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Il est extrêmement important que nous nous fassions une idée par nous-mêmes sur le cas, avant d'avoir vu la mère ou l'enfant. Je vous exposerai l'histoire du cas en question et vous verrez comment je m'efforce de tirer des conclusions du moindre renseignement :

« Lorsque, à l'automne de 1925, B. arriva dans un jardin d'enfants, il était l'enfant le plus négligé et le plus arriéré, physiquement comme intellectuellement, que l'on puisse imaginer. »

Nous pouvons en déduire que personne ne s'est occupé de lui. C'est le propre du développement intellectuel ; il faut qu'un enfant se trouve obligatoirement en rapport avec quelqu'un qui lui permettre d'exercer son esprit.

« Il était sous-alimenté, mal soigné, insuffisamment vêtu et manquait de chaussu-res quoique l'hiver fût déjà très avancé. »

Il s'agit probablement d'un enfant issu d'une famille très pauvre.

« Il était également très arriéré intellectuellement et pouvait à peine parier. »

Le développement du langage de l'enfant ne peut se faire que dans le rapport social. Si un enfant manque de ce rapport, son langage ne saurait se développer.

Nous, devrons aussi nous demander si cet enfant n'est pas faible d'esprit. Ceci n'est qu'une supposition et il faut continuer nos recherches avec prudence, car si nous émettons un tel diagnostic, c'en est fini avec cet enfant. C'est une erreur impardon-nable que d'appeler faible d'esprit un enfant qui ne l'est pas.

« Lorsqu'on lui adressa la parole il se cacha et commença à crier et à se débattre. » Si quelqu'un cherche à se lier avec lui il s'en défend. Il donne l'impression d'ap-partenir au troisième type d'enfants, ceux que l'on n'a pas désirés, les illégitimes ou les infirmes. Vous voyez qu'il considère son entourage avec hostilité.

« Il était très lâche... »

Il n'y a de courage dans un être que là où il se sent chez lui.

« Il attaqua les enfants tout en veillant à ne pas l'être par eux.

« Il avait besoin d'aide au moment des repas et attendait toujours qu'on l'ali-mentât. »

Il faut accueillir ce renseignement avec réserve. Ce sont généralement les enfants gâtés qui présentent des difficultés pour absorber leur nourriture. Mais il est possible qu'il s'attende même ici à une attitude hostile. On peut en effet prendre la peine de donner à manger à un enfant qu'on n'aime pas pour en finir plus vite avec lui. Ainsi il n'apprend pas à manger.

« Mais il refusa souvent la nourriture bien qu'ayant faim. »

Cet enfant se conduit comme en territoire ennemi. Mais il faut examiner attenti-vement s'il ne présente pas des signes de faiblesse d'esprit.

« Ce n'est qu'après une scène, dont l'entourage ne tint d'ailleurs aucun compte, qu'il se calma et absorba avidement la nourriture. »

C'est donc qu'il ne mangeait pas tellement mal.

« C'est un enfant légitime. Il a appris très tard à marcher et à parler, mais jusqu'à présent il n'a pas encore su s'exprimer correctement. »

Nous comprenons ses difficultés en ce qui concerne son langage. Quant à la marche il nous faut penser là à des difficultés organiques. Peut-être sa dentition était-elle en retard. Ce défaut fait partie du même tableau de maladie.

« Il occupa beaucoup son entourage... »

Il ne peut commander que s'il trouve quelqu'un à sa disposition, Remarque étonnante. Son apparence négligée résulte peut-être du désespoir des parents et sans doute y avait-il, dans son entourage, une personne qui s'était occupée de lui. Une grand-mère peut-être, une tante, une sœur aînée, dont il pouvait disposer dans une certaine mesure. Dans ces conditions nous pourrons tirer notre conclusion et

com-prendre son attitude au jardin d'enfants. Si notre conception ne se confirme pas, nous la modifierons -volontiers.

« ... et se révolta contre lui à la moindre occasion. »

Il est probable que son entourage ne l'a pas traité avec beaucoup de dureté.

S'opposer est un moyen de lutte et devant un entourage particulièrement puissant, un enfant ne se révolte pas. Peut-être était-il auparavant dans un milieu où il était entouré d'une certaine affection, ce qui ne fut plus le cas par la suite. Il faut nous en souvenir pour pouvoir continuer nos recherches.

« Il donnait des coups de pied, se roulait à terre, hurlait et frappait tout ce qui s'offrait à lui. »

Cette constatation vient encore renforcer l'hypothèse d'un entourage qui aurait changé au détriment de l'enfant. Il est probable qu'il y a eu là changement de situa-tion. Notre supposition se confirme : d'abord gâté, il fut négligé ultérieurement, ce qui l'a rendu sauvage et hostile.

« Il mouille constamment son lit. »

Il est probable qu'il veut occuper quelqu'un de sa personne et qu'il a tendance à se faire remarquer d'une façon désagréable.

