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La troisième phase : l’après-guerre, les 30 Glorieuses et l’émergence d’un libéralisme financier et monétaire

58 autant systématiquement des organisations prolétariennes 1

Encadré 2 Les fonctions des Sociétés de Secours Mutuels

2. Au cours de l’Histoire sociale, les relations sociales et professionnelles sont façonnées par les cycles économiques,

2.3. La troisième phase : l’après-guerre, les 30 Glorieuses et l’émergence d’un libéralisme financier et monétaire

La période d’après guerre commence par un désordre inflationniste3. De nouvelles institutions sont mises en place afin de créer un ordre international stable et durable4. Les dirigeants politiques issus

1 Toutefois, il s’agit là d’un chiffre moyen, la situation variant considérablement d’un groupe à l’autre selon les catégories de revenus.

2 « Erémitique » est un adjectif relatif à la vie d’ermite, à la solitude et au désert. La « vie érémitique » est la vie que mènent les solitaires dans le désert.

3 Les hausses des salaires socialement justifiées, octroyées à la libération, les charges de reconstruction financées par le budget, le recours aux produits étrangers pour pallier les pénuries les plus criantes

contribuent à entretenir les mécanismes inflationnistes au point que les prix continuent d’augmenter de 20 à 50% par an selon les pays et les produits (Milza, Berstein, 1996)

4 Ainsi en juillet 1944 est posée l’une des premières pierres de ce nouvel ordre économique mondiale et qui perdure jusqu’à présent, dans ces formes les plus poussées : à Bretton Woods est créé le Système monétaire

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de la Résistance et souvent bercés des théories socialistes, prônent l’interventionnisme afin de garantir au moins l’équité sociale. La période de la guerre a été, pour l’Abbé Pierre, celle de la résistance. Les premières étapes de la vie de l’Abbé sont davantage marquées par un engagement religieux, à l’écart de « notre histoire sociale ». Pourtant, c’est en tant que prêtre affecté au poste de Vicaire de Grenoble qu’il s’engage dans la Résistance1. Mais son engagement n’est pas moins le résultat d’une volonté politique que celui de la protection des innocents. C’est le fruit d’une profonde acceptation du risque dans le cadre de la charité chrétienne. De nombreux faits de résistance, notamment sa rencontre avec le Général de Gaulle et une allocution radiodiffusée sous son pseudonyme d’Abbé Pierre, lui valent d’être décoré de la Croix de Guerre avec Palmes. Cet engagement résistant est fondamental et nécessaire pour déterminer la personnalité de l’Abbé pierre à la sortie de la guerre, la figure idéologique de celui qui fonde en 1949 le Mouvement Emmaüs. A l’époque, l’idée s’impose que le libéralisme doit désormais être ordonné, encadré par les lois de l’Etat et soumis à l’arbitrage des pouvoirs publics. C’est le triomphe de la grande entreprise, le rôle accru de l’Etat, l’intervention croissante des syndicats dans la vie économique et sociale (Milza, Berstein, 1996, p17, t2). Les théories notamment décrites par Keynes, permettent de véritables stratégies de reconstruction, cohérentes et efficaces. De même l’Etat intervient dans le domaine social en réglementant la couverture de risques divers dans le cadre de systèmes de sécurité sociale et d’allocations familiales, très audacieux au Royaume-Uni (Welfare state) ou en France, beaucoup plus limités et prudents en Allemagne occidentale et aux Etats Unis malgré le fair Deal annoncé par le Président Truman. Le rôle des syndicats se confirme et la législation leur reconnait une international. Reprenant la pratique du Gold Exchange standard, il préconise le retour à la libre convertibilité de toutes les monnaies entre elles et avec le dollar, devise clé du nouveau système. Le Fonds Monétaire international est créé pour gérer le nouveau système et veiller au respect des règles établies dans les accords de Bretton Woods. Plus tard, à Genève en 1947, le second pilier de la libéralisation des relations

économiques est le GATT General Agreement on Tariffs and Trade (ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce OMC).

Mais l’institution phare de ce nouvel ordre international reste évidemment l’Organisation des Nations Unies dont le FMI est l’une des institutions. De même, parmi les nombreuses institutions, l’ONU comporte

également un Conseil économique et social, puis la FAO, Organisation pour l’alimentation et l’agriculture ou encore l’OIT, Organisation International du Travail. Par la multiplication de ces institutions et agences, l’ONU, majoritairement acquise au libéralisme entend coordonner ou du moins veiller aux moindres mécanismes de ce nouvel ordre économique.

1 D’abord sollicité pour cacher et faire évacuer des Juifs vers la Suisse, il lance des filières de passage dans les Alpes.

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fonction de défense des intérêts des travailleurs, notamment face aux grandes entreprises1. Ce nouvel ordre international s’accompagne de la construction européenne (Braud, 20002).

