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J'ai ici l'occasion de vous présenter l'histoire d'un enfant difficile dont la mère était déjà quelque peu au courant de nos idées. Vous verrez sa position devant ce problème, vous verrez jusqu'à quel point sa compréhension nous suit et comment elle collabore avec nous bien que la chose ne lui paraisse pas très facile.

« Mon fils, Philippe, âgé de neuf ans, est ce qu'on appelle un enfant difficile. » Cela signifie qu'il lui donne du souci, qu'il la préoccupe beaucoup et qu'il affecte une conduite qui ne cadre plus avec le sentiment social. Nous n'aurions aucune raison de nous torturer l'esprit et de chercher à éduquer les enfants si le sentiment social existant ne se révoltait pas contre les défauts de pareils enfants.

Si la mère nous dit : « il est nerveux », elle ne nous renseigne pas suffisamment.

En général, lorsque les gens emploient ce terme, ils veulent dire que l'enfant est instable et d'un abord difficile. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la sensibilité est l'élément le plus important de la névrose. Cette sensibilité ne se pré-sente pas toujours comme telle, mais peut se manifester par ses conséquences. C'est à

ce dernier cas que nous avons affaire ici et nous verrons que la conséquence de sa sensibilité se traduit chez cet enfant par la tentative de chercher à mettre en valeur sa personne. C'est ce qu'on appelle en Amérique, sous l'influence de la psychologie individuelle, le « superiority complex ». Or ceci est déjà la deuxième phase, le résul-tat de « l'inferiority complex », c'est-à-dire du sentiment d'infériorité. Vous pouvez comprendre qu'entre les deux une hypersensibilité entre en jeu et que l'enfant, à ce point sensible, ressentira sa situation comme un échec. En conséquence il essayera d'en sortir, cherchera une compensation, d'où il concevra des sentiments de grandeur.

« Il est terriblement instable. »

Voilà confirmé ce fait que, dans sa situation, il n'arrive plus à trouver la tranquillité.

« Il n'apprend rien. »

Ces renseignements sont désordonnés et cette dernière remarque est à comprendre et à interpréter dans un autre sens. Ne se sentant pas à la hauteur des exigences de l'école, c'est pour cela qu'il n'y fait aucun effort.

« Il n'est pourtant pas sot et il surprend parfois par son jugement. »

Nous pouvons très bien comprendre cela. Nous avons supposé que cet enfant se trouvait simplement faible en face des exigences de l'école. Il peut s'intéresser à d'autres problèmes. D'après ce qui a été dit, nous ne pouvons pas le compter parmi les enfants courageux. Nous savons que ces derniers ont peu d'intérêt pour les autres et qu'ils en ont beaucoup pour leur propre personne.

« Rien ne lui échappe de ce qui se déroule dans la rue. »

Je crois que beaucoup de psychologues modernes passeraient tranquillement à côté de ce fait sans le remarquer. Nous avons le droit de supposer qu'il s'agit d'un garçon qui s'intéresse à tout ce qui est visible. Cela explique beaucoup de choses. S'il ne s'intéresse qu'à ce qui est du domaine visuel, c'est à l'avantage de l'enseignement pratique et il aura moins tendance à écouter les explications théoriques. C'est impor-tant pour l'école et beaucoup d'échecs peuvent s'expliquer par ce mécanisme. Nous retiendrons le fait qu'il est de ces enfants qui satisferont avant tout leurs tendances visuelles. Si vous réfléchissez à la question : que peut-on faire si on se contente de regarder les choses? vous trouverez qu'on ne peut pas faire grand-chose d'utile et en tout cas pas grand-chose où puisse se manifester le sentiment social. Vous penserez au dessin, à la peinture, peut-être à une meilleure compréhension de tout ce qui est visible. Le problème n'est pas très facile, lorsque quelqu'un a accentué à ce point un côté .de la vie. Dans ces conditions en effet il ne reste plus suffisamment d'intérêt pour les autres nécessités de l'existence et l'individu ne peut plus se développer dans ce sens. Notre garçon n'est pas entraîné comme il faut pour l'école, ce n'est pas sa faute; mais il a un grand intérêt pour tout ce qui est visuel, pour tout ce qui est apparence extérieure. Si nous sommes sur la bonne voie, même dans une description imparfaite de sa vie nous pouvons espérer trouver des confirmations de nos suppositions.

« Il se souvient de tout ce que disent les adultes. »

mettons l'accent sur cette circonstance, elle nous montre son intérêt pour ce qui est grand. Nous y retrouvons nettement sa tendance à la valorisation, son désir d'être grand.

