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Comment se développe le modèle de relations humaines, sociales et professionnelles au relations humaines, sociales et professionnelles au

58 autant systématiquement des organisations prolétariennes 1

Chapitre 3. Comment se développe le modèle de relations humaines, sociales et professionnelles au relations humaines, sociales et professionnelles au

sein des Communautés d’Emmaüs ?

La partie suivante décrit la construction des identités, l’évolution des formes d’engagement, la domination de certaines logiques qui déterminent les formes d’intégration et de relations au sein d’Emmaüs. Il existe différents acteurs – parties prenantes des relations au sein d’Emmaüs. Avec la Communauté d’Emmaüs, la division entre bénévole et salarié est dépassée. Il n’existe plus deux acteurs mais trois ; et les relations qui les unissent rendent l’opposition entre relations mécaniques et organiques parfois floue. Cette monographie sur Emmaüs traite des spécificités d’une structure – la Communauté –, au cœur d’un secteur déjà spécifique –l’ESS. Cette approche souligne notre volonté incessante de prouver le niveau d’innovation, de flexibilité et d’hybridation des structures de l’ESS. Après avoir traité de la construction historique, conjoncturelle et structurelle, des relations solidaires et sociales, ce chapitre décrit comment Emmaüs a construit son modèle de relations. Nous décrivons le mode d’intégration au sein de ce collectif associatif et communautaire d’Emmaüs.

1. L’analyse des Communautés d’Emmaüs montre comment

ont évolué les relations de solidarité.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que certains principes mécaniques et organiques façonnent les relations au sein des structures de l’ESS. Cependant, au sein de ces structures, le mouvement Emmaüs présente certaines spécificités. Ces spécificités dépassent les seules typologies déjà évoquées. En l’occurrence, les paragraphes suivants montrent combien la structure communautaire atténue les frontières entre relations organiques et relations mécaniques.

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L’un des avantages des Communautés d’Emmaüs est d’avoir développé des pratiques et des règles hybrides et flexibles. Sous couvert d’une idéologie solidaire, les communautés d’Emmaüs ont donc développé des pratiques et des règles particulières. Si celles-ci ne peuvent être qualifiées d’abusives ou d’illégales, le modèle communautaire permet d’adopter des stratégies informelles. Ces stratégies se basent sur des stratégies solidaires, utopiques ou encore gestionnaires. L’idée principale défendue dans les paragraphes suivants est que l’idéologie communautaire a permis à Emmaüs de développer son propre modèle de relation. Nous verrons que ce modèle est parfois à la limite de la solidarité ou à la limite de l’idéal démocratique.

1.1.La philosophie et la pensée économique à l’origine des

Communautés d’Emmaüs

Nous analysons ici la pensée économique qui façonne les logiques d’intervention et le modèle des Communautés d’Emmaüs. La Communauté d’Emmaüs est une organisation de l’économie sociale et solidaire. Elle s’inscrit au cœur d’une histoire de la pensée économique, et le modèle communautaire tire son inspiration de traditions, de courants de pensée, d’utopies et d’idéologies solidaires, sociales et économiques. Nous ferons un rapprochement entre la philosophie d’Emmaüs et des doctrines. Selon nous, ces éléments ont permis de développer le modèle de structures, les types de relations solidaires, les formes d’engagement, les choix adoptés par le Mouvement Emmaüs. A l’épreuve des rationalités économiques, la philosophie et la pensée économique d’Emmaüs se construisent selon les références qui suivent.

1.1.1. La charité chrétienne et le christianisme sociale sont à la base

de la raison économique du Mouvement Emmaüs

Emmaüs constitue au départ un mouvement très religieux, même s’il prétend être aconfessionnel et non plus prosélyte. Son approche de la pauvreté reste très imprégnée de charité chrétienne.

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« L’Abbé Pierre (…) se veut profondément inséré dans l’Eglise. S’il veut réformer, c’est de l’intérieur ; s’il veut bousculer, c’est pour revenir aux conceptions originelles. Une sorte de Luther moderne en somme, mais focalisé sur les pauvres. (…) D’origine bourgeoise, il renonce à ses biens et son héritage pour se faire moine. Il aspire à la pauvreté et au dépouillement, et ne cesse de rappeler sa découverte du lien entre Dieu et la Pauvreté …nécessaire au plus profond de nous pour Le rencontrer.(…) Dans sa concrétisation sociale des ses convictions religieuses, l’abbé Pierre témoigne comme l’Abbé Rodhain1, d’un optimisme anthropologique. Il considère qu’en pratique, l’ordre théologal doit être inversé et que la charité mène à la foi bien plus que l’inverse.L’Abbé Pierre suit le mouvement des catholiques sociaux qui renoncent à la charité pour épouser la sécularisation, rechercher la justice sociale et passer avec succès le test de la modernité politique ». (A. Brodiez-Dolino, 2008, p24)

L’Abbé Pierre s’inscrit donc dans la même mouvance, que Frédéric Ozanam ou Leplay, avant lui. Parmi les penseurs du christianisme sociale, Frédéric Ozanam fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul (1833) défend le principe des associations libres qu’il définit vaguement : entre patrons et ouvriers, et entre ouvriers seuls. Il prône « la charité de l’assistance ». Selon Ozanam, la charité chrétienne fonctionne sur un mode relationnel d’aide individuel et descendant, entre le nanti et le pauvre. L’idéal de l’économie sociale est naturellement fait de solidarité mais il se fonde sur des structures collectives et horizontales alors que le christianisme social induit de la verticalité. Pour Frédéric Le Play (1806-1882), la démarche de Le Play est ambivalente et construite autour d’un concept central : la constitution essentielle. Elle est liée à la satisfaction de deux besoins essentiels, à savoir la connaissance de la loi morale et la possession du pain quotidien. Deux principes régulateurs – d’un côté, la religion et l’observation des commandements, et d’un autre, la souveraineté et l’autorité paternelle – garantissent la paix de dieu et la paix du souverain ; et ce, grâce à trois moyens ou matériaux, c’est la communauté, la propriété et le patronage. Celui-ci vise