Quand le Mouvement Emmaüs naît dans les années d’après guerre la croissance a entrainé quatre modifications bien visibles : (1) une tertiarisation de l’emploi ; (2) une élévation générale des qualifications professionnelles ; (3) un développement considérable du salariat qui se substitue au petit patronat indépendant (les salariés représentent aujourd’hui environ 80% des actifs dans les pays industriels, et même plus de 90% des Etats-Unis et au Royaume-Uni), de même le salaire devient un critère essentiel de statut social ; (4) une mutation du profil du travailleurs (l’arrivée de nombreux jeunes sur le marché du travail et l’augmentation du travail féminin depuis une quinzaine d’années). Le progrès technique modifie la structure professionnelle des entreprises et entraîne une élévation générale du niveau de qualification et de responsabilité à chaque poste de travail. De ce fait, le nombre de cadres, celui des agents de maîtrise, celui des ouvriers qualifiés, augmentent plus vite que celui des ouvriers spécialisés démunis de formation. L’agriculteur moderne est un chef d’entreprise intégré qui entretient des relations avec la banque, l’industrie, le commerce, les pouvoirs publics. Il est fréquemment sociétaire d’une coopérative dans laquelle il prend des responsabilités et membres d’un syndicat agricole3. Par contre, la déqualification, induite par la production de masse et la spécialisation, la présence d’une population immigrée au sein du corps ouvriers conduisent également à une forte exclusion des ouvriers. De puissantes centrales syndicales galvanisent ces sentiments d’appartenances à une classe défavorisée (notamment, dans les secteurs de la métallurgie, et de l’automobile). C’est l’apogée du syndicalisme entre les années 30 et 604.

1 Les grandes centrales syndicales (AFL-CIO aux Etats-Unis, TUC en Grande Bretagne, DGB en

Allemagne, CGL en Italie, CGT réunifiée en France jusqu’en 1947) se réorganisent en 1945. Cette époque faste se mesure par l’augmentation du nombre d’adhérents.

2 Les travaux sur la participation des syndicats dans la construction de l’Union européen sont résumé dans un encadré en annexe.

3 Les méthodes coopératives et syndicalismes se complète dans la gestion et dans la revendication des intérêts des professionnelles.

4 Dans les pays industrialisés, les revendications ouvrières sont canalisées par des puissantes organisations syndicales dont l’audience est cependant très variable puisque le taux de syndicalisation des travailleurs s’étale de 20% en France à 80% en Suède. Alors qu’un syndicalisme révolutionnaire d’inspiration anarchiste ou marxiste reste bien vivant en Espagne, en Italie et en France, les grands syndicats anglo-saxons, allemands et scandinaves apparaissent plus liés aux partis politiques qui se réclament d’un socialisme modéré.

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D’ailleurs, à la fin de la Guerre, l’Abbé Pierre s’investit dans la politique, après avoir reçu l’aval de sa hiérarchie. Il est élu au Mouvement républicain populaire en octobre 1945 et en 1946 au Parti Chrétien. Il a quitté le MRP en protestation contre la répression gouvernementale de la grève des ouvriers du bâtiment de Brest en avril 1950, et en opposition contre la politique étrangère en Indochine. Il fonde avec Paul Boulet et Charles d’Aragon un groupe de la « gauche indépendante », effectuant, selon les propos de Brodiez-Dolino, « un glissement vers la gauche de l’échiquier politique » (Brodiez-Dolino,2008).

Malgré l’apogée du syndicalisme, les mouvements civiques et associatifs sont également très concernés dans la défense des intérêts des individus. Le plus grave échec des trente glorieuses se mesure sans aucun doute au nombre des exclus de la grande consommation : la croissance n’a pas éliminé la pauvreté.

« Emmaüs est de cette nouvelle génération d’associations qui fleurissent après-guerre (…) aux traditionnelles associations chrétiennes (Conférences, Dames et Sœurs de Saint Vincent de Paul, Petites sœurs des pauvres, Armée du Salut, etc.) qui entament dès l’entre deux guerres leur déclin, s’ajoutent en effet dès 1945-1946 le Secours catholique, le Secours Populaire et les Petits frères des Pauvres – le premier pour fédérer la solidarité catholique, le second pour mettre en œuvre la solidarité communiste et le troisième pour venir en aide aux très nombreuses personnes âgées dans la précarité. Emmaüs naît quelques années plus tard en 1949, centrée sur l’exclusion par le logement. Aide à toute détresse (…) et se spécialise sur la très grande exclusion ».(A. Brodiez-Dolino, 2008, p20)

Ce phénomène frappe le plus souvent les populations immigrées, les minorités raciales, les personnes handicapées ou isolées (invalides, veuves, orphelins), les personnes âgées dépourvues de pension de retraite et condamnées à la solitude, les chômeurs mal ou non indemnisés, d’une manière générale toutes les personnes incapables d’adopter les normes de la société de rentabilité et de consommation.

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A l’époque, l’Abbé Pierre exhorte les militants du Mouvement Emmaüs à s’organiser en comités associatifs contre l’exclusion et comités des sans-logis, en « syndicat du logement ». L’évolution vers le syndicalisme témoigne de nouvelles conditions. L’UNASL, (Union National d’Aide au Sans Logis, fondée par le regroupement de comités d’aide au sans logis, veut être par rapport au logement, ce qu’est le syndicalisme par rapport au mouvement ouvrier. « Le squat reste plus que jamais revendiqué comme étant au syndicalisme de logement ce qu’est la grève au syndicalisme de travail » (Brodiez-Dolino, 2008, p20). Néanmoins, cette mouvance « syndicale » a pour conséquences quelques remous au sein d’Emmaüs, que certains voyaient comme une organisation de bienfaisance. Force est de constater les concurrences qui existent entre les perspective syndicale et les perspectives caritatives. La figure du Fondateur y certainement pour quelques raisons : les fervents admirateurs du fondateur l’admirent à la fois pour sa figure religieuse, sa figure politique et sa figure militante. Cela brouille forcément le message de départ et la compréhension du message idéologique, pour la base des militants.

2.4.La quatrième phase : Le libéralisme mondialisé et le libéralisme