« Et il sait le répéter d'une façon juste, au bon moment. »

Nous commençons à être renseignés dans une certaine mesure sur le style de vie de ce garçon de neuf ans. Il nous manque encore des confirmations et des indications quant à la variante spécifique de ce type.

« Mais il est lâche. »

Ce défaut ne nous surprend pas.

« Il a peur de tout et fuit tout danger. »

Il n'a aucune confiance en lui-même. Nous pouvons supposer que la mère joue un grand rôle dans son développement. Il n'est pas indépendant, il ne s'efforce pas de résoudre lui-même ses problèmes. Il n'a d'ailleurs aucunement l'intention de les affronter, étant donné que, jusqu'à présent, il a été habitué à voir sa mère les résoudre à sa place. Mieux que toutes les autres écoles psychologiques, nous pourrons cons-tater à ce sujet qu'il s'agit d'un enfant gâté. Ces enfants jouent un très grand rôle et se trouvent en grand nombre parmi les enfants difficiles, les nerveux, les candidats au suicide, les ivrognes, les criminels, les pervers sexuels. C'est un fait si important que je veux tout de même ajouter quelques mots et définir ce que nous entendons par enfant gâté. (Les mères disent souvent : « Il m'arrive de donner des coups. » Elles s'imaginent que par là elles ne peuvent être soupçonnées d'avoir gâté leur enfant.) Disons tout de suite que nous ne comprenons pas sous ce terme un « rapport sexuel » dans le sens freudien. C'est un enfant qui est déchargé de son fonctionnement indé-pendant et autonome. Quelqu'un d'autre parle pour lui, remarque les situations dangereuses, les écarte de lui, bref il se laisse remorquer par lui. L'enfant dispose d'une seconde personne, il construit sa vie en symbiose avec elle.

Pareil enfant présente un caractère parasitaire, il essaye d'obtenir tout ce qu'il désire par l'intermédiaire de sa mère.

« Il sait très bien que la lâcheté est quelque chose de laid et maintenant il écha-faude les pires mensonges. »

Nous devinons de quelle nature sont ces mensonges, étant donné qu'il est tenté de se montrer, de se faire voir et apprécier. Comme nous avons entendu dire qu'il écoute ce que disent les grands, il se comportera sans doute dans ses mensonges comme un héros.

« Il raconte par exemple : « Étant en Angleterre et en regardant d'où je me trouvais, au-delà du coin d'un mur, je vis un tigre. »

En soi c'est un gros mensonge. Mais ce qui m'intéresse particulièrement c'est qu'il ne regarde pas seulement, il regarde aussi « au-delà du coin du mur ». C'est de la virtuosité; tout le monde n'y parvient pas. Mais cela nous dit encore beaucoup plus : l'intérêt du garçon est particulièrement marqué et il est incité à vaincre des difficultés, difficultés qu'il présente comme insurmontables. Rappelons-nous à cette occasion que

dans ces cas nous avons généralement affaire à des enfants qui présentent une infériorité de l'appareil visuel. Si maintenant je vous dis que ce garçon est lâche; vous comprendrez d'où vient son intérêt pour tout ce qui est visuel, pourquoi il est devenu ce que l'on qualifie du terme nouveau d'eidétique. Dans son expression de vouloir regarder « au-delà du coin du mur », se traduit la tendance de ce garçon à accomplir des tours de force dans le domaine de la vue.

« Une fois je rentre chez moi, la porte est ouverte, personne n'ose entrer, près du coffre se trouve un voleur, je saisis la hache et je le tue. »

Là encore il « voit » quelque chose et il accomplit un acte d'héroïsme. La mère constate avec justesse :

« Il veut toujours jouer au héros, il veut toujours être celui qu'on admire et qui peut tout. S'il raconte : « Aujourd'hui personne n'a rien su à l'école sauf moi », alors je suis certaine que cela a mal marché à l'école et régulièrement tout se confirme. »

A cette occasion je voudrais éclairer son mode de compensation, quoiqu'il soit suffisamment apparent. Il semble compenser dans son imagination et là tout se perd dans le néant. Il ne devient pas actif dans sa compensation. C'est encore ce que nous avons exprimé antérieurement : il est lâche. Il a l'habitude d'être aidé par sa mère qui fait tout à sa place.

« Je le comprends, je sais qu'il voudrait bien être un bon élève et un garçon coura-geux, j'ai déjà appris que ses mensonges ne lui servent qu'à élever le sentiment de sa personnalité. »

Vous reconnaissez déjà là la manière de voir de la psychologie individuelle. C'est la voix du bon sens.

