire comme quelqu'un qui dit toujours : « me voilà! »

Reviens dans un mois.

Chapitre X