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Des plaintes ont été formulées au sujet d'une fillette de quatorze ans qui aurait commencé une série d'expériences sexuelles, qui aurait disparu pendant dix jours de chez elle et qu'on aurait retrouvée près de la maison de ses parents.

Les antécédents : famille pauvre avec trois enfants. L'aîné, très longtemps malade, gagne maintenant sa vie et remet tout son argent à sa mère, aussi est-il considéré par elle. Le père et l'aîné, constamment malades, ont eu souvent besoin des soins de la mère. Le père ne pouvait travailler que par courtes périodes. On peut imaginer que cette fillette ne pouvait jouir d'une attention particulière dans une situation aussi pesante. Il naquit encore un troisième enfant, également une fille, et, par des circons-tances malheureuses, il se trouva qu'à cette époque le père et le fils furent en conva-lescence, ce qui permit à la mère de s'occuper davantage de a benjamine. Cela représentait pour notre fillette une situation particulièrement défavorable. La mère ne pouvait pas s'occuper d'elle; elle avait alors l'impression d'être mise à l'écart. Elle grandit comme une enfant détestée, sans la chaleur de l'amour maternel. En fait, dans une certaine mesure l'équilibre était établi, mais la fillette vivait dans l'idée qu'elle était désavantagée par rapport à son frère et à sa sœur. Le père représentait bien l'autorité et les enfants lui obéissaient volontairement quoiqu'il fût sévère. Nous pouvons prédire que cette fillette se développera comme une enfant détestée, sans

espoir. Elle a pris conscience du fait qu'elle n'était pas aussi choyée que les autres.

Semblable enfant réalise à tout moment ce que nous décrivons là et son style de vie s'en imprègne. Une circonstance heureuse apparaît : elle passe chez un instituteur qu'elle aime beaucoup; elle s'épanouit, devient une des meilleures élèves et on lui prédit qu'elle arrivera loin. A 14 ans elle doit monter d'une classe et elle change d'école.

Là le malheur recommence : le nouvel instituteur ne comprend rien à l'âme enfantine et l'aborde sévèrement. Or, son seul appui consistait dans l'estime dont elle jouissait à l'école. Par le seul fait que l'instituteur la traite sans affection elle commence à douter d'elle-même, ne peut pas répondre et reçoit des mauvaises notes.

Elle tombe dans le piège qui lui était préparé. Nous pouvons prédire qu'un jour ce mauvais départ se manifestera. Elle n'avancera que si elle rencontre de l'affection et des louanges. Elle manque l'école. L'instituteur fait une enquête et apprend qu'elle fréquente des jeunes gens, on décide de l'exclure de l'école. C'est la pire des choses que l'on puisse faire. La réussite à l'école est manquée, à la maison elle se sent frustrée, que lui reste-t-il? L'art du psychologue individuel consiste à s'identifier avec la situation où se trouve cette fillette. Nous pouvons poser le problème : que ferions-nous si, étant une fillette de quatorze ans et cherchant à ferions-nous faire apprécier, notre famille nous refuse cette appréciation? Il n'existe qu'une voie : chercher cette appré-ciation auprès du sexe opposé. Elle l'a fait d'une façon intelligente, quoiqu'en contradiction avec le sens commun. Sachant que cette fillette est intelligente, nous pouvons prédire ce qui doit se passer maintenant; sur cette voie elle ne trouvera pas l'appréciation recherchée. Pareilles amourettes ne représentent qu'une réussite apparente. Celui qui a acquis une certaine expérience dans l'observation des rapports amoureux sait que de tels rapports, facilement établis, doivent aboutir à un échec.

Elle se voit comme étant l'objet, le jouet de l'homme. Si nous continuons à nous identifier avec cette situation, que devons-nous faire d'autre? Il ne reste que le suicide. De tous les côtés la reconnaissance lui est refusée. Dans quelques lettres, elle annonce du reste un suicide. Il aurait pu se produire si une circonstance heureuse ne l'avait retenue. Il ne faut pas considérer comme de la lâcheté le fait qu'elle n'ait pas réalisé son projet, la lâcheté réside plutôt dans l'acte même du suicide. Il se produit dans une crise de colère, chez une personne découragée. Le facteur qui l'en a empêchée, est la situation relativement favorable de sa famille. Les parents étaient de pauvres gens, cela elle le savait, elle savait aussi que de toute façon on lui pardonnerait. Le chemin de la maison paternelle lui était resté ouvert, elle y trouverait une espèce d'appréciation. Nous aurions donc pu dire à la mère : promenez-vous autour de la maison, c'est là que vous retrouverez la jeune fille. Car elle devait suivre ce chemin. La mère la rencontra en effet un jour et la ramena à la maison. Elle eut alors recours à une consultation psychopédagogique. Il faut donner l'occasion de se faire valoir à cette fillette si assoiffée d'appréciation. Il faut savoir quel est son meilleur entraînement en vue d'une activité utile; or, pour elle, c'est l'école. La psychologie individuelle déclare - si pareille enfant reçoit l'impression d'un manque d'affection, elle développe un fort sentiment d'infériorité, avec toutes les suites d'une préparation insuffisante pour la société. Elle perd tout intérêt pour sa famille et on constate facilement son manque de courage. Si elle n'avait pas un lourd sentiment d'infériorité elle se serait dit : l'instituteur ne me comprend pas, peut-être dois-je faire de plus grands efforts. Mais elle maintenait l'idée de se faire apprécier à tout prix.

