• Aucun résultat trouvé

La méthode d’enquête et d’analyse

La différence entre Economie sociale et Economie solidaire

2.2. La méthode d’enquête et d’analyse

Notre méthode se base sur l’interprétation de nos lectures, nos observations, notre expérience et une certaine déduction. Notre enquête a disposé des instruments et des pratiques suivantes :

• une analyse comparative entre trois pays (France, Espagne Royaume-Uni) répondait d’abord aux exigences de notre cursus d’Etudes européennes. Ensuite, la comparaison met en évidence l’idéocentrisme emmaüsien1

;

1 Nous développons l’hypothèse d’un éloignement de l’épicentre idéologique : plus on s’éloigne de la France « berceau du Mouvement Emmaüs », plus cela favorise des pratiques plus marchandes qu’associatives.

42

• l’observation participante sur le terrain des Communautés d’Emmaüs. Nous avons vécu et travaillé durant deux semaines (chacune) dans différentes structures Emmaüs en Europe : les Communautés du Plessis Trévise et de Dunkerque en France, les Communautés de Murcia, de Navarra, de Sabadell en Espagne, la Fondation sociale Emmaüs de San Sébastian en Espagne, les Communautés de Cambridge et de Colchester au Royaume-Uni ; nous avons également bénéficié durant près de cinq mois d’un bureau dans les locaux d’Emmaüs à Madrid, où nous avons pu observé le fonctionnement de ce centre d’accompagnement et d’insertion sociale d’Emmaüs ; • l’expérience sur le terrain a nécessité la tenue d’un carnet de bord, dans lequel ont été répertoriées les quelques anecdotes et informations supplémentaires. L’exercice du terrain permet de recueillir les choses vues et entendues (plaintes, rumeurs, conflits, règles formelles et informelles, pratiques appliquées) ; les impressions et émotions (bon équilibre entre associations et Communautés de travail) ; les actes d’observations à réaliser et division des tâches et des fonctions1 ;

• les entretiens formels et informels que nous avons eus avec différents acteurs praticiens (employés salariés, présidents, bénévoles et compagnons ou communautaires) ont suivi le même protocole d’entretien, avec le même déroulement d’items : identité et parcours// relations communautaires ou dans la structure //conditions de travail personnel// activités de la Communauté// condition et organisation communautaire du travail// représentativité.

1 Date (s) //Lieu(x) : la région/ la ville/ le quartier // Activité et zone d’activité voisinage// Historique communauté // Description de la communauté // Personnel et organigramme // Postes et fonctions (voir avec responsable) // Chronique des activités de la communauté // Organisation et condition de travail //

Observations du relationnel et stratégie de groupes ou stratégies individuelles // Règles de travail //Règles de vie communautaire // Contractualisation // Ressources Communautés // Dépenses Communautés // Recettes et épargnes // Utilité sociale : le lien social, citoyenneté, engagement civique, solidarité

43

Première partie. Une critique de l’économie sociale et

solidaire : EMMAÜS au cœur d’une « autre

économie »

44

Introduction

La première partie permet une analyse de l’évolution de l’économie sociale et solidaire – ESS –. Il s’agit d’aborder les fondements et l’histoire des pratiques « solidaires » en tant que productricesde règles de situation de travail (Dunlop, 1958). Une perspective historique de l’ESS laisse aussi apparaître des formes d’organisations qui s’adaptent selon des logiques de développement à la fois économiques, sociales et solidaires. Chaque dispositif organisationnel et institutionnel produit des règles, pratiques et procédures, qui reflètent le caractère innovant de l’ESS. C’est la nature innovante et flexible des structures de l’ESS, qui est étudiée. En effet, cette « autre économie »

promeut des échanges et une consommation basés sur le lien, le capital social et humain, sur plus de solidarité et de démocratie, mais également sur des modes de production et de distribution proches des modèles publics et marchands (Laville, Cattani, 2006). Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction générale, la première partie s’intéresse précisément à la construction de ces échanges, des ces liens et de ces relations. Il faut revenir aux origines historiques de l’ESS et l’analyser au fil des cycles historiques et économiques.