« Je ne le punis pas. »

Nous sommes tout à fait d'accord avec la mère. Ce garçon qui, de toute manière, désespère de son savoir et de son pouvoir, qui toujours, lorsqu'il doit réaliser quelque chose, se trouve comme en face d'un abîme et recule avec raison, ne mérite pas d'être puni. Ce serait une injustice flagrante. Nous voyons déjà ce qui devrait se passer : il faudrait le faire avancer suffisamment pour qu'il reprenne courage et apprenne que les problèmes peuvent être résolus. Il pourrait bien se développer s'il avançait. Cela ne se réalisera pas tant que son but sera d'acquérir, sur le côté inutile de la vie, un sentiment de valorisation et tant qu'il évitera la solution du problème sur le côté utile de la vie.

Tout lui sera bon pour prouver qu'il n'a rien à faire sur ce côté utile. Nous compre-nons pourquoi il ne faut pas punir un tel enfant; il n'y trouverait que la confirmation de son incapacité et il emprunterait d'autres voies pour échapper à la punition et pour pouvoir reculer devant l'abîme.

« J'aime ce petit garçon. »

Une confirmation qui nous manquait et qui nous prouve que la mère gâte cet enfant.

« Je l'aime de toutes les forces de mon cœur. Mais il ment, il ment de plus en plus et il craint qu'on n'aille dévoiler ses mensonges. »

Là apparaît l'espoir, la possibilité de le voir un jour cesser de mentir par crainte et se rapprocher de la vérité. Où reste alors son but de supériorité? Est-ce la seule conclusion qu'un enfant comme lui puisse tirer? Il y en a encore une deuxième : construire ses mensonges d'une façon si habile et si raffinée qu'il puisse avoir l'espoir de ne jamais être démasqué. Tel est le chemin qu'il doit parcourir ; il ne lui reste rien d'autre, étant donné qu'il ne peut pas perdre complètement le sens de sa personnalité.

Il est devenu menteur pour représenter quelque chose et ainsi nous comprenons qu'il ne puisse pas abandonner ses mensonges pour risquer de se présenter comme un

« zéro », comme une quantité négligeable. Il aura encore recours en effet à des men-songes plus subtils.

« Mon mari dit que je le gâte. »

C'est une particularité que vous trouverez toujours. Si à la sueur de votre front vous avez découvert le style de vie de votre sujet, vous trouverez toujours dans son entourage quelqu'un qui a déjà dit cela. Vous souvenez-vous des manières d'agir de nos adversaires psychologues, insistant sur le fait qu'ils disent eux aussi la même chose et se figurent que l'ayant dite, ils ont déjà obtenu un résultat? C'est exact, l'enfant est gâté. Mais comprend-il les rapports de l'ensemble? Même s'il savait que chaque enfant présente une tendance à la valorisation, serait-il capable d'en analyser le processus d'apparition. Rien n'est encore fait si l'on dit qu'il est gâté. On ne sait que faire de ce mot. Les mères ont raison lorsqu'elles demandent : « Comment devrais-je m'y prendre pour ne pas le gâter? » Cette question présente un aspect intéressant tant que la mère, elle, n'a pas encore saisi le rapport, comme nous le constatons dans le cas présent.

« ... Il prétend que c'est pour cela qu'il est aussi instable et menteur, et qu'en plus il a un « grain », étant donné que mon père a épousé une cousine. »

Chez les grands-parents on a découvert une consanguinité. N'ai-je pas eu raison de soutenir qu'on n'avait encore rien fait si, comme le disait le père, on le qualifiait d'enfant gâté. Lui-même n'y croit pas et cherche un deuxième motif qui semble plus convaincant. Il met l'instabilité de l'enfant sur le compte de ses antécédents consan-guins. Vous voyez à quel point la science a facilité les choses à ce père, qui peut ainsi faire endosser à la mère la responsabilité des échecs de l'enfant et s'en dégager brillamment lui-même.

« Ce mariage entre consanguins est la malédiction de sa vie, il « m'en fait tout un plat ». Ailleurs aussi il arrive qu'un enfant soit plus difficile qu'un autre, mais mon mari ne se lasse pas d'en rendre responsable ce mariage entre consanguins. Il faut que je lui prouve le contraire, il faut que je fasse quelque chose de ce garçon. Il n'est pas méchant, au contraire, il a bon cœur. »

Il est probable que sa bonté n'est qu'un aspect de sa lâcheté. Vous voyez que nous avons profondément raison de soutenir qu'on ne peut pas isoler un élément d'un style de vie et que chaque élément peut s'interpréter différemment. La bonté peut repré-senter quelque chose de négatif, « la beauté devient laideur, la laideur beauté ». C'est cette diversité qui fait que personne n'arrive à comprendre intérieurement un être humain s'il n'a pas saisi auparavant son style de vie.

« Il fait même cadeau de ses affaires à d'autres enfants dans le simple but de gagner leur faveur. »

Vous voyez que cette bonté présente un trait d'égoïsme, il essaye de corrompre les enfants pour se faire gâter par eux.