Ceci semble lui avoir réussi par ses aventures amoureuses.

Je voudrais ici insister sur la question de la puberté. On la considère comme la psychologie des possédés. Tous les malheurs sont attribués aux glandes génitales.

C'est un argument ridicule. Ces glandes agissent depuis le jour de la naissance et même avant. La puberté se caractérise par d'autres facteurs : plus de liberté, plus de possibilités et plus d'attirance de la part des jeunes filles pour le sexe opposé. Les enfants sont puissamment stimulés par le fait qu'ils veulent prouver qu'ils ne sont plus des enfants. A l'occasion de ces preuves ils dépassent le plus souvent leur but.

L'enfant désire être remarquée en tant que fille et croit ne pas pouvoir trouver d'appréciation ailleurs que dans ce domaine. La puberté n'est pas un état morbide, elle ne fait qu'extérioriser ce qui se trouvait dans le style de vie; rien ne change, la fillette reste ce qu'elle était. Si elle devait changer nous ne pourrions rien prédire. Elle a simplement renoncé à un chemin qui lui paraissait barré, rien d'autre ne s'est passé. Il est important de signaler que les facteurs qui induisent les gens en erreur ne sont pas des faits réels mais résultent simplement de la manière erronée dont ils les compren-nent. Tous ceux qui croient que la vie psychique humaine est basée sur la causalité se trompent. La jeune fille donne une valeur de causalité à un facteur objectivement neutre. Tout à coup, l'affection refusée devient cause; si elle guérit, ce manque d'affection n'est plus une cause. Elle ne se contente pas seulement d'élever l'affection refusée au rang d'une cause, elle lui donne aussi des suites qu'elle produit elle-même.

Il n'est pas absolument indispensable que, n'ayant pas trouvé d'affection chez son instituteur, elle soit obligée de la chercher ailleurs. C'est là son erreur. Nous avons raison lorsque nous refusons de croire à l'effet d'une tendance innée.

Nous comptons avec les erreurs de la vie psychique humaine. Ce ne sont pas les faits qui agissent, mais l'opinion que nous nous en faisons. La psychologie individuelle a fait ce pas décisif qui consiste à rechercher les possibilités d'erreur et à les réduire à un minimum par le traitement. Les conclusions de deux êtres peuvent être fondamentalement différentes. Il ne faut pas oublier que ces réalités sont mal comprises et mal interprétées par la majorité des gens.

Il faut donner à cette jeune fille la possibilité de prouver qu'elle est capable d'arri-ver à ce qui lui paraissait interdit, à savoir, devenir une bonne élève. Là apparaissent de nouveau d'autres difficultés : avec de tels antécédents se, voir exclue de l'école!

Ceci semble signifier de la part de l'instituteur qu'il n'est pas capable lui-même de résoudre le problème de cette élève. Les consultations psychopédagogiques ont apporté une aide. Dans les écoles qui disposent d'une consultation psychopéda-gogique, on n'exclut pas les élèves, il n'y a même pas de redoublants. Si pareil cas se présente et si nous ne sommes pas capables de conserver cette élève alors il faut se demander ce qu'il y a à faire. Je ne vois pas pourquoi cette enfant constituerait une menace pour une autre école. Il ne faut pas oublier quel pesant fardeau représente pour elle le stigmate de l'exclusion. Peut-être serait-il plus simple de consulter quelqu'un de compétent. Peut-être pourrait-on la confier à un instituteur qui sache ce qu'il doit faire avec cette enfant. Il faut tout mettre en œuvre pour lui rendre son succès passé à l'école : à ce moment « le mal de la puberté » disparaîtra.

Chapitre VI