Le premier chapitre décrit en partie l’histoire des relations humaines. La diversité et la flexibilité qui caractérisent la logique et le fonctionnement des structures de l’ESS sont un des succès de cette économie. Selon nous, chaque structure tente de pallier un ou plusieurs besoins socio-économiques, en développant des modes de relations, en remplissant une ou plusieurs fonctions, etc. Selon cette logique, les objectifs sociaux et solidaires font de l’ESS un secteur innovant. Tant qu’il y aura des besoins socio-économiques nouveaux, il y aura alors les structures qui les prennent en charge, selon des dispositifs variés. Notre hypothèse est que ce modèle flexible permet une forme d’innovation économique : en termes de production, de consommation, de distribution, d’échanges et de relations professionnelles. Selon Méda, « le travail est la mesure générale de l’échange et des rapports sociaux » (Méda, 1995, p88), et selon nous, le travail solidaire garantit un idéal de justice

45

sociale, par l’interdépendance des besoins et l’adéquation des efforts. La rationalité économique sociale et solidaire prône l’amélioration des relations professionnelles. Mais, sont-elles meilleures que dans le circuit ordinaire du travail ? Le premier chapitre décrit comment naissent ces relations humaines, et comment évoluent les liens de représentativité ? Une approche historique mettra en lumière l’évolution des structures de l’ESS ; notamment, en parallèle avec le mouvement syndical. L’histoire de l’ESS développée dans ce chapitre s’inspire de la littérature sur le sujet1. Elle mettra en lumière une vision de ces mouvements, de ces doctrines et des logiques économiques. En remontant aux sources idéologiques de l’économie sociale, plusieurs questions sont soulevées : comment sont gérés les individus ? Comment sont administrés leurs biens et leurs moyens de production ? C’est une analyse des relations des acteurs économiques, les uns avec les autres dans leur monde environnant. L’ESS est une sorte d’écologie. En effet, elle mute et s’adapte en fonction de préoccupations liées aux évolutions sociales et politiques, souvent en réponse à la dégradation du cadre de vie locale.

Dans le prolongement du premier chapitre, le deuxième chapitre cherche à déterminer quelles institutions sont les plus efficaces dans la représentation et la protection des droits sociaux des individus ? C’est une réflexion sur les critères qui régissent ces relations issues des formes anciennes de solidarité. La multiplication des organisations et leurs modes de relations laissent émerger différentes façons de se regrouper, de se solidariser, de se protéger et de défendre les intérêts communs. Le champ de l’ESS a fait émergé des déterminants-clés tels que l’« Exit, Voice, and Loyalty »2 (Hirschman, 1970), l’utilité sociale (Trouvé, 2007), la responsabilité sociale, ou encore l’engagement, le volontarisme, le libre choix, la libre adhésion, etc. Ces concepts soulignent cette adaptation aux changements économiques. Mais font-ils sens ? Sont-ils efficaces et nécessaires ? Permettent-ils un modèle particulier de relations professionnelles dans le milieu associatif ? En décomposant les règles de bases issues de ces modes de relations, c’est la nature

1 La RECMA, par exemple, est en France une source essentielle dans ce domaine. De même qu’il faut se tourner vers les travaux d’Archambault, Defourny, Demoustier, Gueslin, Jeantet, Monzon, etc.

46

même de l’ESS qui est ici interrogée. La prise en charge solidaire se construit comme un système de relations sociales1

. En l’occurrence, l’ESS telle que nous la concevons conduit forcément à une structuration des relations et à des schémas de sociabilité. Il s’agit de montrer que le succès de l’ESS vient peut-être d’une hybridation des objectifs – mélange des genres entre des concepts clés |Précarité/pauvreté/exclusion|, |Insertion / Inclusion|, |Utilité sociale/ intérêt général|. En évoluant l’économie sociale et solidaire a permis l’émergence des modes différents d’organisation et de représentation ; parmi lesquelles, le mouvement syndical. La question essentielle est donc de savoir si les structures issues de l’évolution historique de l’ESS sont-elles plus aptes que le mouvement syndical, à défendre, à protéger, à regrouper les intérêts des individus. En se replongeant à la fois dans les étapes d’une histoire sociale et dans l’analyse des formes de relations solidaires, nous posons l’hypothèse qu’au fil des cycles économiques et historiques, les différentes formes de représentation se sont tour à tour imposées comme moyen de représenter et de protéger les individus. Cependant, par rapport au mouvement syndical, nous démontrerons que l’ESS présente de nombreux avantages liés à son histoire, sa flexibilité, son caractère innovant et hybride. Face aux différentes formes de libéralismes qui ont émergé au fil des cycles, la liberté et la flexibilité associative (ou de l’ESS) est plus aptes à répondre aux besoins toujours plus nombreux des individus.

Le troisième chapitre porte plus précisément sur le Mouvement Emmaüs. Notre objet d’étude paraît être un bon exemple des arguments avancés précédemment. Il s’agit de comprendre les logiques de fonctionnement, les rationalités et les modèles d’organisation d’Emmaüs. Depuis que le Mouvement Emmaüs existe, il s’est internationalisé sous différentes formes qui prennent leur essence de façon diverse dans l’économie sociale et solidaire. Emmaüs a construit sa raison d’être et sa rationalité associative sur un mode de solidarité et de relations particulières, notamment au travers de la relation entre le fondateur mythique et apostolique (Barthes, 1957) et le Compagnon.