« ... et ronge ses ongles. »

Chez les enfants têtus vous retrouvez cette habitude. On leur dit constamment de ne pas ronger leurs ongles et c'est en persistant qu'ils démontrent leur opposition.

« Son avidité était telle aux repas que parfois il dérobe quelque chose aux autres enfants, au goûter. »

Il n'a pas un grand sentiment social et ce fait se manifeste également par ses gestes.

« Il était très rachitique et très arriéré intellectuellement. » Cela est une confirmation.

« Il n'était pas sociable, ne s'entendait avec personne. »

Cela correspond aussi bien au type de l'enfant gâté qu'à celui de l'enfant détesté.

« Il torturait bêtes et gens. »

Pareille attitude, vous la retrouverez chez les deux types cités. Ils veulent démon-trer leur puissance.

« Il écrasait les mouches avec joie. » Vous voyez le fort en face du faible.

« Il voulait toujours être le premier. »

Notre opinion émise au début se confirme. Ses parents se trouvaient peut-être antérieurement dans une meilleure situation, et celle-ci a changé ; depuis il manque d'amour et de la chaleur de l'affection.

« Toujours préoccupé de commander, s'il n'y réussissait pas, il frappait ses cama-rades, renversait tables et chaises, se jetait sur le sol et n'écoutait aucun conseil bienveillant. »

Ce sont les traits de caractère d'un enfant gâté qui veut toujours se trouver au centre de l'attention.

« Maintenant il fréquente volontiers le jardin d'enfants et s'efforce d'avoir toujours sur lui le mouchoir dont je lui ai fait cadeau. »

lu commence déjà à s'adapter, signe qui nous permet de conclure qu'il s'est déjà lié avec la jardinière d'enfants. Nous voyons que celle-ci a su le gagner et recréer la situation agréable dans laquelle il a été gâté. Il se traduit à lui-même cette impression : « Te voilà dans la situation agréable vers laquelle tu tends toujours. » Désormais son intérêt doit être éveillé pour d'autres choses qui ne lui ont pas réussi jusqu'à présent.

« Il s'intéresse à ce qu'on lui montre ici. Il est heureux si on l'occupe beaucoup, par exemple à nourrir un oiseau, arroser des fleurs, balayer, aider les plus jeunes à mettre leurs chaussures, etc. »

Notre supposition selon laquelle il pourrait s'agir d'un enfant faible d'esprit com-mence à être ébranlée. Il s'adapte probablement, se lie à la jardinière d'enfants et agit d'une façon sensée. Le diagnostic de faiblesse d'esprit me semble insuffisamment motivé et ne mérite pas d'être retenu.

« Sa situation familiale est on ne peut plus triste. Son père est mort de la tuber-culose, sa mère est ouvrière et ne se préoccupe pas de son éducation. »

Où se trouve la personne qui l'a gâté? Peut-être était-ce le père avant sa mort?

« Elle vend les affaires de l'enfant, ainsi le manteau d'hiver, les chaussures, etc., que nous lui avons donnés et elle nous le renvoie couvert de haillons. »

Représentez-vous la situation de cet enfant détesté, élevé sans amour et sans chaleur (presque au sens propre étant donné qu'elle vend son manteau d'hiver).

« C'est le benjamin ; les autres sont des garçons de dix, quinze et dix-neuf ans. » Voilà qui nous permet de supposer que peut-être, parmi ces enfants, l'un d'eux se serait occupé particulièrement de lui. En ce qui concerne son développement, nous devons tenir compte de sa situation de benjamin. Si nous retenons le fait qu'il a été gâté, il est certain que, comme benjamin, il disposait d'une certaine puissance. Il a trois chefs de file et il veut les imiter. Mais il ne veut pas que d'autres disposent de plus de pouvoir et il voudrait se trouver au premier plan, être en tête, être plus que les autres.

« Il pleure souvent mais seulement lorsqu'il manifeste son opposition ou lorsqu'il est en colère. »

Pleurer est une arme particulièrement efficace. Si les enfants remarquent qu'ils ne nous font aucune impression en pleurant, ils s'arrêtent. Lui s'en sert pour se faire valoir. Un couple sourd-muet avait un garçon qui parlait et entendait bien. Lorsqu'il se blessait, il pleurait, mais sans le moindre bruit. Les larmes coulaient sur ses joues mais on n'entendait aucun son. Nous comprenons fort bien cela puisque le garçon savait que le bruit n'avait aucun effet sur ses parents. Nous trouvons toujours l'em-preinte de l'entourage.

« Ses jeux préférés sont la gymnastique et la construction. » Cet enfant n'est probablement pas tellement maladroit, ni arriéré.

