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Les relations au cœur des Communautés d’Emmaüs 1

58 autant systématiquement des organisations prolétariennes 1

Encadré 3 Le phalanstère : organisation et relations entre unités

1.3. Les relations au cœur des Communautés d’Emmaüs 1

A Emmaüs, l’idée de « communauté » évoque le regroupement d’hommes, exclus de la société, qui trouvent refuge dans une maison protectrice (Esposito, 2000). A l’image d’une corporation (celle des Compagnons et des chiffonniers d’Emmaüs), la structure fonctionne sur des principes coopératifs, associatifs et mutualistes. Le modèle communautaire renforce les injonctions à la

1 Il s’agit de décrire le modèle communautaire tel qu’il a été créé aux origines par le fondateur. Or, le

mouvement Emmaüs est né en France. Il ne s’agit pas de décrire les Communautés françaises, mais de définir le modèle original. D’autres analyses comparatives qui suivront au cours de la thèse vont permettre de souligner les distinctions à faire entre les Communautés en France, en Espagne et au Royaume-Uni. Pour le moment, nous traitons des Communautés en général.

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normativité, en exhortant à l’autonomie et à la responsabilité individuelle (Bloch-Lainé, 1999 ; Barthelemy, 2000). Quant à l’engagement des Compagnons, celui-ci relève évidemment du besoin « primaire » de trouver un refuge, mais aussi de travailler dans une structure socio-économique aux règles plus adaptées. Enfin, d’un point de vue juridique, toutes les Communautés d’Emmaüs sont enregistrées sous des statuts associatifs (ou similaires dans les autres pays)1. Le message du fondateur a construit la Communauté selon quatre dimensions qui traversent le travail, la vie, les relations, et les acteurs.

En général, la Communauté telle qu’elle est décrite sur le site internet d’Emmaüs France est un lieu d’accueil, de vie, de travail et de solidarité. Au sein des Communautés, il existe une forme de solidarité en cascade, où les plus forts aident les plus faibles. Ce principe, que nous décrivons, permet de comprendre comment se construit un règlement qui prend en compte les quatre dimensions citées au dessus. Par exemple, il est essentiel d’analyser en quoi les relations de solidarité en cascade ont des influences sur les rapports entre les acteurs, et en quoi cela a une influence sur le règlement. Il est dit dans le texte, que « les uns et les autres décident d’unir leur volonté et leurs actes pour s’entraider et secourir ceux qui souffrent, dans la conviction que c’est en devenant sauveur des autres que l’on se sauve soi-même (Emmaüs France, 2009). » Pour être clair, il s’agit de voir la Communauté à travers ces quatre perspectives et d’y observer comment les règles d’un lieu de vie, les règles d’un lieu de travail, les règles d’un lieu d’accueil, et les règles d’un lieu de solidarité s’harmonisent. En somme, comment le travail des uns permet-il l’accueil des autres. Ce que nous définissons comme la solidarité en cascade est presque une forme nouvelle de « flexicurité », où la flexibilité des uns permet la sécurité des autres.

La communauté est un lieu d’accueil, c’est-à-dire que n’importe quel individu, indistinctement de ses origines ethniques et sociales, ses opinions politiques et sociétales, est accueilli inconditionnellement. Il peut rester à la communauté le temps qu’il voudra, dans la mesure des places disponibles dans la communauté (qui dans l’éventualité d’un manque de place, pourrait le rediriger vers une autre communauté), mais aussi dans la mesure du projet que peut lui proposer la

1 Nous traiterons plus tard des nuances de statuts sous lesquels sont enregistrées les Communautés en Espagne et au Royaume-Uni.

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Communauté. En tout cas, la communauté est un lieu pour « se refaire une santé » grâce au travail, et à l’estime de soi retrouvée.