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à une socialisation des travailleurs dans le cadre de l’entreprise1. L’une des grandes originalités d’Emmaüs est de briser le duo aidant-aidé en ajoutant un autre aidant : le pauvre lui-même. Le « compagnon » socialement et économiquement exclu retrouve par la solidarité envers son prochain : l’espoir et une raison d’être. « C’est dans ce que cette attitude contraire à la bienfaisance que se trouve contenue toute la vocation d’Emmaüs, qui est de sauver des souffrances en les faisant sauveurs des plus souffrants » (Brodiez-Dolino, 2008, p.24) L’Abbé Pierre, inspiré des principes charitablesdu christianisme social, a l’originalité de transférer la relation d’assistance nanti – pauvre, à celle de pauvre- encore plus pauvre. Cette logique prend forme dans le manifeste universel du Mouvement « Servir le plus souffrant ».

1.1.2. L’influence du socialisme associationniste dans l’organisation

et la structuration des liens sociaux à Emmaüs

Selon Bartoli, le travail appelle l’usage commun des biens. La propriété qu’il permet d’acquérir n’est légitime que dans la mesure où le travail est pour les individus le mode d’être ensemble, la manière de construire ensemble un ordre porteur de valeurs communautaires (Bartoli, 1977, 1991, 1999). Or, la logique des Communauté Emmaüs prône le travail comme un élément essentiel de l’intégration des compagnons au groupe, et un vecteur de leur réinsertion.

Selon la tradition oweniste2, les Communautés d’Emmaüs se construisent non pas comme des « villages d’unité et de coopération mutuelle », des communautés de 2 000personnes environ, comme l’expérience d'Owen et son modèle communautaire3, mais elles prônent un autre mode d’échange basé sur le travail.

A la différence des idées saint-simoniennes, qui maintiennent le « bonheur social » en maintenant le bonheur des nantis et améliorant le sort des pauvres, l’idéal organique communautaire ne

1, F. Ewald évoque alors le concept de « ville politique » : « forme politique comparable et concurrente de ces autres manières d’organiser, de représenter, de conduire les ouvriers qu’avaient été les corporations et que seront bientôt les syndicats » (F. Ewald, 1986, p. 122)

2 Robert Owen, né le 14 mai 1771 à Newtown et mort le 17 novembre 1858 dans la même ville, était un socialiste réformateur gallois. Il est considéré comme le « père fondateur » du mouvement coopératif.

3 Avec New Harmony, et par le terme de coopération, il entend le communisme dans la tradition de Platon et Thomas More, par opposition au système individualiste libéral.

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délaisse pas le gouvernement des hommes pour l’administration des choses1. Le mode de gouvernance communautaire est basé sur le consensus rationnel mais aussi sur une certaine acceptation des différences entre unités fonctionnelles. En l’occurrence, nous pensons que beaucoup de Compagnons ont assimilé leur position de travailleur-bénéficiaire, et sont devenus dépendants du système. Cette hypothèse avancée au cours de la thèse, est défendue dans la dernière partie.

L’organisation même du lien communautaire dépend des « capacités », et le groupement de personnes à un niveau local, sectoriel voir fonctionnel permet d’une part l’administration de la communauté, la socialisation des citoyens (des compagnons), mais aussi la naissance d’une « mystique de l’intérêt commun2, une fraternité au travail » chez les Compagnons.

Enfin, ce différentiel des capacités trouve une certaine référence dans l’œuvre de Buchez. Après la Révolution de 1830, Buchez (1796-1865) propose un courant de pensée3 qui cherche la solution dans l’association ouvrière. Les intérêts individuels sont subordonnés au « but commun ». Comme chez Saint-Simon, l’association ouvrière est un système de relations, basé sur une « hiérarchie des capacités ». Il part donc d’une idée de relations professionnelles différenciées en fonction de la compétence. La Communauté se veut l’exemple même d’un microcosme idéal, à l’image du

phalanstère, « le manoir de la phalange » de Fourier ; et donc une œuvre pure d’imagination.

1 Saint-Simon amène l’idée qu’une Nation peut se gérer comme une entreprise et que l’Etat doit prendre en charge, sinon l’organisation de l’économie, au moins sa coordination.

2 Il faut noter que Saint-Simon ne promeut pas le collectivisme, car il admet que le droit de propriété permet l’efficacité de la société.

3 Dans son Histoire parlementaire de la Révolution Française (1834-1838), Buchez réinterprète les principes

révolutionnaires, en affirmant que ceux-ci découleraient des principes évangéliques. La République serait la résurgence de la civilisation chrétienne. Le théoricien diffuse ses idées via l’Atelier, un journal tiré à 2 000exemplaires. Ce journal qui bénéficie d’une certaine influence dans Paris, défend un idéal de la démocratie. Pour trouver une solution à la question sociale, les buchéziens proposent une éthique chrétienne de l’effort, destinée à aider les ouvriers à conquérir une dignité. Cette vision ouvre des perspectives à notre analyse puisque que l’idéologie chrétienne pourrait rappeler l’éthique d’EMMAÜS.

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