« Il fait cadeau de choses qui lui sont chères et il aime son père quoique ce dernier ne le gâte pas. »

Là je voudrais ajouter que dans une certaine mesure ce garçon est déjà dans cette voie où il voudrait non seulement gagner sa mère mais aussi les autres. Comme nous l'avons constaté antérieurement, il cherche à se faire protéger et il voudrait être apprécié et admiré, c'est ce but que visent aussi ses mensonges.

« Ainsi par exemple, c'est pour lui une grande fête de sortir avec son père. Je vous demande conseil. Dois-je procéder avec sévérité? Je ne crois pas que ce soit efficace!

Il pleure, il promet tout et dix minutes plus tard il a tout oublié. »

Sa mère avait essayé une éducation sévère, mais évidemment sans résultat, la seule méthode possible étant d'éveiller sa compréhension pour les défauts de structure de son style de vie. Ce qui veut dire pratiquement : le rendre indépendant et auto-nome, éveiller en lui la confiance dans sa propre personne. Tant que ceci n'est pas réalisé, la sévérité ou la bonté semblent inopportunes, quoique nous préférions la bonté. Ce garçon n'est pas préparé, il est inhumain d'exiger d'un être ce pour quoi on ne l'a pas préparé. On est tout disposé à mesurer exactement ce que peuvent rendre les animaux et ne rien exiger qu'ils ne puissent fournir. Quant aux êtres humains, on ne s'en préoccupe pas. Réfléchissez à l’importance de cette remarque pour l'école où les enfants arrivent différemment préparés. Employer le système des notations qui, dans le fond, juge la préparation de l'enfant et non ses aptitudes, c'est « les mettre tous dans le même bain ».

« Ainsi il est obligé de mentir étant donné qu'il s'enlise de plus en plus dans ses mensonges. »

La mère sans s'exprimer d'une façon claire veut dire qu'il ne trouve pas d'autre voie pour se faire apprécier.

Elle réclamait un conseil et je lui en donnai un dans le sens de ce que je viens de vous indiquer brièvement ici.

Mais dans la suite de ce compte rendu il se trouve peut-être encore d'autres passages importants.

« Lorsque dernièrement il recommença à mentir, je fis comme s'il s'agissait d'une plaisanterie et, en riant, je lui expliquait pourquoi il mentait. »

Dans ce « pourquoi » vous reconnaissez les indications que j'ai données à la mère.

« Philippe, admettant son mensonge, se trouva gêné et commença à rire. »

Le garçon est profondément conscient de son mensonge qui se trouve donc dans la sphère de sa conscience. Nous allons mettre à l'épreuve les auteurs qui prétendent

établir une différence entre conscient et inconscient et croient que le mauvais instinct se trouve dans l'inconscient et ne pénètre dans la conscience qu'à travers la censure et comme voilé. Que signifie ce mensonge? Si on pénètre le conscient et qu'on ne se contente pas seulement d'admettre le mensonge comme tel, alors on sait que ce der-nier est un moyen pour se faire remarquer. Si nous examinons ce garçon quant à son inconscient, nous verrons qu'il y cache un lourd sentiment d'infériorité qui cherche à se libérer. A partir de ce sentiment d'infériorité naît la tendance à se faire valoir. Ce n'est donc rien d'autre que ce que nous voyons aussi dans le conscient.

« Je commets évidemment des erreurs. Dernièrement, Philippe pria son père de l'accompagner au cimetière, car il devait faire une rédaction pour l'école. Mon mari refusa et il alla avec la bonne. Le lendemain la rédaction était très réussie mais il n'y avait pas un mot de vrai. »

Je voudrais ici remarquer au passage qu'il n'est pas nécessaire que la rédaction soit forcément vraie ; mais la mère a raison si elle retrouve dans la rédaction la même ligne de conduite que celle qu'il suit dans ses mensonges.

« Il raconta en détail comment il s'était rendu au cimetière avec son père et com-ment ce dernier aurait pleuré. A la fin il disait : moi je ne pleurais pas ; un homme ne pleure pas. »

Il a dépassé son père, en imagination seulement. La mère comprend très bien cela.

« Il a donc aussitôt rabaissé son père et il s'est donne lui-même de l'importance tout en mentant. »

« Il a rabaissé son père et fait l'important. » Qui de nos contemporains ne se souvient pas du soi-disant complexe d'Oedipe ? Est-ce pour cela qu'il rabaisse son

« Il a rabaissé son père et fait l'important. » Qui de nos contemporains ne se souvient pas du soi-disant complexe d'Oedipe ? Est-ce pour cela qu'il rabaisse son