« Je crois que c’est un passage. Y en a qui s’en vont et qui retrouvent un équilibre, et y en a d’autres qui choisissent de rester là pour aider les autres » (Parole de Compagnon, Emmaüs France, 2010)

La communauté est un lieu de vie. La dimension « vie » est certainement la plus pertinente car telle que nous l’a évoqué ce témoignage de Compagnon, il arrive que certains Compagnons restent à vie, et meurent en communauté. La notion de « Compagnon à vie » permet de s’interroger sur l’idée de réussite et d’échec de la politique d’Emmaüs, du statut du Compagnon, de l’identité du travailleur Compagnon. D’abord, il faut savoir que les Communautés s’engagent à fournir aux Compagnons, les meilleures conditions de vie, d’hébergement, d’hygiène, d’alimentation. Entre autres conditions de travail, la communauté fournit également une protection sociale au Compagnon : droit à la santé, à la sécurité sociale, à la retraite et plus généralement à tout ce qui peut contribuer à ce qu’il soit un homme, ou une femme, reconnu dans son autonomie et non pas comme un assisté (Emmaüs France, 2010).

D’ailleurs, l’analyse du lien entre le Compagnon et sa Communauté nous permet de nous interroger sur ce qui prime : la vie du compagnon ou le compagnon à vie1

? Nous verrons combien cette différence est significative dans les relations professionnelles et sociales à Emmaüs. De plus, certaines règles de vie communautaire sont à considérer : la sobriété, la sexualité, etc.

La Communauté est un lieu de travail. Le travail est différentiel (différenciable) selon les acteurs, leurs compétences, leur capacité, leur état de santé, selon l’activité, selon la rentabilité des postes, selon la politique de l’association et la stratégie des responsables. Or, aucune distinction ne semble être faite dans le traitement des Compagnons. Il touche pratiquement tous le même pécule (sorte d’indemnité hebdomadaire), et ce sans distinction des éléments précités. Nous verrons comment certains facteurs les différencient.

1 Il est difficile de distinguer si la Communauté offre les meilleurs avantages et conditions pour améliorer la vie dans la Communauté, le temps de « se refaire une santé », ou si elle crée les conditions pour que les Compagnons restent, en particulier les plus productifs, ceux qui font marcher la communauté. C’est là, la différence entre la vie du Compagnon et le Compagnon à vie.

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Le travail en communauté est très identitaire, dans la mesure où le retour à la dignité et la réinsertion humaine passent par la participation au travail. « Il permet à chaque Compagnon de se nourrir, d’être logé, de partir en vacances, de participer à la vie sociale et culturelle mais également de bénéficier de nombreux services tels que le droit à la santé, la couverture sociale, la validation des trimestres de retraite » (Emmaüs France, 2010).Nous verrons comment le travail est perçu par les Compagnons. La logique de l’emploi salariéa conduit à une confusion entre emploi et travail. « La logique de l’activité était plus novatrice, [puisqu’elle] nous conduit à nous libérer de la stricte notion d’emploi pour retrouver le vrai sens du travail, conçu comme source d’accomplissement et de lien social et de subsistance pour l’homme »(Méda, 1995, p19). A travers leur discours, les communautés voudraient revenir à l’essence traditionnelle du travail. Or, le travail communautaire est plutôt d’ordre occupationnel. D’ailleurs, lors de notre entretien avec Bernard Eme, celui-ci nous expliquait qu’il s’agissait d’une organisation, qui comportait des vides, des incertitudes qu’il fallait absolument remplir. L’idée du travail communautaire se résumerait alors par la formule de Eme : « là, on prend les gens tels qu’ils sont, en se disant « on sait tous faire quelque chose ». Souvent dans les Communautés, les Compagnons sont comme des objets dans un dispositif qu’il faut amener vers quelque chose » (Eme, 2009) En somme, le thème principal est celui de la reconnaissance, à savoir la place, le rôle et la fonction de chacun de ces acteurs au sein du collectif. Toutes ces nuances font l’objet de la dernière partie de la thèse.

La communauté est un lieu de solidarité. Chaque structure communautaire verse une cotisation de solidarité pour des projets solidaires internationaux. Ce principe « solidaire » est essentiel dans notre idée de relation différentielle. Nous avons appelé ce principe « urbi » et « orbi », (sur la ville et sur le monde, ou plus particulièrement dans la Communauté et dans le monde). En effet, l’Abbé Pierre a conçu le travail et son idéologie selon deux dimensions indissociables et en interrelation l’une avec l’autre. Le travail communautaire permet une solidarité interne et externe à la

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Communauté1

. En réalité, nous verrons que la différence de productivité entre Compagnons favorise une solidarité en cascade.

2. Issue de la pensée économique d’Emmaüs, la solidarité