1 Fretel, Petit, Thevenot rappelaient que la protection sociale était un levier de gestion de la main d’œuvre. La protection sociale (professionnelle) des individus est aujourd’hui une considération des branches. D’ailleurs,

« l’acquisition des protections sociales s’est faite essentiellement à partir de l’inscription des individus dans des collectifs protecteurs » (Castel, 2003, p. 37).

47

Une véritable « économie des relations humaines » fonde ce mode si spécifiqued’administration et de gestion chez Emmaüs. Le mouvement associatif Emmaüs pose comme principe fondateur de servir premier le plus souffrant.Ce « Manifeste universel » n’est pas simplement porteur d’un idéal solidaire, de lutte contre l’exclusion et la pauvreté, mais relève d’une certaine rationalité économique. En l’occurrence, Emmaüs appartient à l’économie sociale, solidaire et alternative. Cette appartenance a profité au Mouvement, lui permettant le développement et le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Si la preuve de cette efficacité est faite, à travers son niveau de compétitivité, son modèle de flexibilité, alors les structures de l’ESS pourront prétendre à autre chose qu’à une alternative. En décrivant comment les relations humaines sociales se développent au cœur des Communautés Emmaüs, nous démontrerons la capacité de l’ESS à défendre les intérêts des individus, aux problématiques parfois difficiles. De même, si l’idéologie de l’Abbé Pierre, fondateur d’Emmaüs, s’est servi des anciennes traditions solidaires pour l’adapter au développement économique et pour favoriser la compétitivité des Communautés, alors effectivement les structures de l’ESS ont un caractère innovant, efficace et adapté aux logiques de marché.

48

Chapitre 1. La construction des relations sociales et

professionnelles au sein de l’économie sociale.

Ce chapitre décrit les idéologies et les utopies qui fondent le mouvement et les doctrines de l’économie sociale. C’est une analyse des formes d’innovation de l’économie sociale, à travers l’histoire. La protection sociale d’un individu nécessite certaines mesures. « L’acquisition des protections sociales s’est faite essentiellement à partir de l’inscription des individus dans des collectifs protecteurs » (Castel 2003, p. 37). La protection sociale est comme un levier de gestion de la main d’œuvre (Fretel, Petit, Thévenot, 2005). Tout comme les relations professionnelles, elle se négocie à différents niveaux (Saglio, 1991)1. En l’occurrence, ce chapitre traite de la structuration des relations et des schémas de sociabilité (Ewald, 1986). Avant d’examiner les mesures de protection sociale, ce chapitre étudie la structure des logiques solidaires. Un tableau historique permettra d’y appréhender les pragmatismes2, voire les « capabilités » (Elbaum, 2007 Sen, 1992). Cette approche illustrera les différences essentielles avec le mouvement syndical, issu également du moule de l’économie sociale (Gueslin, 1998 ; Demoustier, 2002, 2003)

Le lien social désigne l’ensemble des relations qui unissent les individus d’un même groupe social et/ou qui établissent des règles sociales entre individus ou groupes sociaux différents (Paugam, 2008). Cette perspective permet un examen de l’évolution de la société, et une analyse de la construction des relations humaines et sociales - professionnelles. Notre objectif est de remonter aux origines des liens sociaux et humains qui influencent le système des relations professionnelles et le milieu associatif. Cela paraît paradoxale aujourd’hui, puisque certaines associations, en particulier de défense des intérêts sont présentées comme concurrentes des organismes représentatifs des employeurs et des salariés. Les acteurs associatifs émergeraient à mesure que

1 Jean Saglio rappelle que « il existe un fort consensus du système français de relations professionnelles pour souligner l’importance du niveau de branches dans la structuration du système de relations professionnelles. Il existe de par le monde des pays, (…) où ce niveau n’existe pratiquement pas : l’entreprise est(…) le niveau essentiel et quasi unique auquel se réfère les acteurs… » (Saglio, 1991, p 26)

2 Dans le sens d’ « attitude (d'une personne) qui privilégie l'action pratique, l'adaptation au réel et la recherche de l'efficacité, plutôt que des considérations théoriques ou idéales »

49

déclinerait la représentativité syndicale. Ce serait comme si aux yeux de certains usagers-contribuables-travailleurs, les syndicats ne seraient plus aptes à défendre leurs intérêts.

1. Aux origines de l’économie sociale, le lien social se construit