« Ses histoires préférées sont : « Rumpelstilzchen » et « La belle au bois dor-mant. »

Chercher à tirer des conclusions d'histoires de ce genre est une occupation fécon-de. Dans la première il est question d'une ruse déjouée par une autre ruse. Le choix de

« La belle au bois dormant » nous paraît plus compréhensible. Il aime sans doute cette histoire parce qu'elle exprime en quelque sorte l'espoir de s'assurer un certain succès par une bravoure particulière. Je crois que cette matière doit être explorée à fond dans le but d'établir quels sont, dans ces histoires, les éléments qui impression-nent particulièrement les enfants. Si nous connaissons bien notre garçon nous pourrons mieux comprendre pourquoi il a préféré ces deux contes.

« Il rêve souvent tard dans la journée. »

Si je dois comprendre cela comme la construction, par l'enfant, de quelques rêves diurnes, ce mouvement nous rappelle la « belle au bois dormant » qui dort elle aussi.

Peut-être trouverons-nous un fil conducteur susceptible de nous aider à mieux comprendre cet enfant.

« Il y a quelque temps encore il s'endormit par faiblesse, ce qui laissa craindre qu'un jour il ne se réveille pas. »

Peut-être cette faiblesse était-elle en rapport avec l'idée de « la belle au bois dor-mant ». Je peux imaginer que pareil enfant soit plus intéressé que d'autres par le sommeil, lorsqu'il a été passionné par une histoire comme celle-là.

« Apparemment cet enfant a été martyrisé. » La mère n'est probablement pas avare de coups.

« Il se sent partout repoussé et réclame l'attention des autres. »

Ce trait ne se voit pas chez l'enfant martyrisé qui tourne le dos et essaye toujours de s'esquiver. C'est l'enfant gâté qui réclame toujours de l'attention.

« Les louanges sont tout pour lui. Lorsqu'on lui dit : « Allons B., tu es un brave garçon! » ses yeux brillent et, pour un moment, tout va bien. »

C'est le caractère d'un enfant gâté. Dans une telle situation, il se sent à l'aise ; elle est le but de sa vie, de ses tendances.

« S'il a entrepris une occupation, il la mène jusqu'au bout. et si on le loue il ne demande qu'à la recommencer. »

Voilà le fil par lequel vous pouvez faire agir ce garçon, Il travaille, d'abord parce qu'il arrive dans la situation où on le loue et où on l'aime. Il faut utiliser cette situation et continuer à lui faire comprendre qu'il doit se rendre utile, cela en s'abstenant de louanges immédiates. Il ne faut pas le louer immédiatement, il suffit de lui dire : si tu le fais de telle et telle façon ça sera très bien.

« Il se conduit comme un enfant de deux ans, fait le sot ou le bébé pour qu'on puisse le caresser et le gâter. »

Vous verrez souvent des enfants gâtés ou même des adultes se conduire comme des bébés en zézéyant par exemple comme de petits enfants. Ils regrettent cette ancienne situation et voudraient revenir à cette époque où ils se sentaient aussi bien qu'au Paradis. Il est probable qu'on a gâté ce garçon pendant sa maladie. Au cours de celle-ci on constate des manifestations graves où on ne peut faire autrement que de gâter l'enfant. De là vient son besoin de se faire gâter et ses tendances à se faire louer et aimer. Il vit de cette façon, sans le savoir et sans s'en rendre compte. On pourrait donc tout obtenir par des explications.

« Il parle très mal. Il est bien conformé, mais ses oreilles coulent de temps en temps. »

Il s'agit probablement d'une otite moyenne non encore guérie. S'il n'a pas été profondément touché par cette maladie, il se pourrait qu'il présentât une plus grande sensibilité pour l'audition et la musique étant donné que son ouïe est probablement plus fine que dans la moyenne des cas. Nous en avons une confirmation dans cette sérieuse maladie de sa première enfance. Tous les enfants ne font pas d'otite moyen-ne. Nous pourrons peut-être lui révéler un nouveau domaine par cette épreuve. On pourrait le rapprocher de la société par le moyen d'une chorale ou par la musique.

« Il est en retard intellectuellement et se présente comme un enfant de trois ans. » Le garçon qui veut toujours jouer à l'enfant de trois ans et donne l'impression de manquer d'intelligence, alors qu'il a déjà cinq ans, pourrait peut-être laisser supposer qu'il est faible d'esprit; mais il faut le soumettre à des épreuves sérieuses avant de conclure.

« D'une façon générale il ne réagit que vis-à-vis de personnes auxquelles il est habitué. »

Trait de caractère d'un enfant gâté.

« Ses rendements positifs ne sont notables que dans le domaine physique, car c'est la gymnastique normale ou rythmique qui est son occupation favorite, et là il arrive à des réussites brillantes. »

Je ne me permets pas encore de conclure. Nous entendons rarement parler chez les enfants faibles d'esprit de réussite en gymnastique et en rythmique. Mais réussir un mouvement systématique de gymnastique, arriver à des réussites brillantes nous indique un don de la combinaison dont ne dispose pas un faible d'esprit.

Chapitre IX